L'industrie agroalimentaire et agrochimique, c'est le « big business ». Un lobby aussi puissant que son poids économique. Et le poids, on ne connaît que ça dans ces arrière-cuisines de la grande distribution. D'ailleurs, pour connaître la santé financière du secteur inutile de se reporter aux courbes de vente, celles de l'obésité suffisent.
Qui ne connaît la « semaine du goût », qui fêtera cette année ses vingt ans ? Vingt ans que chaque année, à la rentrée scolaire, on initie nos enfants à la tradition culinaire, qu'on leur vante notre patrimoine gastronomique pour lutter contre la culture « fast-food ». Avec le célèbre Jean-Luc Petitrenaud en parrain gourmand de l'événement, lequel vous ferait passer une conserve de ravioli pour un plat de chef, la manifestation a acquis ses fourchettes de noblesse.
Sauf qu'à y regarder d'un peu plus près, la liste des sponsors participant à ces festivités les rend plus que suspectes. Outre les marques de l'industrie agroalimentaire, pas vraiment connues pour être des fleurons de la cuisine traditionnelle, on trouve le CEDUS. Sous ce pompeux acronyme (Centre d'études et de documentation du sucre), se cache en fait une émanation du lobby des producteurs de sucre (la Collective du sucre), créée pour nous faire avaler les bienfaits de ces cristaux blancs qui font la joie des cabinets dentaires et le malheur des diabétiques. À raison de plus de 4 millions de tonnes produites par an, il faut bien écouler la marchandise. La France est en effet le huitième producteur mondial, mais le premier pour le sucre issu de la betterave, dont l'industrie agroalimentaire est grande consommatrice.
Une industrie qui, sans mauvais jeu de mot, eu égard au taux croissant d'obésité dans notre pays, pèse lourd. Selon l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA) 162,9 milliards d'euros de chiffre d'affaires, plus que l'automobile (87 milliards d'euros en 2006). Avec 412 500 salariés, elle est le troisième industriel employeur national. Pour soigner son image, l'ANIA, qui ne cache pas son activité de lobbying, a mis en place une fondation pour l'alimentation et la santé au travers de laquelle elle souhaite - à ce qu'elle dit - encourager la lutte contre l'obésité.
Fondation qui avait suscité en son temps (2004) l'ire des experts du Plan National Nutrition Santé (PNNS). Contre le lobbying de l'ANIA, ceux-ci en avaient appelé à « une politique nutritionnelle de santé publique cohérente en France ». Imagine-t-on en effet les industriels du tabac créant une fondation reconnue d'utilité publique afin de favoriser l'adoption de comportements vertueux face au cancer du poumon ? Mieux, imagine-t-on une marque de cigarettes affichant sur ses paquets, non pas « Fumer tue », mais « Évitez de fumer plus d'un paquet par jour », ou « Pratiquez une activité sportive régulière » ? C'est pourtant ce qui se passait lorsqu'une marque vantait sur son emballage « riche en magnésium » ou « enrichi en vitamines ».
Donnez-nous des enfants, nous en ferons des obèses
Le fait est que l'industrie agroalimentaire a peur de subir le même sort que celle du tabac. D'où ces grandes manœuvres d'intoxication. À l'image de certains pays où l'on distribue des cigarettes à la sortie des facs pour favoriser l'addiction, l'industrie agroalimentaire a réussi à imposer les distributeurs de boissons sucrées et de biscuits dans les collèges et lycées. Chaque jour, ce sont 100 000 produits qui sont écoulés grâce à 10 000 distributeurs. Qui est derrière ce commerce juteux, c'est le cas de le dire ? Nestlé, Coca Cola, etc. En 2001, une circulaire visant à interdire ces distributeurs est restée lettre morte suite aux pressions du syndicat professionnel de la distribution automatique.
De même de la réglementation européenne visant à spécifier la provenance géographique d'un ingrédient quand il est intégré au produit transformé. Passée à la trappe. Le lobby agroalimentaire en est venu à bout. Pourquoi ? Afin de dissimuler qu'il s'agit d'assemblage de produits venus du monde entier, et pas toujours de pays aux traditions agricoles les plus rassurantes. On sait par exemple que le gluten de blé chinois (utilisé en boulangerie, dans les pâtes ou les produits transformés) contient beaucoup de mélamine (le fameux Formica qui servait à faire les meubles de cuisine dans les années 70) dans le but d'augmenter le taux apparent de protéines. Et cette huile de tournesol coupée au lubrifiant pour moteur, produite en Ukraine, que l'on a retrouvée distribuée en Europe dans les plats cuisinés ! Beurk. Exit donc le projet de réglementation !
