Coronavirus, un mort : l’administration « managériale »
Les Français croient encore qu’ils disposent d’une administration napoléonienne : verticale, avec des ministres et des préfets, bref des chefs. C’est faux : après quinze ans de « modernisation », il n’y a plus que des « managers administratifs » qui pratiquent la « transversalité », recherchent « la qualité » et la « performance ». C’est précisément pour cela que la France manque de masques, de tests et de stratégie sanitaire face au coronavirus.
La « mise sous tension » du secteur santé a d’abord conduit à supprimer les stocks de masques. Et les « bonnes pratiques » de passation des marchés publics ont débouché sur la passation de trois très gros marchés à la Chine. On aurait pu en commander à une centaine de producteurs différents ou bien relocaliser en France la production de masques, ou encore favoriser l’artisanat commercial ou familial.
Des masques… fin juin
Autant de solutions pragmatiques qui n’auraient pas su satisfaire les (trois !) bureaux différents du service des achats du ministère de la Santé : les bureaux du « contrôle », de la « procédure » et de la « performance (!) ». Seuls de très gros marchés pouvaient correspondre aux exigences de la Sainte Trinité managériale en termes de droit, de normes et de règles de gestion. Grâce à ce cahier des charges, les Français auront de beaux et bons masques aux normes Afnor et commandés selon des procédures ISO… fin juin !
Et il ne s’est trouvé personne, ni ministre, ni directeur, pour bousculer, au vu des circonstances exceptionnelles, ces règles nuisibles. Si pour De Gaulle « L’action est le jeu divin du héros », le respect de la procédure est le devoir mesquin du bureaucrate managérial.
C’est un peu la même histoire pour les tests. Dans l’organisation traditionnelle de la France, le préfet coiffait les services départementaux de l’État, notamment la direction de l’Action sanitaire et sociale et les services vétérinaires. Trop simple. Au nom de la « modernisation » deux réformes ont été engagées : la « mutualisation » et la « régionalisation ». Résultat : nous disposons de douze agences régionales de santé (ARS) en métropole (après la fusion des régions voulues par François Hollande). Quant aux services vétérinaires, ils sont restés à la main des préfets dans le cadre des directions de la protection des populations ou des directions de la cohésion sociale.
Tests : trois semaines de perdues
Pour les tests, les labos publics des services vétérinaires disposaient des moyens les plus importants. Mais ils sont restés trois semaines l’arme au pied. Pas question pour la Santé de faire appel aux gueux de l’Agriculture. Ni pour les ARS de solliciter des services préfectoraux. D’autant qu’entre deux discours-fleuve, le Premier ministre a manqué de temps pour rendre des arbitrages…
Pour les traitements des malades symptomatiques, on a assisté aux mêmes délires : le lancement à grands sons de trompe d’une étude européenne (donc lourde par nature) sur les soins hospitaliers à privilégier en cas de forme d’expression grave de la maladie. Fantastique pour les « managers » de la Direction Générale de la Santé (DGS) et les grands laboratoires pharmaceutiques. Sauf que pour lutter contre l’épidémie, la vraie priorité aurait été de traiter dès l’origine les formes bénignes de la maladie pour limiter la contagion et essayer d’enrayer l’engorgement des services hospitaliers. Tout en laissant les médecins généralistes ou exerçant en Ehpad tester différentes pratiques. Au lieu de se borner à recommander (sans étude randomisée au demeurant)… la seule prise d’aspirine.
Des circulaires aussi parfaites qu’inapplicables
Le déconfinement ne s’annonce pas sous de meilleurs auspices. Le gouvernement a annoncé qu’il se ferait autour de deux pivots : les préfets et les maires. Ce qui pourrait passer pour un retour au bon sens territorial est aussi une entreprise de défausse. On vous explique : les administrations centrales de la Santé et de L’Éducation pondent des circulaires aussi parfaites qu’inapplicables. Si les préfets et les maires veulent les mettre en œuvre, ils ne déconfinent pas. S’ils veulent déconfiner, ils en prennent leur aise avec les circulaires : mais en cas de poursuites pénales (pour mise en danger de la vie d’autrui), ce sont eux qui se retrouvent devant les tribunaux. Philippe, Blanquer, Véran, et les directeurs d’administration qui en dépendent ne gouvernent pas, ils se bornent à se protéger des suites judiciaires de leur mal gouvernance.
C’est ainsi que le juge judiciaire va de facto imposer une poursuite du confinement au-delà des simples exigences sanitaires. Un juge judiciaire doublement irresponsable
– parce qu’il juge de ce qu’il aurait fallu faire ou ne pas faire A POSTERIORI, ce qui est plutôt… commode,
– et que lui n’est en rien responsable, ni poursuivable, pour ce qu’il décide.
Ce qu’on appelle l’État de droit n’est rien d’autre qu’une dictature judiciaire.
Le déclin du courage
C’est le grand Soljenitsyne, dans son discours de Harvard en 1978, qui explique le mieux notre situation : « Le déclin du courage est ce qui frappe le plus un regard étranger dans l’Occident d’aujourd’hui. Le courage civique a déserté non seulement le monde occidental dans son sens noble, mais même chacun des pays qui le composent, chacun de ses gouvernements, chacun de ses partis (…) Une société qui s’est installée sur le terrain de la loi sans vouloir aller plus haut n’utilise que faiblement les facultés les plus élevées de l’homme. Lorsque toute la vie est pénétrée de rapports juridiques, il se crée une atmosphère de médiocrité morale qui asphyxie les meilleurs élans de l‘homme. Et face aux épreuves du siècle qui menacent, jamais les béquilles juridiques ne suffiront à maintenir les gens debout. »