En dépit d’éventuelles apparences, cet article est sans lien avec la conférence de presse de E. Macron de ce 25 avril 2019. E. Macron, parfait produit et agent du système, est simplement le révélateur d’un certain abaissement collectif de l’intellection occidentale qui a commencé il y a bien longtemps. Et son idée, toute symbolique, et encore floue, de supprimer l’ENA ne sera pas en soi suffisante.
Il y a quelques mois plusieurs médias, dont quelques uns de bon niveau, débattaient de la question de l’abaissement du QI, mesuré, selon certaines études académiques, dans les écoles. Les causes en seraient environnementales, consuméristes, génétiques, médicales, sociologiques . Vraie ou fausse la démonstration inquiète ; mais moins toutefois que les autres menaces, bien réelles sur l’intelligence. Si pour Teilhard de Chardin (Le phénomène humain) le monde en général, et l’homme en particulier, évoluent vers toujours vers plus de perfectionnement (une sorte de création permanente dans le projet divin), les paléontologues sont moins optimistes qui nous disent que l’homme de Cro-Magnon, obligé de résoudre en permanence bien plus de problèmes importants que chacun d’entre nous, aurait eu plus de capacités et d’aptitudes intellectuelles . Tant sa capacité céphalique supérieure que ce que l’on comprend de ses circonvolutions cérébrales le feraient croire.
Mais il y a bien pire que la dégradation possible du »hardware » cérébral : celle de son »software ». C’est à dire la façon que nous avons, individuellement ou collectivement, de réfléchir et de décider. Qu’on ne se méprenne pas sur ma démarche : il m’a fallu de très longues années de recherche, d’enseignement, de pratique, d’expériences (parfois cuisantes), d’observation et de réflexion pour aboutir à cette conclusion. De plus je suis bien loin d’être le plus compétent à exprimer cette idée.
La première cause de la régression intellectuelle c’est le système éducatif : non pas par la faute des enseignants qui font de leur mieux dans un cadre difficile, tendu ou coercitif, mais en raison des normes éducatives, imprégnées d’idéologies désastreuses : le pégagogisme, le relativisme, le superficialisme, l’internationalisme, l’utilitarisme professionnel, le technologisme, la négation du réel et de l’histoire. Ils sont nombreux ceux qui ont dénoncé cette décadence, de Jacqueline de Romilly à Brigehlli, de Michéa à Antoine Prost, sans oublier les enquêtes sur la baisse du niveau des élèves, PISA et Pirls. Mais ce qui parait être le plus grave ce n’est pas tant la baisse cognitive, aisément mesurable, que la baisse »intellective » non-étalonnable . Du Moyen Age, héritier de l’Antiquité, jusqu’au XIXe siècle, la base pédagogique se fondait essentiellement sur les disciplines du trivium et du quadrivium . Ces disciplines de base comportaient la grammaire, la dialectique (aristotélicienne, et donc la sémantique), et la rhétorique. Maîtriser le sens des concepts et des mots, et la façon de les associer logiquement selon la méthode de raisonnement de Descartes (ou encore de Spinoza, Stuart Mill). Rien de tout ceci n’est plus enseigné, même pas dans les facultés de droit, ni même désormais -nous dit un haut magistrat- à l’ENM qui privilégie à présent le »technico-juridisme » au détriment de »l’intelligence, le doute, l’humanité, l’écoute… » Supprimer l’ENA et l’ENM ne seraient pas, en soi, la solution : mais les réformer pour y privilégier le sens critique, l’observation du réel, le raisonnement (personnel), le sens du bien commun, la créativité seraient les urgences. On pourrait ajouter que le passage par l’ENA devrait interdirait aux serviteurs de l’état de faire de la politique ce qui conduit inévitablement au conflit d’intérêts, au carriérisme. Et que l’ENM n’accueillerait que des avocats ayant 20 ans de barre ; et que ces derniers devraient faire un stage de deux ans en tribunal avant d’exercer l’avocature. En définitive ce sont tous les concours de recrutement et l’accès aux postes de responsabilités qui sont à révolutionner tant la France est seule à les pratiquer avec les lamentables résultats que l’on voit.
