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Soins palliatifs et analgésiques

Soins palliatifs et analgésiques

Un lecteur médecin apporte les précisions suivante sur le décret relatif à l’utilisation du Rivotril pendant la crise du coronavirus. Ce qui semble corroborer l’idée que nous évoquions voici quelques jours selon laquelle cette autorisation est d’abord l’expression d’une pénurie inquiétante de médicaments et peut, selon l’intention du médecin, servir soit à des volontés euthanasiques, soit à adoucir la douleur du patient hors de toute volonté de mort.

Médecin travaillant dans un centre de lutte contre le cancer, j’utilise régulièrement du midazolam dans le cadre de sédations terminales, depuis une demi-décennie. La sédation terminale consiste à administrer un produit sédatif à un patient en fin de vie. Les différentes recommandations la concernant sont disponibles sur le site de la SFAP (Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs, ici).

L’idée de faciliter le passage de la vie à la mort n’est pas récente. Déjà au Moyen Âge, les blessés graves qui souffraient, et pour lesquels aucune prise en charge autre n’était possible, étaient achevés au moyen d’une dague particulière, appelée la miséricorde. Aux moralistes de dire si la pratique est (était ?) admissible.

Théorie et législation

En France, la loi la plus récente sur la sédation terminale remonte à février 2016, et s’inspire directement des recommandations de la SFAP. Elle déclare que « toute personne a droit à une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. La loi reconnaît ainsi le droit du patient à une sédation profonde et continue jusqu’au décès, associé à une analgésie. L’objectif est de soulager une personne malade qui présente une situation de souffrance vécue comme insupportable alors que le décès est imminent et inévitable ».  (LIEN).

Il s’agit ni plus ni moins que d’une application de la théorie du double effet, théorisé par la doctrine sociale de l’Eglise. Le catéchisme de l’Eglise Catholique réprouve l’euthanasie, mais précise: « Même si la mort est considérée comme imminente, les soins ordinairement dus à une personne malade ne peuvent être légitimement interrompus. L’usage des analgésiques [en toute rigueur de classes médicamenteuses, il faudrait ajouter : et des hypnotiques et anxiolytiques] pour alléger les souffrances du moribond, même au risque d’abréger ses jours, peut être moralement conforme à la dignité humaine si la mort n’est pas voulue, ni comme fin ni comme moyen, mais seulement prévue et tolérée comme inévitable. Les soins palliatifs constituent une forme privilégiée de charité désintéressée. A ce titre ils doivent être encouragés ».

Pratique courante, vue par le patient

Reconnaitre que quelqu’un est en phase terminale pré mortem est souvent assez aisé. Une dégradation rapide de l’état général, relevée par les proches, permet fréquemment de leur faire appréhender en douceur que si la pente de dégradation se prolonge, l’issue fatale est certaine à court terme.

Deux cas de figure se présentent alors. Certains patients vont s’éteindre doucement, sans souffrance particulière. D’autres vont présenter une souffrance physique (et/ou parfois morale) intense. Dans le domaine particulier de la cancérologie, les jours précédant le décès sont souvent associés à une progression tumorale rapide et souvent très symptomatique.

Il est fréquent de proposer une sédation terminale à ces patients-là (ceci se faisait bien avant la loi de 2016). Il s’agit ni plus ni moins que de leur dire : « Je ne suis pas capable de diminuer votre douleur, qui est réfractaire à tout ce que j’ai pu mettre en place jusque-là. J’ai épuisé toutes les alternatives raisonnables pour vous soulager. La seule chose que je puisse vous proposer est de supprimer la perception que vous en avez en diminuant votre état de conscience ».

La plupart des patients acceptent cette proposition, tout en étant informés qu’elle pourra avoir comme effet de rapprocher leur décès, mais que ce n’est pas le but recherché. En ce cas, celle-ci est mise en place à leur demande, généralement après discussion avec leurs proches. Il arrive parfois d’attendre pour mettre en place cette sédation terminale que l’ensemble des proches ait pu venir (j’ai en mémoire un père qui attendait que son fils revienne de Chine, pour le voir une dernière fois).

Pratique courante, vue par le médecin

L’échec progressif des thérapeutiques antalgiques est monnaie courante en cancérologie, en phase terminale, et met les équipes en difficulté, à cause d’un sentiment d’échec. En situation terminale, la sédation profonde et continue reste l’arme de dernier recours pour soulager un patient d’un symptôme intolérable, quel qu’il soit (définition de la SFAP).

