De l'influence des séries sur un esprit confiné.
Je viens de regarder "Mrs America", série en quatre épisodes consacrés à l'histoire du féminisme américain militant, notamment avec le rôle capital de Betty Friedan l'auteur de "La Femme mystifiée" en 1963, ouvrage qui a connu un immense succès (Canal Plus séries).
Face à ces féministes déterminées et combatives, motivées par l'égalité des droits et le droit à l'avortement, une conservatrice engagée et intelligente, remarquablement jouée par une Cate Blanchett qui n'est pas pour rien dans le fait que sa cause n'est jamais ridicule.
Pourquoi n'ai-je pas éprouvé le sentiment qui surgit trop souvent quand on écoute ou qu'on lit les propos d'aujourd'hui ? Ils me donnent l'impression paradoxale que plus le pouvoir des femmes légitimement s'accroît, plus l'hostilité à l'égard des hommes s'exacerbe. Comme si l'affrontement entre les sexes était le désir suprême, que l'un qui avait prévalu devait s'effacer face à l'autre et faire sans cesse amende honorable ; et cela pour une domination pourtant très largement battue en brèche...
Comment comprendre que, dans l'état de notre société, certaines femmes mobilisées et vindicatives, à la pointe d'un combat qu'elles souhaiteraient incessant, dénoncent non pas ce qui reste répréhensible dans les rapports entre les deux sexes, ce qui fait encore apparaître des disparités de traitement, professionnelles et/ou familiales, mais l'homme lui-même et le simple fait qu'il prétende encore - d'ailleurs, si peu - s'affirmer ?
Au regard de la cause féminine dans ce qu'elle a de consensuel et qui suscite une adhésion que droite et gauche de bonne foi ont mis ou mettront en oeuvre, qui peut encore soutenir, malgré les pesanteurs et les retards, que la société ne s'est pas engagée sur un bon chemin, paraissant échapper aussi bien à l'immobilisme qu'à la déstabilisation provoquée par un mouvement permanent ?
Il me semble même, pour être honnête, qu'on n'a pas hésité à user de la loi à seule fin de quadriller et de caporaliser des comportements, dans la rue ou ailleurs, qui n'auraient pas eu besoin d'autre chose que de la liberté et de la responsabilité humaines pour être vaincus. Certes des scandales avaient eu lieu qui avaient mis en évidence des abus de pouvoir et des transgressions délictuelles et/ou criminelles mais ils ne contraignaient pas à projeter, sur toutes les attitudes de séduction, une suspicion généralisée. Un féminisme vindicatif interdisait qu'entre la carte du tendre et la lourdeur de la drague, il puisse encore y avoir de l'innocence.
L'évolution de notre quotidienneté, quand on s'attache à la substance même du fil de nos échanges et de nos relations aussi bien publiques que privées, manifeste d'ailleurs qu'à l'exception de quelques obtus ou de certains provocateurs adorant choquer la bienséance d'une forme d'unanimisme, la cause est entendue et l'arrière-garde constituée par une opposition caricaturalement virile.
Si l'on peut aussi créditer le féminisme de cette réussite perverse, j'ai l'impression que dans beaucoup de circonstances de la vie, notamment médiatiques, l'intolérance, le dogmatisme, le verbe haut, l'affectation d'une supériorité et l'absence d'écoute - dispositions que j'ai toujours honnies chez certains hommes - sont venus dégrader des esprits féminins comme si pour compenser un prétendu déficit de pouvoir il était essentiel d'emprunter à l'autre sexe ce qu'il avait de pire ; cette sorte de virilité créant ainsi une étrange parité entre des êtres que la nature pourtant distingue, n'en déplaise à ceux qui rêveraient de l'effacer au profit d'un monde tristement univoque.
Au-delà de ce qui intrinsèquement et politiquement favorise le mouvement des femmes, qu'il soit à bas bruit ou tonitruant - trop peu de Sylviane Agacinski et trop, à mon sens, de Caroline De Haas ! -, il y a un élément essentiel qui rend encore plus injuste et absurde l'hostilité, presque la haine à l'encontre de "l'essence masculine" alors que, bons élèves pour ne pas nous faire taper sur l'esprit, nous n'osons plus évoquer ou célébrer la moindre "essence féminine".
Il est trop oublié parce qu'il est déprimant et dépréciatif pour nous, les hommes. Je le perçois depuis longtemps et encore plus dans cette effervescence sociologique et médiatique où paradoxalement, fantasmant sur notre rôle et continuant à le magnifier fût-ce en l'accablant, des femmes négligent cette donnée capitale que l'homme est surestimé, tout empêtré qu'il est au sein d'une modernité qu'il maîtrise de moins en moins.
Le constat est implacable, à examiner ses fiascos dans ce qu'il estimait lui revenir de droit et à comparer ses prestations avec celles de la femme quand le hasard ou une parité intelligente placent cette dernière en situation.
Le sexe si peu faible pourfend un pouvoir que l'homme n'a plus et pour peu qu'il s'avise, même modestement, de s'en souvenir, il serait recadré par tous les "corrects" d'une société voués à le faire disparaître dans la grisaille indistincte et si convenable de l'homogène. Je ne sais si nous avons changé d'époque en passant de l'avenir que nous aurions été pour la femme au futur que la femme aurait été pour nous - d'Aragon à Jean Ferrat. Mais l'homme ne serait-il pas insensiblement devenu le passé de la femme ?
J'exagère ? Oui.
"La femme mystifiée" de Betty Friedan date de 1963.
Avec sa violence et son talent, en 2020, les yeux ouverts et la lucidité en éveil, elle écrirait peut-être : "L'homme surestimé".