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Entretien avec Arnaud Guyot-Jeannin : "Pour une droite intégrale" (2001)

Au moment où la droite est en pleine déliquescence, aussi bien sur le plan idéologique que politique et stratégique, il était urgent que quelques hommes engagés dans la lutte contre le mondialisme et pour la défense des valeurs traditionnelles travaillent sur un ensemble d'études (25 au total), formant ainsi un panorama riche et original de nouvelles résistances et dégageant une possible voie de reconstruction intellectuelle et culturelle. Directeur de l'ouvrage collectif Aux sources de la droite, Arnaud Guyot-Jeannin, également président du cercle « Sol Invictus », a bien voulu faire le point pour R&A en répondant à nos questions.

R&A Quelle est l'opportunité aujourd'hui de redonner un nouveau corpus doctrinal à la droite ?

Arnaud Guyot-Jeannin Parce qu'elle n'en a plus ! La droite a pourtant derrière elle, toute une série de penseurs et d'idées qui devraient lui donner les moyens d'exister, voire même de regarder quelquefois la gauche avec une certaine hauteur Or, il n'en rien. Pourquoi ? Eh bien, parce qu'elle est chaotique, cultivant un certain anarchisme individualiste de type passéiste et/ou providentialiste. Sans parler d'un conspirationnisme récurrent qui l'exonère de tout examen critique de la situation. Elle ressasse tout le temps les mêmes antiennes sur ses trois échecs historiques successifs (1789, Seconde Guerre mondiale, guerre d'Algérie). Trois saignées épouvantables ! Elle les cultive tellement qu'on a le sentiment qu'elle en recherche une quatrième à tout prix. Or, il faut arrêter l'hémorragie ! La droite n'a d'abord aucun complexe à avoir vis-à-vis de la gauche. Ensuite, elle n'a pas à rougir de son action historique, étant donné qu'elle n'est pas unifiée doctrinalement. Le texte de Philippe Conrad sur « La droite, la résistance et la collaboration » est très explicite à cet égard. Enfin, elle doit reprendre l'initiative sur des bases théoriques précises et communes. On lui reproche cette unité fictive lorsqu'il s'agit du passé, alors pourquoi ne pas faire plutôt émerger cette réalité au présent ? Nous en tirerions les avantages et non les inconvénients. Pour arriver à ce résultat, malgré certaines divergences à ne pas négliger, nous sommes quelques-uns dans cet ouvrage à nous affirmer d'une droite spirituelle et identitaire en opposition avec la gauche progressiste et la droite libérale. Je souhaite que nous remportions la bataille des mots en nous réapproppriant le terme de « droite » qui reste une catégorie archétypale très présente dans l'imaginaire collectif et ainsi œuvrer à l'avènement d'une symphonie post-droitière et non simplement, comme c'est souvent le cas aujourd'hui, à concilier un front du refus. Soyons d'abord « pour » avant d'être « contre ». Jean Cau disait « On se pose en s'opposant. » Je souhaite au contraire qu'on s'oppose en se posant. L'expression de « droite intégrale » qu'a forgé Julius Evola me paraît la plus convaincante. On peut aussi à ce titre se revendiquer de penseurs qui ne sont pas explicitement de droite ou qui refusent cette polarité gauche-droite, ce qui est une autre manière d'être de droite sans l'avouer Une certaine pensée de gauche antimarxiste peut même se révéler intéressante à intégrer pour contrecarrer les projets de la modernité mais la hiérarchisation des références s'avèrent indispensable.

R&A Ces dernières années, la politique en France avait été marquée par la montée en puissance (avant son éclatement) de la droite nationale. Du point de vue doctrinal, qu'est ce qui a manqué à cette droite ?

A. G.-J. De posséder un corpus doctrinal et de ne pas être de droite. La formule peut paraître expéditive, mais si l’on veut bien y regarder de près, je suis certain que l’on pourra souscrire à ce point de vue. D'abord, en effet, le Front National fédérait des tendances éparses qui lui faisait ressembler à une auberge espagnole. Il est vrai que c'était un parti politique jouant le jeu démocratique, avec l'obligation de récolter des voix à court terme sans trop regarder les questions d'idées. Ce qui montre aussi, soit dit en passant, certaines limites du combat dans le cadre démocratique.