Mais le contexte social est aussi en cause : »Comment sommes nous devenus si cons ? » s’interroge de façon crue le linguiste Bentolila. Citons le : »Nous sommes devenus cons parce que nous avons renoncé à cultiver notre intelligence commune comme on cultive un champ pour nourrir les siens. Oubliés le questionnement ferme, le raisonnement rigoureux, la réfutation exigeante ; toutes activités tenues pour ringardes et terriblement ennuyeuses. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : nous sommes devenus – parents, enseignants, politiques – incapables de mener les batailles nécessaires : celles dont on accepte de ne pas voir l’issue, en étant heureux que d’autres – nos élèves, nos enfants, nos rivaux d’aujourd’hui – les poursuivent parce qu’elles sont essentielles. Du » à quoi bon ! » au » après moi le déluge ! » il n’y a qu’un pas que nous franchissons chaque jour allégrement en nous vautrant dans la prévisibilité d’un audiovisuel débile, en nous abandonnant à l’aléatoire dangereux du web, en acceptant que notre école devienne une machine de reproduction sociale, en tolérant que nos politiques insultent quotidiennement notre intelligence, en laissant enfin abîmer le sacré jusqu’à en faire un masque hideux. Et nous livrons ainsi nos propres enfants à l’inculture et à la crédulité »… La plupart des médias, préoccupés des intérêts de leurs maîtres financiers, ou de l’audimat (ce qui est la même chose), entretiennent cet abaissement généralisé.
Enfin il y a, dans les services publics et les entreprises, des structures décisionnaires qui pratiquent des processus de travail et de décision, archaïques et très contre-productifs, ainsi que l’expliquait Michel Crozier (La crise de l’intelligence).
Il est certain que »l’esprit soixante-huitard », les apories de la prétentieuse prétendue »french theory » , les déconstructivismes et contextualismes fumeux, d’Althusser, Beauvoir, Derrida, Foucault, Lacan, ont engendré, par un effet de meute, une pensée unique, autarcique et stérile, quand elle n’est pas menaçante. Quand elle n’a pas suscité aussi sa police de la pensée, une inquisition avec procès d’intention, précédant le bûcher médiatique et éditorial, que les plus obscurs zélateurs traduisent par de simples invectives allant du : »facho ! » (indémodable depuis 50 ans), au plus récents mais tout aussi intolérants, diffamatoires, creux et dangereux, issus du phobophobisme : (euro- xéno- homo-) ou les grands classiques en »isme » (rac-,popul-, national-, protectionn-). Une pensée rétrécie au slogan. Et des attaques ad hominem qui traduisent la faiblesse et la lâcheté.
Pourtant la planète, l’Europe, la nation, demeurent affrontées à des questions majeures rémanentes et, à présent, urgentes et nouvelles, dont la solution exige que l’intelligence les aborde et les résolve de façon rationnelle, pénétrante, généreuse et vigoureuse. En plus des problèmes politiques économiques et sociaux traditionnels, en effet, nos sociétés sont, à présent confrontées à des questions graves et urgentes : comment organiser les territoires et les droits des peuples qui y vivent ? Peut-on laisser faire tout ce que la technique rend possible ? La surpopulation planétaire, les migrations de masse, le gigantisme urbain, la sur-pollution, l’épuisement des ressources naturelles, le mondialisme, la spéculation commerciale, sociale, financière, le transhumanisme…
Développer la planète et l’humanité a demandé des siècles de progrès incessants de l’intelligence et des sciences . Désormais, au moment où l’intelligence recule, n’est-il pas temps de se demander comment redevenir intelligents ? Et comment valoriser cette intelligence retrouvée ? Certainement avant tout en respectant le sens des mots de même que les mathématiciens respectent les valeurs des chiffres. La querelle des universaux fait rage depuis 2500 ans et recommence perpétuellement. Pourtant Platon (et aussi Confucius à 8 000 km) l’avaient – pensait-on – tranchée une bonne fois, il y a 25 siècles : ne pas respecter le sens des mots accroît les malheurs du monde. Encore faut-il commencer à réhabiliter ce sens des mots : qu’est ce qu’une nation ? Le vivre ensemble ? Qu’est-ce que l’économie, la monnaie, la finance, l’entreprise, ? Qu’est-ce que la famille, l’instruction, la science ? Qu’est-ce que la démocratie ?
Inversement, retrouver et respecter le sens des mots et des réalités qu’ils définissent ne pourrait-il pas rendre possible le bonheur du monde ?
http://reveil-francais.fr/2019/05/la-france-est-elle-de-moins-en-moins-intelligente/