La plupart des journalistes sortent tous des mêmes écoles, où on leur a appris à traduire le Dieu actualité au goût du jour, dans des articles consommables à la date de péremption immédiate. Aussitôt lus, aussitôt oubliés. Comme dans Mission impossible : ils s’autodétruisent dans les cinq secondes.
Quand on se promène dans le quartier du Louvre, il y a deux monuments à visiter, le musée mondialement connu, et le Centre de formation des journalistes (CFJ), saint des saints de la profession. Le QJ est un peu au journalisme œ qu'Auxerre est au football, une pépinière de talents. Ses grands hommes sont EPDA, Pierre Lescure, Franz-Olivier Giesbert, Laurent Joffrin, David Pujadas. Créé en 1946, il fonctionne comme une vieille institution prestigieuse. L'annuaire des anciens est un bottin mondain de la profession. Les aînés parrainent et guident les meilleurs (ou les plus dociles) dans les arcanes de la profession
La France compte onze filières de formation de journalistes reconnues par les conventions collectives. Assez peu par rapport aux 37 000 titulaires de la carte de presse. À la différence des pays anglo-saxons où la presse s'est imposée dès le départ comme une industrie faisant appel à des professionnels, notre pays a longtemps échappé au moule des formations. C'est particulièrement visible au XIXe siècle où le journalisme cherche à se faire une place entre la littérature et la politique, activités jugées plus nobles. De Balzac à Baudelaire, tous les écrivains seront d'ailleurs impitoyables avec la figure du journaliste à tort, les écrivains fournissant alors le gros des troupes. En attendant l’entre-deux-guerres et le règne des reporters écrivains, les Henri Béraud, les Albert Londres, qui donneront leurs lettres de noblesse au métier.
Tout change après 1945. Les écoles se multiplient, le métier se professionnalise, l’écriture journalistique tend à s'uniformiser. Voici venu le temps du précuit et du prémâché. C'est malheureux à dire, mais dès qu'on fait par chez nous une école, c'en est fini de la discipline. On crée l'ENA, on lobotomise la politique les IUFM, on saborde renseignement Ainsi de la presse.
Le plus frappant dans ces formations, c'est qu'on délivre à des bacs plus trois quelque chose comme un CAP, le Certificat d'aptitude professionnelle du journaliste. Lequel journaliste est avant tout considéré comme un technicien de l'écriture rapide auquel on enseigne une façon universelle d'écrire le même article passe-partout. Pas de contenu et un contenant interchangeable, qui peut servir aussi bien à ovaire un incendie de forêt, un braquage de banque ou l'épizootie de fièvre aphteuse.
Pire que des militants, on forme des techniciens
C'est une erreur de croire qu'on forme dans ces cursus des militants. Bien plus que de politique, il est ici question de technique. C'est la conception marchande de l'info qui prévaut, celle de la com' et de la pub. Ecriture automatique, collage, montage. Les surréalistes ne pouvaient pas deviner que leurs procédés d'écriture deviendraient ceux du journalisme, tout comme leurs manifestes les slogans de la publicité.
Car ici on apprend à rédiger des papiers selon les lois de l'info jetable écrite dans un français lyophilisé. Une phrase ne doit pas dépasser douze mots. Pas ou peu de propositions subordonnées. Il faut « faire court », « coller à l'actu », Sont ainsi fabriqués en série des rois de la brève, des spécialistes de l'écriture télégraphique, des professionnels du reportage en une minute quinze, des habitués du micro-trottoir. Le micro-trottoir, c'est la dame pipi élevée au rang de vox populi.
Autre règle canonique : un bon journal doit recopier les dépêches d'agences de presse. L'AFP s'apparente au Dieu du Sinaï pour les salles de rédaction : il dicte l'ordre du jour. Exit les enquêtes de terrain, bienvenue dans le monde de la réécriture des dépêches. La même information sera reprise cent fois, relayée ad nauséum comme sur France Info, modèle indépassable de ce type de journalisme.
Rien d'étonnant dans ces conditions si les journalistes tendent à se ressembler. C’est un groupe plus homogène qu'autrefois, qui a en commun un certain nombre de réflexes, de pratiques, de croyances. De moins en moins d'élèves sont issus des filières de français ou d'histoire. La voix royale, ce sont les Instituts d'études politiques. Le propre des IEP, c'est que c'est socialement étanche. Se retrouvent là des fils de cadres supérieurs, de professions libérales, d'universitaires. Tout concourt ainsi à l'homogénéisation de la presse. Les hérétiques sont renvoyés aux marges. Le Choc du mois en est un bon exemple.
Un enseignement aussi appauvri ne pouvait manquer d'appeler un sévère rappel à l'ordre. Il est venu de l’intérieur. Ancien élève du CFJ, François Ruffin a mené une enquête (1) pendant ses deux années de formation. Malheureusement, son témoignage s'appuie sur les seuls travaux de l'école bourdieusienne de la critique des médias. Pierre Carles Serge Halimi, Acrimed (2) Le PlanB (3). On ne peut enlever à cette école qu'elle est aujourd'hui la plus active. Sa critique est souvent juste, mais elle tombe elle-même sous le coup de ce qu'elle dénonce. On a l’impression de lire des petits Tintin d'extrême gauche, reporters à L'Echo des savanes plutôt qu'au Petit Vingtième. Ils défendent un journalisme d'opinions, au ton volontiers inquisiteur. Celui-là même dont notre famille a eu le plus à souffrir.
Par leur travail d'épuration sémantique, ils ont fait le lit d'un journalisme neutre, lisse, qui triomphe dans les « gratuits » et consacre la mort du commentaire. Ils en payent le prix. Nous aussi II n'est jamais trop tard pour s'apercevoir qu'on a fait fausse route. On en parle ?
François-Laurent Balssa Réfléchir&Agir Octobre 2007
1) Les Petits Soldats du journalisme, Les Arènes, 2003
2) Action-critique-médias : www.acrimed.org
3) Bimestriel de critique des médias et d'enquêtes sociales.