« Droite nationale » me paraît une expression à contresens. Historiquement, la première droite, la droite contre-révolutionnaire, se montre hostile au nationalisme. Comment dans ces conditions, une droite peut-elle être nationale ? En effet, concernant « La droite et la nation » je m'emploie dans cet ouvrage à commenter leur réelle dissonance. Le nationalisme jacobin de 1789 ne prolonge t-il pas, en la radicalisant, l'œuvre des rois de France qui à partir de Philippe Le Bel, sous prétexte d'unité nationale, supprime petit à petit, par une centralisation toujours plus homogénéisante, la riche multiplicité régionale de la France, jouant du même coup la bourgeoisie contre les féodaux, sapant ainsi aussi sa propre autorité. Le livre de Jean de Viguerie, Les deux patries, malgré certaines timidités, me paraît à cet égard très salutaire pour une remise en question du stato-nationalisme à droite. Le texte très fouillé de J.-J. Mourreau sur « La droite et les régions » illustre aussi ce propos. Mais, on peut poser aussi une autre question à certains « nationaux-libéraux » qui revendiquent l'étiquette droitière comment peut-on être libéral et de droite sachant que celle-ci historiquement est corporatiste s'acharnant à défendre les structures communautaires de la société, c'est-à-dire le bien commun face à l'individualisme ? Plus généralement, concernant le nationalisme, n'est-ce pas José Antonio Primo de Rivera, très primé dans les milieux radicaux défendant cette idéologie qui affirmait « nous ne sommes pas nationalistes, parce qu'être nationaliste est une pure sottise c'est implanter les ressorts spirituels les plus profonds sur un élément physique, sur une simple circonstance physique nous ne sommes pas nationalistes, parce que le nationalisme est l'individualisme des peuples » ?
Je tiens aussi à préciser que face à la mondialisation capitaliste en général et à l'hégémonie américaine en particulier, le nationalisme d'un côte ou l'escroquerie souverainiste de l'autre, représentent non seulement des réponses anti-spirituelles anti-identitaires mais également des réactions hexagonales désespérées. En effet, l'universalisation planétaire des flux financiers, boursiers, informatiques, communicationnels, ne peuvent qu'avoir raison de la « France seule » Seule une Europe impériale reposant sur des bases spirituelles et identitaires, puis économiques et monétaires, pourra être le rempart contre la globalisation et les superpuissances de négation de l'être.

Pour répondre à votre question dans sa totalité, il me paraît aussi important de souligner qu'avant qu'il n'éclate, le Front national était devenu le premier parti ouvrier de France. Or il était dans l'incapacité de délivrer un vrai message social en direction des milieux populaires en plébiscitant la rue par exemple. Certains dirigeants ou militants s'y sont essayés, quelquefois avec succès, mais globalement, national-populisme et libéralisme protectionniste à l'extérieur mais compétitif et ultra-utilitarisme à l'intérieur ont fait bon ménage. Cela dit, plus prosaïquement, ce sont bien évidemment des facteurs humains plus doctrinaux qui ont entraînés la crise du FN.

R&A La décadence de l'Europe semblant inéluctable puisqu'encouragée, voir même provoquée par la gauche et la droite courbe, peut-il y avoir encore une porte de sortie pour une droite authentique et quelle stratégie pourrait-elle utiliser ?

A. G.-J. L'Europe qui se fait actuellement me semble pire que décadente. Elle est parodique. Il y a déjà plus de cinquante ans, René Guenon parlait dans son livre Le règne de la quantité et les signes des temps de « contrefaçon de l'idée traditionnelle du Sanctum Regnum » et même de parodie du « Saint-Empire, organisation qui doit être l'expression de la "contre-tradition" dans l'ordre social ». Quelle prophétie ! L’Europe mondialiste, pro-américaine, technocratique et financière ne peut pas trouver notre assentiment. Jean Mabire a raison lorsqu'il décrit le paradoxe suivant « les Européens les plus authentiques sont hostiles à l'idée d'Europe que défendent les Européens les moins enracinés ».