Salé et sucré, s'il vous plaît, les plats cuisinés
Quid du sel ? Pierre Meneton, chercheur INSERM, a appris à ses dépens ce qu'il en coûtait de contredire les (fausses) informations délivrées par le Comité des salines de France (CSF), syndicat regroupant la majorité des producteurs de sel français. Dans un article intitulé « Scandale alimentaire sel, le vice caché », qui lui a valu un procès (finalement gagné), il avait accusé ce lobby très actif de désinformer « les professionnels de la santé et des médias ». Selon lui, l'excès de sel serait responsable de cent décès par jour en France, essentiellement dus à des maladies cardio-vasculaires favorisées par l'hypertension.
L'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) admet en effet que 4 grammes sont suffisants pour les besoins d'un adulte. Or, les Français en consommeraient en moyenne 9 à 10 grammes par jour ! Le problème, ici, comme avec le sucre, c'est que 80 % de cette consommation provient de produits transformés pain, fromage, charcuterie, ou pire encore, plats préparés. Là aussi, les fabricants ont la main lourde ! Et pour cause, le sel partage cette « qualité » avec le sucre de compenser le manque de goût, voire de masquer des saveurs douteuses. Et question étiquetage, cela laisse toujours à désirer. Selon une étude du magazine Que choisir datant de mars 2003, sur 132 produits testés, seuls 16 affichaient clairement leur teneur véritable en sel. « Les industriels de l'agroalimentaire, concluait le mensuel, font ici preuve d'une singulière inconséquence ».
Gentille litote si l'on aborde un autre aspect du secteur, qui n'aurait pas reçu une aussi forte médiatisation sans le succès du livre de Fabrice Nicolino et François Veillerette : Pesticides. Révélations sur un scandale français(1). Selon les auteurs, nous nous trouvons devant un lobby qui a délibérément pollué l'agriculture française depuis 1945. « Le lobby des pesticides a visiblement choisi la stratégie de l'araignée. Tisser des toiles, relier des points, tenir l'espace », expliquent-ils. Colloques, rapports parlementaires, comités scientifiques composés d'experts « amis », agences d'« informations » sur les pesticides, campagnes de publicité, rien n'est négligé, y compris la création de toutes pièces du FARRE (Forum pour une agriculture raisonnée respectueuse de l'environnement), structure ayant pour but de redorer le blason de l'agriculture intensive. « Le FARRE est le plus beau triomphe du lobby. Il regroupe, dans un mélange des genres stupéfiant (…) la FNSEA, l'industrie des pesticides, des banques et des instituts publics », révèlent Fabrice Nicolino et François Veillerette.
Agroalimentaire, agrochimie, agrobusiness...
Selon le Mouvement pour le droit et respect des générations futures (MDGRF), fondé par le second, les pesticides sont présents dans nos fruits et légumes à plus de 50 %. Conséquence pour la santé ? « Les personnes exposées aux pesticides ont plus de risque de développer de nombreuses maladies que les autres : cancer, malformations congénitales, problèmes d'infertilité, problèmes neurologiques ou encore système immunitaire affaibli sont plus fréquents chez eux ! », alerte l'association écologiste présidée par François Veillerette, en se fondant sur des études de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ou de la Mutualité sociale agricole (MSA).
Alors que la France reste la mauvaise élève en Europe, l'Union des industries pour la protection des plantes (UIPP) plastronne en annonçant une augmentation de ses ventes + 13 % sur la campagne agricole 2007-2008, pour atteindre un montant de 2,085 milliards d'euros. Cette organisation professionnelle, regroupant dix-neuf entreprises qui commercialisent des produits phytopharmaceutiques (i.e. pesticides), édite également un site « pédagogique » (info-pesticides.com) sur lequel on peut lire, sans rire : « Les scientifiques et les médecins s'accordent à dire que les bénéfices de la consommation de fruits et légumes l'emportent sur le risque lié à la présence éventuelle de résidus de (pesticides). » Plus grave encore, ce lobby qui représente les intérêts de firmes agrochimiques, telles que Monsanto, Bayer, Syngenta, publie un dépliant à destination des enfants (encore eux) intitulé « Comment ça pousse ? ». On en revient toujours au même problème il faut non seulement protéger nos têtes blondes ou brunes de la malbouffe, mais également de l'agitprop des marques. Sans quoi l'obésité et le cholestérol seront bientôt déclarés d'utilité publique.
Jocelyn Delagarde Le Choc du Mois septembre 2009
1. Fayard, 2007, en poche désormais, collection « Pluriel ».