Populiste ? Katalin Novak est ministre de la famille dans le gouvernement de Viktor Orban et vice-présidente de son Parti le Fidesz. Elle défend la famille et la sociabilité hongroise. Avec pragmatisme, elle veut la stabilité de la Hongrie au sein de l’UE.
Propos recueillis par Jeanne Smits et Olivier Figueras
La Hongrie est en tête de l'investissement dans la politique familiale pour les pays de l'OCDE. Croyez-vous cet investissement favorable à l'économie ?
J'apprécie beaucoup que vous parliez d'« investissement », parce qu'habituellement, on utilise le mot « dépense ». Quant à moi, je n'utilise jamais l'expression « dépense » à propos du budget de la famille parce que je pense qu'il s'agit du meilleur investissement possible. C'est un investissement dans notre avenir, dans nos enfants.
Bien sûr, tout cela a un aspect économique. Économiste moi-même, je suis pour une économie durable on parle toujours de croissance durable en évoquant avant tout des éléments environnementaux, mais on a d'abord besoin de gens, on a besoin d'enfants pour créer une nation ou une société durable. Je viens de lire que l'année dernière, selon les statistiques, pour la première fois dans le monde le nombre des personnes de plus de 65 ans a dépassé celui des enfants de moins de 5 ans. Il y a un vieillissement partout, surtout dans le monde développé - qu'on appelle développé, mais qui est en fait fragilisé par ce vieillissement.
Vous affichez votre réussite au niveau des mariages, qui sont en hausse, les avortements sont en baisse, le nombre de naissance est en train de croître aussi. Cela n'entraîne-t-il pas un besoin de développement des structures scolaires, éducatives, de la santé, etc. ?
Malheureusement, étant donné que notre pays connaît un déficit démographique depuis près de quatre décennies, il y a de moins en moins de jeunes en période de fécondité. Il y a donc de moins en moins de jeunes qui ont des enfants même si le taux de fécondité augmente. Celui-ci atteint désormais près de 1,5 enfant par femme - ce n'est pas très élevé, bien sûr, mais ce l'était encore moins au cours des vingt dernières années. Ce taux a augmenté de 20 % depuis 2011, mais en raison des tendances lourdement négatives de notre démographie, il n'y a pas chaque année un grand nombre de naissances supplémentaires. Ce manque d'infrastructure pour accueillir plus d'enfants, c'est une question qui ne se pose pas à court ou à moyen terme. Mais à long terme, oui, nous l'espérons bien. Ce serait la meilleure nouvelle possible pour nous !
Vous avez insisté sur le fait qu'il s'agit de donner aux gens le choix. Dans le reste de l'Europe occidentale, on fait le choix de l'immigration. Le lien entre la démographie et l'immigration y est d'ailleurs ouvertement établi. Pensez-vous que l'on puisse exporter la politique familiale hongroise dans les pays européens qui subissent un tel schéma ?
Je répondrai en trois points. Premièrement, il y a un vrai conflit entre l'immigration et la natalité, parce que l'immigration, dans la plupart des pays qui en font la promotion, est vraiment une réponse apportée à la crise démographique même si on ne le dit pas exactement en ces termes. On parle du manque de main d'oeuvre, mais c'est bien la démographie qui est en cause. On essaie de résoudre les problèmes démographiques dans ces pays-là en promouvant l'immigration. Je pense que ce n'est pas la bonne réponse. La bonne réponse concerne une question qui n'a jamais été posée pourquoi les jeunes Européens n'ont pas d'enfants ? C'est celle, je pense, dont on devrait parler. On ne le fait pas.
Deuxième point : peut-on exporter cette politique familiale ? C'est aux peuples de répondre, selon leur choix. Il faut qu'ils puissent partout choisir choisir un pouvoir politique au niveau européen ou au niveau national. Qu'il soit pro-immigration ou anti immigration, en soi peu importe, ce qui compte c'est que la réponse vienne du peuple. La liberté du choix est une vraie question dans les pays où l'on voit déjà les conséquences de l’immigration massive. En Hongrie, il n'y a pas d'immigration de masse, nous ne l'expérimentons pas dans notre environnement. C'est que les Hongrois ont apporté une réponse très claire à cette question ils disent que nous ne devons pas choisir cette voie de l'immigration massive. Ce choix leur appartient.
Troisièmement, je suis tout à fait d'accord pour dire que notre politique familiale en Hongrie est pour la liberté. Je dirais aussi que la politique familiale « libérale », si tant est qu'elle existe, oblige les jeunes femmes à se concentrer sur leur vie professionnelle, à avoir les mêmes résultats, au même moment, que les jeunes hommes. Il y a toujours cette comparaison entre les femmes et les hommes au même âge, qu'il s'agisse des salaires ou d'autres choses, qui pousse les femmes à se concentrer sur leur carrière professionnelle et leur vie professionnelle, et à reporter la maternité. Elles sont du coup conduites à choisir entre les deux : soit l'une, soit l'autre. Sacrifier la carrière à la maternité, ce n'est pas une bonne chose. Sacrifier la maternité à la carrière non plus.
