Nous avons assisté ces jours derniers à une séquence bien caractéristique des affaires européennes, et, comme il se doit, de leur perception faussée par l'oligarchie et l'intellocratie parisiennes.
Au lendemain des élections du 26 mai, est apparue une nouvelle configuration du spectre politique sur le Vieux Continent. La redistribution des cartes reflète à vrai dire le résultat instantané de l'évolution des opinions publiques au gré du scrutin proportionnel.
On s'est ainsi acheminé, après de difficiles tractations, jusqu'à la nomination, le 2 juillet, par le conseil des États d'une candidate à présidence de la Commission européennes, Ursula von der Leyen. Celle-ci a été validée par une majorité, instantanément assez courte. À vrai dire, on ne connaîtra jamais la composition exacte des 383 voix. Constatons simplement, dans les grandes lignes, que l'équilibre semble s'être déplacé en faveur du centre-droit, comme le corps électoral lui-même.
Sur la base d'une lecture un peu courte du traité de Lisbonne, on avait beaucoup entendu parler les semaines précédentes de la doctrine du Spitzenkandidat. Celle-ci professe la légitimité du seul chef de file, désigné avant l'élection, par le parti arrivé en premier. Les gauches étant ulcérées par leur propre défaite, se sont alors employées à dénoncer un éventuel renoncement à cette théorie. Certes honorable, sous certaines conditions, elle était présentée en l'occurrence pour intangible, expression incontournable de la démocratie et applicable en toutes circonstances.
Remarquons d'abord, que, dans l'absolu, elle ne figure pas dans les traités.
Le document actuellement en vigueur, depuis 2009, a été signé à Lisbonne en décembre 2007. C'est ce texte qui règle le fonctionnement des institutions européennes. Très critiqué en France, il n'y est cependant guère connu.
Rappelons les épisodes précédents. Le référendum de 2005 avait rejeté, Jacques Chirac exerçant le deuxième mandat de sa glorieuse présidence, le projet élaboré sous l'égide de son vieil ennemi Giscard d'Estaing, d'un traité supposé valoir constitution[1]. Les bons esprits reprochent beaucoup à l'ère Sarkozy d'avoir procédé, par la suite, à une modification de la loi fondamentale française, si souvent charcutée depuis 1958. En février 2008, en effet, reniant la promesse de soumettre désormais tout nouvel accord européen au vote des citoyens[2], il avait fait voter par le Congrès réuni à Versailles une réforme permettant de ratifier la dernière mouture des textes de l'Union européenne.
Il semble cependant nécessaire, ses clauses étant rarement rappelées en France, de considérer les dispositions fort claires du traité.
On commencera par l'observation suivante : la cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe, dont la vigilance exaspère Mme Merkel, a été consultée. La question se posait de sa validité au regard de la loi fondamentale adoptée outre-Rhin en 1949, toujours en vigueur. Son arrêt, rendu le 30 juin 2009, ne comporte de réserves que sur le pouvoir législatif du parlement et des remarques sur la nature de l'Union, qui, selon les juristes allemands, demeure une organisation internationale, et non un État fédéral quoique disposant, de façon embryonnaire, de certains traits fédéralistes[3].
Aucune objection en revanche sur la procédure de désignation de l'exécutif communautaire, ainsi définie :
Article 9 D § 7. En tenant compte des élections au Parlement européen, et après avoir procédé aux consultations appropriées, le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, propose au Parlement européen un candidat à la fonction de président de la Commission. Ce candidat est élu par le Parlement européen à la majorité des membres qui le composent. Si ce candidat ne recueille pas la majorité, le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, propose, dans un délai d'un mois, un nouveau candidat, qui est élu par le Parlement européen selon la même procédure.
Le Conseil, d'un commun accord avec le président élu, adopte la liste des autres personnalités qu'il propose de nommer membres de la Commission. Le choix de celles-ci s'effectue, sur la base des suggestions faites par les États membres etc.
Dans le contexte de la nomination d'Ursula von der Leyen, il semble dérisoire de prétendre qu'une doctrine du Spitzenkandidat ait été bafouée voire abandonnée. De nombreux commentateurs agréés, pas seulement parisiens, se sont cependant posé la question.
La théorie du Spitzenkandidat suppose d'abord une procédure quelque peu différente. On peut en observer le fonctionnement dans d'autres régimes institutionnels, et dans d'autres situations. Le chef du parti vainqueur, particulièrement au sortir d'une joute bi-partisane, est alors automatiquement appelé à former le gouvernement. Le chef de l'État, monarque ou président, ne joue dans ce type de nomination qu'un rôle protocolaire.
