Le 15 mars dernier, le député « insoumis » François Ruffin nous gratifiait d’un tweet d’une rare franchise : « Cette crise est aussi une fenêtre pour nous […] Dans de tels moments, les esprits sont comme une pâte un peu molle, où l’on peut faire passer des idées neuves. » Cela lui valut de se faire traiter de charognard, mais c’était sans aucun doute sans arrière-pensée. Comme beaucoup d’idéologues de gauche, François Ruffin est convaincu de pouvoir faire le bonheur de l’humanité et son tweet était bien davantage un témoignage de candeur que de cynisme.
Le cynisme, pourtant, ne manque pas chez d’autres idéologues qui se réjouissent plus ou moins discrètement ou qui s’affligent plus ou moins hypocritement de la crise sanitaire.
Ainsi, Edwy Plenel s’était-il fait taper sur les doigts pour s’être réjoui, sur le plateau de France 5, de l’arrivée de ce « virus révolutionnaire capable de provoquer un krach boursier ». Cette réjouissance, pourtant, est partagée par certains spéculateurs qui y voient l’occasion de racheter à bas prix des fleurons industriels. La secrétaire d’État Agnès Pannier-Runacher avait d’ailleurs expliqué, dès le 10 mars, que c’était le moment « de faire de bonnes affaires » en Bourse. Et en attendant les bonnes affaires, le MEDEF a déjà quelques bonnes raisons de se satisfaire de la situation puisque le Sénat a adopté, dans la nuit de jeudi à vendredi, une loi « Urgence coronavirus » qui autorise la limitation des congés payés et l’augmentation du temps de travail hebdomadaire, une loi d’exception qui peut devenir définitive puisqu’elle n’est pas limitée dans le temps. Si on ajoute à cela que le confinement renforce le processus de domestication des masses, il y a vraiment de quoi satisfaire les idéologues anti-gilets jaunes.
Et si la crise devenait apocalyptique, il y aurait encore matière à espérer pour certains.
Il y aurait tout d’abord l’espoir des bonnes âmes qui jugent que notre système est trop pervers pour durer, mais il y aurait aussi la joie moins généreuse de collapsologues vérifiant la pertinence de leurs thèses ou de survivalistes recevant le salaire de leurs efforts à l’image de la fourmi de la fable de La Fontaine. Dans une version plus belliqueuse, on peut aussi noter l’espoir des islamistes qui misent sur le chaos pour avancer leurs pions. Pas facile, cependant, de faire basculer le confinement en guerre civile : les auteurs de l’attaque à la voiture folle, survenue ce 20 mars, à l’aéroport de Barcelone, en ont fait l’amer constat puisqu’ils ont attaqué aux cris d’« Allah Akbar » un lieu totalement désert ! Ces pieds nickelés ne doivent, cependant, pas faire oublier l’inquiétude des policiers français face aux risques de sécession des quartiers islamisés.
Laissons le mot de la fin au roi de la prédiction autoréalisatrice Jacques Attali. Interrogé, sur CNews, en septembre 2019, en marge de la visite d’Emmanuel Macron à l’ONU, l’ami des Présidents affirmait sans ambages : « Nous avons besoin aujourd’hui d’un gouvernement mondial […] Peut-être que nous en aurons un après une grande crise, qui sera nécessaire pour créer les conditions de sa naissance », un propos qui fait écho à un texte de 2009 (blog de L’Express du 5 mars 2009) dans lequel il évoquait une prochaine « pandémie majeure » grâce à laquelle « on en viendra[it] alors, beaucoup plus vite que ne l’aurait permis la seule raison économique, à mettre en place les bases d’un véritable gouvernement mondial ».
Il n’y a, manifestement, pas que François Ruffin qui compte prospérer sur la plasticité temporaire des esprits !