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Le désordre mondial : 3/3

Source : Entretien publié par le magazine Rébellion

En réalité, le principe de séparation des pouvoirs tel que mis en œuvre par les institutions issues du XVIIIème siècle est la pure et simple négation du concept de « pouvoir politique ». Le pouvoir que les principaux financiers ont pris sur les États est, par ailleurs, de type autoritaire car il est réellement dépourvu de tout contrepouvoir effectif. Ce phénomène est dû à l’anonymat dont ont su s’entourer les banquiers-commerçants à la manœuvre.

Les cryptomonnaies comme le Bitcoin sont-elles des alternatives au système financier ?
Pour répondre à cette question il faut revenir aux fondamentaux de la monnaie et plus particulièrement à la raison de son apparition sur Terre il y a fort longtemps. Avant même d’être matérialisée, la monnaie a toujours été un concept comptable, une unité de compte servant à mesurer la valeur des biens échangés de façon à faciliter les échanges, c’est-à-dire les flux de biens et services sur un territoire déterminé. Initialement, la monnaie n’est pas une réserve de valeur au sens où elle n’a pas, en soi, de valeur propre ; elle est un simple instrument de mesure de la valeur des biens et services. Pour être utile, le concept de monnaie doit donc être accepté par tous ses utilisateurs, il devient dès lors une institution publique de nature politique.

Peu à peu, la monnaie a pris l’habitude de s’incarner dans un bien matériel, bien variable d’une région à l’autre, d’une culture à l’autre. Coquillages, bétails, simple bâton gradué ou métaux rares… En occident ainsi qu’en orient, la monnaie s’est de plus en plus souvent incarné dans l’or ou l’argent, laissant à son émetteur la possibilité de modifier le poids et le contenu précis du métal ou de l’alliage utilisé lors de la réalisation des pièces ; ce principe a donné lieu à l’expression « battre monnaie » ainsi qu’au droit de seigneuriage qui donne à l’émetteur de la monnaie un avantage financier qui consiste en la détermination de la valeur initiale de la monnaie émise (laquelle pouvait différer de la valeur résultant du poids du métal précieux utilisé). Peu à peu, le concept monétaire a fini par être assimilé au vecteur matériel utilisé pour sa circulation, en l’occurrence l’or ou l’argent. Dans le même temps, au cours du Moyen-Âge, les orfèvres ont pris le monopole sur le commerce des métaux précieux et, faisant commerce desdits métaux, sont devenus des fournisseurs de crédits, c’est-à-dire des banquiers au sens moderne du terme (les fameux « banquiers-commerçants »).

C’est ainsi que de glissements sémantiques en habitudes commerciales, les orfèvres changeurs du Moyen-Âge sont devenus, à la faveur de la lutte politique entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel (cf. le conflit entre guelfes et gibelins), les fournisseurs monopolistes de la monnaie conçue comme ayant une valeur intrinsèque. Loin du concept politique initial, la monnaie est devenue un bien matériel accaparé par une caste particulière de commerçants. Or, accaparée, la monnaie devient inapte à remplir le rôle pour lequel elle avait été créée et qui était de faciliter les échanges. La monnaie appropriée par les banquiers ne rend de services qu’à ceux qui la contrôle, c’est-à-dire les banquiers commerçants qui décident dès lors de l’affectation des ressources monétaires et donc de ceux qui pourront ou non, et à quelles conditions, bénéficier de la ressource monétaire.

Pour répondre à la question posée, il convient d’analyser le concept de « Bitcoin » et de « cryptomonnaie » à l’aune de ces brèves explications.

Premièrement, les « bitcoins » et autres cryptomonnaies sont conçues comme étant dès l’origine des réserves de valeur. Ce premier problème induit le fait – sans même parler de la réalité plus ou moins probante de la valeur de la cryptomonnaie en question – que cette monnaie pourra faire l’objet de spéculation. Or, la spéculation permet l’appropriation de la monnaie, ce qui est, par essence, un empêchement rédhibitoire au rôle de facilitation des échanges qui est celui d’une monnaie.

Deuxièmement, certains types de cryptomonnaies (dont les Bitcoins), sans parler des possibilités multiples de piratages dont elles peuvent faire l’objet au moment de la circulation des données, requièrent de vastes ressources énergétiques. Ceux qui contrôlent l’énergie nécessaire à la circulation des Bitcoins pourront donc, d’une façon ou d’une autre, contrôler cette monnaie. Ici encore, on se heurte à la question de l’indépendance politique problématique de telles monnaies.

