Nombre de journalistes - y compris dans nos rangs - estiment que l’on peut se jouer des lois liberticides muselant l'expression d'opinions réputées incorrectes en recourant à des formules convenues. Mais même en semi-clandestinité, la plume reste toujours serve. En la matière, appeler un chat autrement pourrait curieusement aboutir à le prendre pour une souris.
Dans un papier publié sur le site libéral contrepoints.org, Patrick Smets, président du Parti libertarien belge, défend l'idée fort intéressante de la demi-mesure impossible en matière de liberté d'expression. Pour lui, « en matière de liberté d'expression, comme de peine de mort, il n'existe pas de juste milieu », ajoutant qu'en ce domaine, « être "contre la censure sauf pour les opinions abjectes", c'est être pour la censure ! » (19 janvier 2015).
La liberté d’expression est illimitée par nature
À cette aune, on doit considérer en toute logique que toute loi restrictive de la liberté d'expression mais qui prétendrait, simultanément, en garantir l'exercice, renfermerait une incompréhensible contradiction qui la ferait déboucher sur une impasse. Certes, n'importe quel juriste serait aisé de lever cette antithèse absolue en plaidant que « la liberté n'a de bornes que celles posées par loi », s'adossant ainsi à l'orgueilleux brocard de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. En d'autres termes, la liberté ne saurait contenir ses propres digues intrinsèques, conception pour le moins pessimiste de l'homme, par la funeste Raison des Lumières… Mais, comme le relève encore notre zélote de Hayek, « la liberté ne consiste pas seulement à pouvoir faire tout ce qu'on veut avec ce qu'on a, elle nécessite aussi d'assumer la responsabilité de ses actions. Et, comme pour toute liberté, la liberté d'expression est intrinsèquement limitée par la responsabilité de celui qui parle ». Dès lors, l'emmurement a priori de toute expression passée au tamis de la loi et de ses juges instaure-t-il, volens nolens, un régime de censure, lequel, à l'instar de tout processus de nature totalitaire, engendre dans le for interne des individus une intériorisation de ses interdits qu'on appelle « autocensure ». La mise en œuvre de cette dernière suppose de devancer la férule judiciaire en demeurant souvent bien en-deçà du cadre permissif légal.
L’autocensure pire que la censure
La censure et l'autocensure, en d'autres termes, ne peuvent faire moins que de recouvrir la réalité d'un voile pudique plus ou moins opacifié par l'idéologie et maquillé de formules euphémistiques ou périphrastiques qui en troublent la perception, en dénaturent la description ou en obscurcissent le jugement. En termes philosophiques, Henri Bergson expliquait que si « le langage nous fait croire à l'invariabilité de nos sensations (...), il nous trompera parfois sur le caractère de la sensation éprouvée »(1). Refuser consciemment de voir ce que l'on voit, au prétexte qu'une instance supérieure aurait décrété qu'il ne fallait pas le voir conduit, au mieux, à se murer dans le silence, au pire - et plus couramment, hélas - à s'accommoder de l'interdit en falsifiant le réel par usage d'une terminologie inadéquate ou inappropriée ou dont le caractère insipide ou précautionneux aboutit à neutraliser ou à déformer le propos. Or, les conséquences politiques d'un tel assommoir juridique et procédural s avèrent catastrophiques pour l'esprit public au point de le gauchir et d'entraîner sa corruption jusqu'à l'irréversibilité. Si au filtre légal, le plumitif ou le locuteur ajoute, proprio motu, celui de la crainte psychologique de le transgresser au point, précisément, d'en dramatiser, jusqu'au fantasme, sa sévérité première, il court le risque inévitable d'une asepsie sémantique conjuguée à une non moindre aridité rhétorique et intellectuelle (avec ses corollaires que sont le mensonge, la manipulation, le sophisme).
L’autocensure est sœur de la culpabilité
Ainsi par exemple, s'interroger aujourd'hui, même à demi-mot, sur le bien-fondé de l'existence pourtant vérifiable d'une judaïcité d'État qui subornerait littéralement le pouvoir politique n'est pas exempt de risques, le spectre de la XVIIe Chambre hantant les esprits les plus téméraires. Or, ne pas remettre en question - jusqu'à oser en contester la légitimité même - les admonestations dînatoires annuelles du CRIF(2) revient à oblitérer toute argumentation politique qui s'adosserait à la nécessité pragmatique et raisonnée d'un antijudaïsme d'État.
La censure légale hérisserait rapidement sa herse dans cette hypothèse, sauf à ce que l'autocensure ait préalablement verrouillé toute velléité de penser autrement. Ici, l'autocensure est d'autant plus efficace qu'elle fait jaillir un sentiment de culpabilité. À ce stade particulièrement subtil de totalitarisme « soft », la censure légale érigée en arbitre des pensées bonnes et mauvaises accède pleinement au statut de « discours intimidant », soit ce « discours culpabilisant qui diabolise, criminalise, anathémise, déshonore toute pensée non conforme en la désignant comme fasciste, négationniste, monstrueuse et pathologique. Dans une atmosphère de vindicte générale, le coupable doit en venir à se mépriser, à se regarder comme infâme, indigne d'appartenir à l'humanité, il doit se détester ou se repentir », explique le philosophe Laurent Fidès(3). De la censure à l'autocensure, la boucle est, pour ainsi dire, bouclée. On voit bien qu'aucune liberté d'expression réelle en France ne pourra prospérer sans l'abrogation inconditionnelle et totale des lois communautaires (Pleven, Gayssot et autres) qui empêchent toute émergence d'un esprit public tourné vers le bien commun et non inféodé aux intérêts spécieux d'une clientèle minoritaire organisée.
1) Essai sur les données immédiates de la conscience (1889).
2) Conseil représentatif des institutions juives de France.
3) Laurent Fidès, Face au discours intimidant. Essai sur le formatage des esprits à l'ère du mondialisme (Toucan, 2015).
Aristide Leucate Réfléchir&Agir