Ceci a correspondu idéalement, entre 1945 et 2010, au schéma dominant en Grande-Bretagne. Dans ce pays, la prérogative royale, soit en l'occurrence le choix, par le Souverain, d'un Premier ministre certes au sein des conservateurs, mais non obligatoirement le chef du parti, droit refusé par les travaillistes, fut abandonné par les tories eux-mêmes, qui s'en réclamaient depuis 1832. C'est ainsi qu'en interne, ils censurèrent Margaret Thatcher en 1990: cessant de dirier le parti, elle dut quitter le pouvoir.
On peut se demander, euphémisme, si cette disparition ne va pas se révéler, ces temps-ci, dommageable aux intérêts britanniques bien compris. Elle laisse en ce moment le choix de l'occupant du 10 Downing street, dans une négociation cruciale pour l'avenir du Royaume-Uni, aux seuls 160 000 adhérents encartés. Notre respect pour la force des institutions outre-Manche n'ira pas jusqu'à l'admiration de cette hypothèse. Encore moins au désir de la décalquer dans le cadre de l'Union européenne.
Au contraire, nous disposons d'un exemple très récent de rétablissement de la prérogative du chef de l'État dans un pays très proche, avec le cas de la Belgique. Sans l'intervention du roi Albert II aucun gouvernement n'aurait pu être formé en 2014, et, surmontant les fractures de ce pays ami, il est demeuré en place depuis 5 ans.
En Angleterre même, paradigme du parlementarisme, l'absence d'une vraie majorité, entre 1910 à 1929, entre libéraux et conservateurs, et la montée des travaillistes rendaient le parlement de Westminster ingouvernable. Cet imbroglio imposa une intervention de la Couronne. La démocratie n'en est pas sortie affaiblie mais renforcée.[4]
Remarquons aussi, et tel me semble le point essentiel, que la situation actuelle pourrait imposer à la nouvelle commission une attitude plus combative, face à la gauche et à ses mots d’ordre mortifères, en rupture par conséquent avec la pratique consensuelle coutumière au cendre-droit.
Alors, si, et seulement si, cela peut s'adosser à une véritable union des droites, soutenue par une opinion majoritaire, on pourra parler de démocratie européenne.
JG Malliarakis
D'autres chroniques sur le même sujet :
• L'Insolent du 16 juillet "Sur l'investiture d'Ursula von der Leyen"
• L'Insolent du 8 juillet "Quand la droite l'emporte dans un pays meurtri"
• L'Insolent du 3 juillet "Europe : comprendre le compromis"
• L'Insolent du 28 mai "Démocratie athénienne et gauche européenne"
• L'Insolent du 27 mai "Victoire du dégagisme"
• L'Insolent du 24 mai "Petit bilan de campagne"
• L'Insolent du 18 mai "De l'Europe, de sa Défense, et de son Destin"
• L'Insolent du 13 mai "Pinocchio en Europe"
Apostilles
[1] En en paragraphant le projet, Tony Blair fit remarquer que c'était la première constitution acceptée dans l'Histoire de l'Angleterre depuis la Grande Charte de 1214.
[2] Il y aurait sans doute beaucoup à dire sur la théorie de la ratification des traités internationaux par l'opinion publique. Historiquement on pourrait juger ses conséquences calamiteuses. Dès le XVIIIe siècle à Paris, le parti philosophe anti-autrichien s'était ainsi dressé contre le retournement des alliances de 1756. La malheureuse reine Marie-Antoinette qui avait épousé en 1770 le futur Louis XVI fut la victime expiatoire centrale de cette cabale.
[3] Voici le Résumé de l’arrêt du 30.6. 2009 tel que communiqué par la Cour de Karlsruhe : "Le Traité de Lisbonne est compatible avec la loi fondamentale. Mais la loi étendant et renforçant les pouvoirs du Parlement (Bundestag et Bundesrat) dans les matières européennes viole les articles 38.1 et 23.1 de la loi fondamentale dès lors que le Parlement allemand ne se voit pas accorder des pouvoirs suffisants dans la participation à la procédure législative et à la procédure d’amendement des traités. La ratification par la République fédérale d’Allemagne du Traité de Lisbonne ne peut donc avoir lieu tant que la loi relative aux droits de participation du Parlement n’est pas entrée en vigueur. Décision prise à l’unanimité quant au résultat et à l’unanimité moins une voix quant au raisonnement". cf. article de Marie-Françoise Bechtel, Conseiller d’Etat et Vice-présidente de la Fondation Des Publica.