Celle-ci va avoir pour but de diminuer son état de conscience, de manière à atténuer la perception de la douleur, tout en maintenant le patient le plus conscient possible. Les doses d’hypnotique employées vont être généralement augmentées progressivement, en fonction des besoins du patient. En pratique, une infirmière passe régulièrement pour ajuster la dose d’hypnotique. Le patient ne doit être ni visiblement douloureux, ni trop endormi (des échelles visuelles d’appréciation de la douleur en fonction du faciès existent). Chez la plupart des patients, le traitement antalgique de fond présent avant sédation est maintenu.

Progressivement, un coma calme va survenir, pour deux raisons : les médicaments sédatifs et analgésiques employés d’un côté, et la défaillance multi-viscérale de l’autre. En effet, il s’agit de patients en fin de vie, chez qui le foie, les reins, etc. vont progressivement ne plus faire leur travail d’épuration. L’accumulation de métabolites toxiques va engendrer une toxicité cérébrale, source de coma. Le décès surviendra rapidement, le plus souvent par défaillance multi-viscérale, et non en raison de l’effet (moralement admissible) des médicaments employés.

Ceci n’a rien à voir avec les cocktails lytiques dont l’objectif était de mettre fin à la vie du patient.

Problématique actuelle

Le médicament de choix pour une sédation terminale est le midazolam (HYPNOVEL®), qui est sédatif, peu dépresseur respiratoire à faible dose (autour du milligramme par heure), et surtout avec une demi-vie courte. Ceci signifie qu’il est éliminé rapidement par l’organisme, et donc très facile d’emploi pour ajuster la dose reçue par le patient en temps réel. Ce médicament est également très employé (à dose beaucoup plus forte, dix à trente milligrammes par heure) en réanimation, pour son absence de toxicité spécifique (en particulier le fait qu’il ne diminue pas la tension).

Il se trouve qu’aujourd’hui, à cause de la majoration de la consommation du midazolam en réanimation à l’échelle mondiale, la production actuelle est insuffisante pour couvrir tous les besoins. Les stocks s’effondrent partout. De ce fait, son emploi pour des sédations terminales risque de devenir impossible par rupture de stock.

Des alternatives médicamenteuses sont possibles pour une sédation terminale, notamment avec du RIVOTRIL® (benzodiazépine, comme l’HYPNOVEL®), dont l’emploi est plus compliqué (demi-vie longue, ajustement de la dose moins simple, etc.). Il est extrêmement rare actuellement de l’employer pour réaliser une sédation terminale (le midazolam étant privilégié). Les alternatives médicamenteuses du midazolam en réanimation sont plus à risque pour les patients. Il est vraisemblable que les stocks de midazolam soient majoritairement redirigés vers les services de réanimation.

Le gouvernement actuel vient tout récemment d’autoriser l’emploi du clonazepam (RIVOTRIL®) hors autorisation de mise sur le marché, à visée de sédation terminale, chez des patients infectés par le Covid-19. De la sorte, les équipes pourront en employer pour réaliser une sédation terminale, sans sortir du cadre autorisé par la loi. Il ne s’agit aucunement d’une légalisation de l’euthanasie, en réalité la loi de 2016 reste inchangée – pour l’instant. Même en cas de pénurie de midazolam, il sera possible (légalement) de continuer à proposer une sédation terminale pour ces patients-là.

La décision gouvernementale précise que cette prescription est possible « en cas de détresse respiratoire, chez les patients dont l’état clinique le justifie ». En langage médical, c’est la description d’une sédation terminale : cette prescription n’a de sens que chez des patients infectés au-delà de toute ressource thérapeutique.

La SFAP (qui n’a rien d’une officine euthanasique) vient de publier une nouvelle recommandation pour la sédation terminale chez les patients infectés, en cas de pénurie de midazolam, en conseillant l’emploi du RIVOTRIL® notamment, ou du diazepam (VALIUM®), ou du clorazépate (TRANXENE®) (voir ici).A titre informatif, la liste des médicaments dont les stocks s’effondrent dans le monde, et en France, inclut la noradrénaline, qui est à la réanimation médicale et à l’anesthésie ce que le midazolam est à la sédation terminale. Certains stocks d’autres médicaments (antibiotiques, dont l’AUGMENTIN®, produits anesthésiques d’emploi courant comme le propofol, et le paracétamol) sont également jugés très inquiétants…

C.M.

https://www.lesalonbeige.fr/soins-palliatifs-et-analgesiques/

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