Le nationalisme, l'européisme et le mondialisme qui l'instrumente, sont les trois formes d'expressions politiques qui semblent avoir un faible écho, mais un écho quand même, au niveau des masses. C'est pourquoi, je crois que la politique politicienne n'a au fond pas d'intérêt et que plus largement nous devons engager un combat non plus national, mais universel, européen et local. Nous pouvons réfléchir et faire réfléchir en distillant des grains de sables dans toutes les zones de proximité qui peuvent permettre d'enrayer la megamachine moderne et créer ainsi avec les derniers « convives de pierre » (Evola) les conditions d'une  alternative possible au moment de la fermeture de notre cycle obscur mais obligatoire prélude à l'ouverture d'un nouveau cycle lumineux. Après l'hiver le printemps ! L'adage de Bernard Charbonneau, passé des non-conformistes des années 30 à l'écologie intégrale après 1945 peut être indexer sur notre vision du monde politico-religieuse « Penser globalement, agir localement ». Dans l'absolu, je milite pour l'existence d'une France Royale au sein d'une Europe Impériale légitimée par le catholicisme traditionnel, seul axe civilisationnel où les hommes s'épanouissent en s'élevant vers Dieu, tout en disposant d'une identité spécifique. Une communauté organique et responsable doit naître.

R&A Vous dites dans ce livre que « ce qui rend incapacitant la droite dans le domaine des idées et de l'action métapolitique est qu'elle pêche volontairement dans le consplrationnisme et qu'elle aime le panache de la défaite ». Dans quels domaines pourrait-elle rapidement reprendre l'offensive ?

A. G.-J. Dans trois domaines qui ne sont pas exclusifs les uns des autres. D'abord, elle doit se doter d'une éthique traditionnelle conforme à la religion chrétienne notamment. Elle exemplifiera alors les vertus de l'honneur et du courage, de l'esprit de justice et de sacrifice, de fidélité et de bravoure en gardant toujours à l'esprit qu'il faut se doter d'une vision du monde intangible doublée d'une dialectique bien maîtrisée. L’homme de droite dort alors savoir être intransigeant sur les principes, mais souple sur leur application. Souplesse ne voulant pas dire relâchement bien sûr.

Cette droite doit donc être métaphysique. Cela ne me paraît pas audacieux outre mesure car la métaphysique reste inhérente à la droite. Claude Rousseau a me semble t-il bien observé cet aspect dans l'ouvrage. Après avoir œuvré sur le plan métaphysique et dialectique, ce qui suppose donc une préparation intérieure, la droite doit reprendre l'initiative pour défendre les identités ethnoculturelles plus que menacées par un jacobinisme avancé conjugué a un redoutable cosmopolitisme mondialisé. Métissage Black, Blanc, Beur, consumérisme de masse, américanisation des mœurs participent au déracinement spirituel et culturel des peuples. Phénomène engendré par une modernité humaniste et soft-totalitaire ! Nous devons solliciter la plus grande mémoire en préservant là où c'est encore possible l'héritage des ancêtres. Tout ce qui est enraciné est nôtre ! La France et l'Europe sont belles de leur diversité que l'on veut supprimer au profit d'une uniformisation appauvrissante sous la bénédiction de l'impérialisme de l’american way of life. L’écologie que Charles Champetier a bien étudié à la lumière de la droite doit faire aussi parti de nos préoccupations majeures. L'idée d'Impérium à l'échelle européenne, supra-nationale et grande-continentale, me semble aussi urgente à redécouvrir. Comme pour l'instant, elle se construit sur des bases caricaturales, on ne peut que s'immerger dans ses mythes, son histoire et sa réalité culturelle. Connaître l'Europe, c'est déjà la faire autrement! Enfin, en rupture avec la pensée bourgeoise, nous avons la responsabilité de critiquer l'imposture libérale et marxiste pour reconsidérer la question sociale. La droite revendiquant une éthique aristocratique se prévalant de la mentalité de la chevalerie a le devoir de faire sienne cette phrase de Louis de Bonald « Le chef-d'œuvre de l'esprit chevaleresque est d'avoir ôté au courage sa férocité, et de l'avoir dirigé non vers l'oppression du fort, mais vers le soutien du faible. » Lorsque l'on défend une communauté, il est naturel de défendre celui qui est le plus dans la difficulté. Un tel solidarisme communautaire ne doit pas être confondu avec l'Etat assisteur et déresponsabilisant bien entendu.

