Franck Buleux cliquez ici
La réforme des retraites a prévu un âge pivot modulable mais général, c’est-à-dire qu’il serait lié à l’équilibre financier du système national de répartition mais général, c’est-à-dire appliqué à toutes et à tous. L’âge-pivot, c’est celui auquel on peut prétendre à une retraite à taux plein, taux plein qui n’est en rien le montant de votre revenu d’activité, bien évidemment, mais un revenu dit de remplacement (le terme « remplacement » étant connoté, on parlera de substitution). On utilise le terme de « pivot » parce que l’on perçoit moins si on liquide sa retraite plus tôt que cet âge défini par décret (ce qui évite le vote annuel d’une loi par le Parlement en laissant la main au Premier ministre).
Quelques repères sur cette réforme pour nos lecteurs, d’abord la forme, le projet introduisant cette réforme préparée par le démissionnaire Jean-Paul Delevoye indiquait un article « bis ». Le supprimer n’induit donc même pas une nouvelle numérotation du projet mais la pure et simple suppression de cet article « bis ». Ce simple constat de forme pourrait nous laisser penser qu’il était prévu de supprimer l’éventuel blocage actuel et permettre aux syndicats dits réformistes CFDT et UNSA de se rapprocher du gouvernement.
Mais allons plus loin, l’âge-pivot tant décrié est déjà en place en matière de retraite complémentaire (ARRCO-AGIRC) puisqu’il existe actuellement un malus de 10 % (sur le montant de liquidation de la retraite obligatoire complémentaire des salariés de droit privé) lorsque l’assuré social souhaite se retirer définitivement de l’activité professionnelle avant 63 ans. En revanche, à partir de 64 ans d’âge de départ à la retraite, un bonus financier est appliqué via une majoration de la pension de retraite complémentaire. Or, cette réforme n’a pas fait l’objet, à ma connaissance, d’un tollé général, voire même particulier. Peut-être me direz-vous parce qu’elle ne concerne que les salariés de droit privé ? Quoi qu’il en soit, il est clair et plus honnête de rappeler qu’il est plus sage de demander la liquidation de sa retraite à 63 ans, même si l’âge légal reste fixé à 62 ans. Un simple conseil aux salariés de droit privé, si cela leur est possible, notamment physiquement, bien entendu.
Outre cette règle de bonus-malus destiné aux salariés de droit privé, il existe aussi un âge-pivot, non pas généralisé, mais individualisé dans le calcul de la retraite de base obligatoire. En effet, chaque assuré social bénéficie du taux plein de sa retraite (soit 50 % de la moyenne de son salaire plafonné et calculé sur les 25 meilleurs années) à condition d’avoir validé un certain nombre de trimestres d’activité, en fonction de son année de naissance. À partir de 62 ans, sauf exceptions (carrières longues, invalidité ou critères reconnus de pénibilité), il est donc possible de liquider le montant de son régime obligatoire (celui de l’assurance vieillesse de la Sécurité sociale) mais pour obtenir une optimisation sociale (sans doute un oxymore) il faut patienter un certain nombre de trimestres. Donc, nous sommes bel et bien en présence d’un système pivot individualisé qui s’applique à toutes les personnes concernées par le régime de droit commun (c’est-à-dire hors des régimes spéciaux, qui sont de l’ordre de 42).
Pour conclure et rester synthétique sur ce domaine complexe : il existe un âge-pivot de 63 ans pour liquider sa retraite complémentaire obligatoire et il existe aussi un âge-pivot individuel pour le régime de base obligatoire qui ne permet d’obtenir une pension complète qu’à partir d’un certain nombre de trimestres travaillés ou validés (maternité, chômage, stage, incapacité, invalidité…).
La question de l’âge-pivot reste donc assez trouble car le projet de l’exécutif ne propose qu’une universalisation d’un système déjà général pour les salariés de droit privé, c’est-à-dire environ 20 millions de personnes en France. Aussi, retirer ce « passage » sur l’âge-pivot ne modifie rien pour la plupart des travailleurs. La suppression de l’âge-pivot ne concerne donc pas celles et ceux qui en « profitent » (sic) déjà mais uniquement et spécifiquement, les personnes qui ne sont pas concernés, c’est-à-dire les bénéficiaires des régimes spéciaux.
Pour ce qui concerne les salariés de droit privé, l’âge-pivot existe déjà et pour certains d’entre eux, pour bénéficier d’un taux « plein » à 50 % (plafonné), il faudra attendre 67 ans, considéré comme l’âge de l’automaticité du taux plein. Et encore le calcul comprend-il aussi le nombre de trimestres réellement validés et le nombre de trimestres de référence en fonction de votre année de naissance.
Alors, si certains estiment avoir « gagné » avec la suppression du fameux « âge-pivot », grand bien leur fasse mais ce n’est en aucun cas la perception des salariés de droit privé, véritable armée de la classe moyenne française, celle qui paie toujours et qui vote parfois. Quant à ceux qui « luttent » en refusant toute réforme, y compris l’âge-pivot, ils ne revendiquent aucunement la fin de l’âge-pivot préexistant pour les régimes complémentaires, âge qui permet donc, d’ores-et-déjà, de repousser d’un an, l’âge de la retraite.
Enfin, un mot sur l’âge légal toujours fixé à 62 ans. Mais un droit n’est pas synonyme de pouvoir d’achat. Avoir le droit de vivre pauvrement ou avec moins de revenus est un « droit » de bien piètre qualité. La France qui se vante d’être un État de droit (droits ?) confond la notion très subjective de droit et la réalité, objective, de vivre décemment.
On a le droit d’être en retraite à 62 ans. Le droit de survivre, pas celui de vivre.
Il serait temps que les journalistes et les politiques se plongent dans l’organisation et la gestion des régimes actuels pour pouvoir critiquer le système qui se met en place, qui je le répète est, pour la plupart d’entre nous, déjà bel et bien existant. Dans le silence de la rue et le mépris des syndicats.