Troisièmement, on a vu qu’une monnaie au sens initial est, par essence, une institution politique car elle nécessite son acceptation par tous ses usagers, ce qui est la condition essentielle permettant la facilitation des échanges économiques. S’agissant de cryptomonnaies, rien n’impose a priori aux individus d’accepter une cryptomonnaie plutôt qu’une autre. Les usagers vont rapidement se heurter à la multitude des offres disponibles, générant une complexité qui s’oppose au rôle de facilitation des échanges que doit remplir une monnaie saine. Seules les cryptomonnaies dites d’État, c’est-à-dire générées par les États, pourraient remplir le rôle politique d’une monnaie, à condition que cette cryptomonnaie ne soit pas sous l’emprise d’intérêts particuliers et qu’elle soit effectivement soumise à un véritable contrôle politique, ce qui ne pourrait s’entendre que d’État émetteur, eux-mêmes de véritables entités politiques. On a vu que tel n’était pas le cas des États occidentaux, ainsi d’ailleurs que de la plupart des États du monde.
Il résulte de l’analyse ci-dessus que les cryptomonnaies en générale et les Bitcoins en particulier ne répondent à aucune des conditions d’existence d’une monnaie saine.

La déliquescence du secteur bancaire mondial est-elle pour vous le signe d’une prochaine crise financière d’importance ?
Ce que vous appelez la « déliquescence du secteur bancaire mondial », dont j’ai explicité les tenants et les aboutissants lors des questions précédentes, est le signe évident d’une future et très proche vaste spoliation des particuliers et des PME. Elle n’est nullement le signe d’une disparition du système financier mais au contraire le signe d’un resserrement du contrôle de ce secteur par quelques organismes financiers. Le secteur financier va se concentrer dans le même temps que l’argent disponible pour les particuliers et les petites entreprises va se raréfier. Concrètement, seuls les plus gros acteurs financiers survivront à la « crise » en cours. Ces acteurs, qui auront pris soin de rematérialiser la monnaie en l’adossant à des biens matériels tangibles accaparés (or, pétrole…), profiteront de la crise pour imposer une dématérialisation totale de la circulation monétaire, resserrant au passage leur contrôle sur la vie des particuliers et des PME.

La « crise » sera une aubaine pour réduire encore les contrepouvoirs politiques à la domination des banquiers commerçants…

Quel est votre définition de l’ « État Profond » qui est derrière le phénomène de globalisation ?
Ce que certains géopolitologues (tels Peter Scott Dale) appellent « État profond » est in fine la caste des banquiers commerçants qui a pris le contrôle politique en occident à l’occasion des Révolutions du XVIIIème siècle ; Révolutions que nous pourrions aujourd’hui qualifier de premières « Révolutions colorées » du monde.
Cette caste d’arrivistes a pris le soin de cacher sa domination par des subterfuges la mettant à l’abri de toute responsabilité publique, ce qui lui a procuré un contrôle politique total en toute impunité. C’est cette caste poursuit inlassablement, depuis trois cents ans, le basculement du monde dans un système politique centralisé entre ses propres mains.

Les banquiers-commerçants ont utilisé différentes armes pour asseoir leur domination politique, parmi lesquelles : le contrôle des monnaies, le libre-échange (qui est l’avènement juridique de la loi du plus fort économique), l’anonymat… et, bien sûr, un système d’institutions politiques à leur mesure (comme détaillé plus haut). Leur plus grand ennemi actuel est l’État, aussi poursuivent-ils inlassablement la disparition des États politiques pour imposer des États fantômes voués à disparaître à court ou moyen termes. Leurs outils sont de nature économique, juridique (droit anglo-saxon), ainsi que militaire (armées officielles, pactes militaires tel que l’OTAN) et paramilitaires (djihadistes et autres terroristes).

Dans votre livre, vous expliquez les concurrences au sein de l’oligarchie mondialiste. L’opposition entre la City et l’impérialisme américain est-elle, pour vous, un tournant historique ?
Davantage qu’un véritable « tournant historique », la récente opposition entre la City et les intérêts impérialistes américains représente une étape de plus dans la réalisation de la prise de contrôle mondiale absolue par la caste des banquiers commerçants. Nous assistons au déroulement d’un plan savamment conçu consistant à créer un problème avant de le résoudre dans le sens, bien compris, des intérêts spécifiques à cette caste. En l’occurrence, il ne faut pas oublier que les grands banquiers internationaux sont précisément à l’origine du développement des impérialismes britannique puis américain. Ils sont aussi, plus récemment, à l’origine du développement de la Chine sur le même modèle impérialiste. Ils ont également été à l’origine de l’empire napoléonien et de sa disparition, comme ils sont à l’origine de la disparition de tous les empires géo-centrés qu’ils avaient créés.

D’un point de vue méthodologique, le même schéma se retrouve au niveau du problème réglementaire. Alors que l’OMC impose le libre-échange mondial en œuvrant activement à la disparition des barrières réglementaires, c’est-à-dire aux réglementations étatiques protectrices des consommateurs de bien et des usagers de services. Les banquiers-commerçants financent dans le même temps des organisations non gouvernementales chargées de militer et d’œuvrer à l’élaboration d’une réglementation mondiale pour protéger le climat des dérèglements imposés par l’OMC. Cette méthode, très efficace, consistant à maîtriser les deux pans de la dialectique, permet à la caste de banquiers commerçants de générer artificiellement une demande mondiale de réglementation internationale ; demande à laquelle il ne pourra être correctement répondu que par la création d’un gouvernement mondial puisque les États auront, entre-temps, été neutralisés par les règles de l’OMC.