R&A   Dans l'immense héritage intellectuel de la droite, quels sont les auteurs et les penseurs qu'il faudrait redécouvrir ?

A.G.-J. Il est essentiel de connaître des penseurs contre-révolutionnaires comme Joseph de Maistre, Louis de Bonald, Juan Donoso Cortès, pour la critique qu'ils apportent vis-à-vis de la modernité en général et de la philosophie des Lumières et de la Révolution Française en particulier.

Pour s'enraciner spirituellement et exercer une critique encore plus aiguë à l'endroit de la modernité, lire des mystiques, théologiens ou sages philosophes chrétiens comme Jean Daniélou, Louis Massignon, Gustave Thibon, Simone Weil « L’enracinement », « La pesanteur et la grâce »), Jean Borella, des penseurs traditionalistes comme Julius Evola, René Guenon, Henry Montaigu, des historiens des religions comme Mircea Eliade et Henry Corbin, des polémistes français comme Charles Péguy, Georges Bernanos, Léon Daudet, Abel Bonnard, des hommes libres comme Pierre Drieu La Rochelle « Notes pour comprendre le siècle »), l'existentialiste chrétien Gabriel Marcel « Les Hommes contre l'Humain »), les grands penseurs slavophiles en tête desquels Vladimir Soloviev et Nicolas Berdiaev, les mémoires de Raymond Abellio et de Jacques Benoist-Méchin, les ouvrages concernant des hommes politiques martyrs comme Cornéliu Codréanu ou José Antonio Primo de Rivera, s'avèrent indispensables. Dans les analyses implacables de notre modernité tardive ou postmodernité, des auteurs comme le philosophe chrétien italien Augusto Del Noce, ou plus déconstructeur comme Jean Baudrillard, Paul Virilio ou l'excellent Philippe Muray sont très intéressants également. Sur la question d'une réelle Europe unie sur des bases régionales, il faut se plonger dans la lecture des ouvrages de Yann Fouéré, Olier Mordrel, Denis de Rougemont, Paul Sérant. J'ai d'ailleurs dédié « Aux sources de la droite », à ce dernier tant l'intérêt de son œuvre est grande, foisonnante et injustement méconnue. Concernant la question sociale Proudhon, Sorel, La Tour du Pin, Werner Sombart, Thierry Maulnier « Violence et conscience » sont des auteurs incontournables. Parmi les auteurs de la « Révolution Conservatrice Allemande », je n'oublie pas Cari Schmitt, Martin Heidegger Ferdinand Tonnïes. je regrette juste que le théoricien corporatiste autrichien de « L'Etat vrai », Othmar Spann, le théoricien de l'Empire, proche de Von Papen, Edgar Julius Jung, ainsi que le frère méconnu d'Ernst Jûnger subtil pourfendeur de la technique moderne, Frédéric-Georg Jûnger, n'aient pas été publiés en français. A lire aussi, les anti-utilitaristes comme Alain Caillé ou Serge Latouche situés à gauche, l'écologiste radical, Edouard Golsmith. Je compte aussi parmi les ouvrages fondamentaux, ceux à base métapolitique et géopolitique d'Alain de Benoist ainsi que ceux plus historiques de Dominique Venner. Tous les livres de Maurice Bardèche doivent être aussi mentionnés. Quant aux grands romanciers de droite, il y a pléthore. On peut citer bien sûr Balzac, Flaubert, Baudelaire, Dostoïevski, Barbey d'Aurevilly, Bloy, Bernanos, Céline, Jûnger Hamsun. Vincenot. Dans les vivants, je vois avant tout Jean Parvulesco qui n'est pas que romancier « Les mystères de la villa Atlantis » « La conspiration des noces polaires » « Un bal Masqué à Genève »). Voyez la liste est longue et pourtant elle ne représente qu'une infime partie « des auteurs et penseurs qu'il faut urgemment redécouvrir » à droite.

Réfléchir&Agir N°09   ETE 2001

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