Temps incertains et passionnants, faits de continuités et de recompositions, d'alliances inamovibles ou d'étonnants retournements de veste...
Le limogeage de John Bolton continue de faire couler de l'encre. Peut-être trop d'ailleurs car, malgré l'erratisme du Donald, il n'est pas du tout sûr que Washington change de ligne du jour au lendemain. Ces précautions d'usage formulées, le toujours excellent Bhadrakumar s'essaie au petit jeu du qui gagne/qui perd. A première vue, le débarquement du néo-con moustachu est une bonne nouvelle pour l'Iran et pour la Chine, une mauvaise pour Israël. Quant à la Russie, c'est business as usual.
Curieusement, et contrairement à la grande majorité du Deep State US, Bolton n'a en effet jamais présenté Moscou comme l'ennemi absolu à abattre. Ceci ne devrait nous étonner qu'à moitié, tant il est vrai que l'Etat profond, constitué de courants variés, n'est pas un tout homogène. Si sa stratégie fondamentale - diviser l'Eurasie - est forgée dans le bronze, les moyens pour y arriver font l'objet de débats et de divisions parfois importantes.
A ceux (establishment de la CIA, hauts pontes Démocrates) qui considèrent l'ours comme la Némésis suprême s'oppose la branche "kissingérienne", souhaitant au contraire jouer la Russie contre la Chine. Cette ritournelle est dans l'air depuis quelques années, autour de revues influentes (The National Interest), depuis que la folie des grandeurs impériale de la fin des années 90 puis les gaffes bushesques et obamesques ont fortement rapproché Moscou et Pékin.
Cette stratégie consistant à diviser les deux poids lourds continentaux est un grand classique de la thalassocratie anglo-saxonne. En 1900, âge d'or de l'Angleterre victorienne, Joseph Chamberlain (père de Neville, signataire des fameux accords de Munich en 1938), résumait parfaitement l'objectif fondamental de l'empire maritime : "Il est de notre intérêt que l'Allemagne s'oppose aux Russes. Notre principale crainte est de les voir s'allier. Nous devrions faire tout notre possible pour accentuer la cassure entre l'Allemagne et la Russie, ainsi qu'entre la Russie et le Japon". Londres tentait tour à tour, selon ses gouvernements, de s'allier avec l'Allemagne contre la Russie ou avec la Russie contre l'Allemagne, l'essentiel étant que ces deux-là demeurent dans des camps opposés.