Vous avez mis en évidence l'aspect culturel de la question familiale. Est-ce par rapport à l'égalitarisme homme-femme que vous dites cela ? Par exemple en Europe occidentale, peut-on dire qu'on a bourré le crâne des jeunes pour les détourner de cet idéal familial ?
C'est exactement ce que j'ai voulu dire. Lutter pour les droits des femmes, c'est encore maintenant, dans beaucoup de pays, une lutte importante. Mais si cette lutte pour le droit des femmes veut dire qu'on abandonne les privilèges des femmes, alors, je pense que cela ne vaut pas la peine. C'est le privilège des femmes d'avoir des enfants, ce sont elles qui vivent la grossesse, la naissance, l'allaitement. Ce sont nos privilèges, des privilèges que nous, les femmes, devons vraiment sauvegarder. Que les femmes aient le maximum de chances sur le marché du travail, c'est important. Mais si une femme choisit la maternité comme carrière, c'est aussi un choix légitime. Je pense que nous devons vraiment donner le choix aux femmes, économiquement, mais aussi culturellement.
Le Royaume-Uni, dont le gouvernement est pourtant plus proche de Bruxelles que le vôtre, cherche à quitter l'Union européenne. Vous, vous préférez y rester. N'y a-t-il pas là une sorte de paradoxe ?
Nous nous confrontons à l'élite européenne - ou du moins à une partie de celle-ci - mais je pense que ce conflit peut être productif. Pour nous, Hongrois, c'est une nécessité d'être au sein de l'Union européenne. Nous avons eu un régime communiste pendant quarante ans. Nous étions tout à fait exclus de la famille européenne. Nous ne pouvions même pas voyager. Nous sommes au cœur de l'Europe géographiquement. Des milliers de liens nous rattachent non seulement à nos voisins, mais aussi aux pays européens depuis des siècles. Notre économie est également liée très fortement à l'Europe, exportations et importations.
Mais les raisons économiques ne sont pas seules en cause. Il y a également des raisons historiques. Pour nous Hongrois, pouvoir voyager, étudier, circuler librement au sein de l'Europe, c'est vraiment quelque chose qui nous a été offert grâce à notre entrée dans l'Union européenne. C'est donc très important, même si nous sommes critiques à l'égard du fonctionnement de l'UE, de ses institutions, et du mode de prise de décisions.
Mais vouloir créer une Union plus forte que jamais, sans sauvegarder les Etat-nations et leur souveraineté, comporte - je le souligne - bien des aspects négatifs. Nous voulons sauvegarder notre souveraineté et nous le ferons - afin que l'UE ne s'impose pas dans chaque domaine, sur toutes les questions. Par exemple, pour ce qui est du fonctionnement des institutions, nous voulons que les décisions soient prises au niveau du Conseil européen, et non pas par les autres institutions. Nous voulons aussi, pour l'essentiel, que ces décisions soient prises à l'unanimité. C'est pour nous un point très important. Il y a donc beaucoup d'éléments critiques.
Comment réformer cette Europe ? Quitter l'Union n'est pas une solution pour nous, Hongrois - nous sommes un pays de 10 millions d'habitants, de 93 000 kilomètres carrés, nous connaissons notre taille, nous connaissons notre population, nous connaissons notre influence. Tenant compte de tout cela, nous pensons que, pour nous, Hongrois, il vaut mieux rester au sein de l'UE, et être critiques si nécessaire de l'intérieur, pour la réformer.
Alors, comment y parvenir ? Il faut par exemple gagner les élections européennes, non seulement en Hongrie, mais aussi au niveau européen. Il sera très important de l'emporter, que nos partenaires qui partagent nos idées l'emportent aussi chez eux, car, avec ces pouvoirs, nous pourrons lancer un vrai débat et une vraie réforme.
Le Premier ministre japonais Shinzo Abe était en Europe fin avril. Il a tenu à venir en Slovaquie rencontrer spécifiquement les quatre pays du groupe de Visegrad, en arguant de la stabilité de leur économie. Comment un pays comme la Hongrie parvient-il à cette stabilité économique, quand des pays plus importants, comme la France, n'y parviennent pas ?
En fait, je pense que cela nous donne aujourd'hui une chance, à nous, pays de Visegrad (Hongrie, Tchéquie, Slovaquie, Pologne NDLR). Si on compte ces quatre pays en population, en poids économique, ils ont un poids significatif. Nous avons déjà une voix commune qui peut permettre de changer les choses. Quelle en est la raison ? La chose peut varier selon les pays, mais nous avons besoin de stabilité politique et économique, comme cela est le cas dans certains pays d'Europe centrale aussi.
En Hongrie, nous avons une stabilité politique et une politique économique cohérente et constante depuis neuf ans. Nos prélèvements obligatoires ne cessent de baisser, et cela profite aux familles. Nous menons en Hongrie une politique concentrée sur le travail, qui apprécie le travail à sa juste valeur - et nous avons fait baisser le taux de chômage d'au-delà de 11% à 3,5%,un taux presque nul. Travail et famille, ce sont les deux éléments les plus importants qui caractérisent notre politique économique.
monde&vie 23 mai 2019