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Edouard Philippe devrait écouter le Café du Commerce

Edouard Philippe Ecriture inclusive

La macronie est chatouilleuse : elle ne goûte guère la contradiction. Emmanuel Macron avait, le 31 mars, qualifié d’ “irresponsables” ceux qui n’étaient pas convaincus par sa “guerre” contre le Covid-19. Le président y avait vu des sortes de traîtres portant atteinte à la nation. Cette fois, c’est son premier ministre qui a montré, lundi, son agacement devant les mêmes esprits chagrin. S’adressant à l’Assemblée nationale, Edouard Philippe a notamment déclaré : “J’ai été frappé par le nombre de commentateurs ayant une vision parfaitement claire de ce qu’il aurait fallu faire à chaque instant. La modernité les a fait souvent passer du Café du Commerce à certains plateaux de télévision. Les courbes d’audience y gagnent ce que la convivialité des bistrots y perd. Mais je ne crois pas que cela grandisse le débat public”. Ces propos de comptoir d’homme vexé seraient anodins s’ils n’avaient été tenus, solennellement, devant la représentation nationale.

Philippe a raison d’estimer que la critique est d’autant plus facile que cette crise sanitaire est complexe. Cette évidence devrait-elle faire taire les remarques des observateurs ? La charge convenue contre le Café du Commerce (qui a dû fermer, comme tous les bistrots) s’entend d’habitude chez les “élites” auto-satisfaites et en manque d’arguments. Votre serviteur fait partie de ces “commentateurs” qui, “sur certains plateaux de télévision” (CNews en l’occurrence, dans l’émission de Pascal Praud – L’heure des pros, plusieurs fois par semaine), décortiquent le confinement depuis le 17 mars. La parole y est libre et les débats contradictoires. Faudrait-il comprendre que Philippe, qui excelle à mettre la France au pas, voudrait aussi des valets à sa botte?

Le pouvoir montre sa désinvolture dès qu’il s’agit des libertés. Plutôt que de responsabiliser les citoyens, le premier ministre a choisi de les maintenir dans un statut d’infériorité à l’issue du 11 mai. Même les églises sont priées de renoncer encore à leur liberté de culte. La complexité technocratique du plan de déconfinement, présenté hier, tient au fait que l’Etat ne se résout pas à lâcher prise, au prétexte de “protéger les vivants”, comme l’a dit Philippe. Mais cette ambition messianique dit tout d’un Etat qui ne touche plus terre et croit porter une parole sacralisée. Or c’est bien parce que le pouvoir vit dans une autre dimension qu’il aurait intérêt à redescendre de son nuage pour côtoyer les mortels.

Plutôt que de moquer les conversations de bistrot qu’il croit entendre sur des plateaux de télévision, le premier ministre gagnerait à les écouter. Il est évidemment plus rassurant de se laisser flatter par les cireurs de pompes; ils ne manquent pas, sur d’autres plateaux plus dociles. Cependant, le débat démocratique ne veut rien dire s’il se réduit à de collectifs bains de pieds en eau tiède. Le gouvernement devrait entendre ceux qui lui disent qu’il a menti sur les frontières, les masques, les tests. Il devrait entendre ceux qui lui reprochent de malmener les libertés au nom de l’unité nationale et du sanitairement correct. Les coupables ne sont pas les Français, comme le laisse croire Philippe qui menace de repousser le 11 mai à plus tard si les citoyens se relâchent. C’est l’Etat qui a failli. C’est lui qui doit trinquer.

Ivan Rioufol

Texte daté du 29 avril 2020 et repris du blog d’Ivan Rioufol

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