Dans l’hypothèse d’un développement ayant ses origines dans la finance, les empires géo-centrés ne doivent jamais oublier que leur développement sera immédiatement suivi de leur disparition car telle est la volonté des maîtres financiers. Les banquiers-commerçants ont, de tous temps, créé sous leur contrôle exclusif, des Frankenstein politiques de plus en plus gros (ville, État, puis Empire) avant de les détruire de façon à se rapprocher de leur objectif ultime du Frankenstein mondial (gouvernement mondial).

Si l’impérialisme géo-centré – dont l’impérialisme américain – est évidemment en soi un problème, l’impérialisme financier nomade est un problème encore beaucoup plus important auquel va, bientôt, devoir faire face l’humanité toute entière.

Quelle est le rôle de l’Union Européenne dans cette guerre interne au système ?
Formalisées sous contrôle américain, les institutions de l’Union Européenne trouvent en réalité leur origine dès la première partie du XXème siècle dans la domination déjà mondiale des grandes institutions bancaires. Cette « union économique européenne » avait d’ailleurs été initiée par un juriste nazi, Walter Hallstein, qui fut également, ultérieurement désigné comme le premier Président de la Commission européenne.

Il ne faut donc pas confondre la domination américaine sur l’Europe, qui a concrètement permis le développement du projet d’institutions européennes, et l’impérialisme américain lui-même, bien que les deux soient étroitement imbriqués lors de la signature du Traité de Rome le 25 mars 1957. L’actuel divorce entre les banques de la City et l’empire américain rend nécessaire cette précision, superflue en 1957.

En effet, le « Brexit » qui n’en fini pas de ne pas se produire, a été initié par certains grands acteurs financiers de la City of London dans l’objectif du changement de monnaie mondiale et du rabaissement du statut international à la fois du dollar US et de l’empire US lui-même. L’enjeu politique du « Brexit » est le suivant : les institutions financières de la City doivent s’affranchir du carcan réglementaire européen, dans le contexte où les institutions elles-mêmes restent largement sous domination de l’empire américain, afin de piloter librement le passage aux DTS, en tant que future monnaie mondiale. L’idéal, pour les banquiers de la City aurait sans doute été que le gouvernement britannique reste inclus dans les institutions européennes pendant que les financiers s’en affranchissaient. Toutefois, l’interpénétration historique entre financiers et gouvernement britannique ne permet pas la réalisation d’un tel scénario.

Pour les banquiers de la City tenants du globalisme, l’essentiel est que l’extraction de la Grande-Bretagne du carcan européen ne puisse servir ni de prétexte ni de modèle à d’autres États ; les institutions européennes doivent, à tout prix, persister tandis que la monnaie mondiale, intégrant l’euro et la livre comme deux de ses cinq grandes composantes, sera modifiée.

Un pas plus loin, le Brexit devra également servir de détonateur permettant de renforcer l’intégration des anciens pays européens afin, concrètement, d’acheminer lesdites institutions vers un fédéralisme intégral – lequel suppose la disparition, par démantèlement, des États unitaires comme la France.

Vous donnez un véritable programme de renouveau national dans votre livre. Comment revenir à une société plus juste et harmonieuse ?
Le retour à une société plus juste et harmonieuse n’est conceptuellement pas difficile, ce qui est difficile est :

. de positionner clairement la problématique et
. de générer un contrepouvoir politique à la domination exclusive des banquiers commerçants !

Une fois la question posée dans les bons termes, la solution paraît évidente. Elle se compose de deux versants ; de la même façon que le problème a été élaboré par la caste des banquiers commerçants selon deux facettes.

Un versant institutionnel : aucun retour à une société harmonieuse ne pourra se faire sans avoir revu, de fond en comble, l’organisation politique de la société.
Un versant technique qui est la disparition des piliers de la domination financière que sont :

. la captation du contrôle monétaire par des organismes privés,
. l’organisation juridique de l’anonymat des véritables décideurs politiques,
. la suprématie du droit commercial – devenu, artificiellement, un véritable Ordre politique – sur le droit civil, qui représente l’Ordre politique naturel.

Nous avons donc à faire à une solution beaucoup plus politique que juridique ou économique. Car historiquement, le droit et l’économie ne sont que des outils permettant l’élaboration d’une ligne de conduite politique.

La politique, qui consiste en la régulation des forces sociales en présence sur un territoire déterminé, doit reprendre la maîtrise des outils juridiques et économiques. Si la force sociale est captée par des intérêts privés, comme c’est actuellement le cas, le phénomène politique n’existe pas… pas plus que n’existe la possibilité d’une civilisation. Phénomène politique et civilisation sont intimement liés ; ils sont tous deux axés autour de la délimitation d’un intérêt général commun, de biens communs et de la limitation des appétits individuels ou émanant d’une caste particulière c’est-à-dire sur la détermination politique de contrepouvoirs.

Valérie Bugault est Docteur en droit, ancienne avocate fiscaliste, analyste de géopolitique juridique et économique.

Fin

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