Gabriele Adinolfi est un infatigable militant nationaliste-révolutionnaire italien et européen. Fidèle aux engagements de sa jeunesse activiste en faveur de la Troisième Voie, il continue à porter sur l'actualité du monde un regard original et non-conformiste.
propos recueillis par Georges Feltin-Tracol
L'Italie entre bientôt en campagne pour des élections législatives en mars 2018. Les récents scrutins municipaux et régionaux ont vu l'effondrement du centre-gauche au pouvoir, le maintien du Mouvement 5 Étoiles, le succès des droites et l'émergence à Ostie de CasaPound. Comment regardes-tu cette situation politique ?
La nouvelle loi électorale fait en sorte qu'aucune force politique n'obtiendra de majorité absolue. La droite et la gauche gouverneront probablement ensemble, leurs extrémités mettront en place une opposition de façade. CasaPound-Italie a obtenu d'excellents résultats dans certaines villes, notamment à Lucca, Bolzano et Ostie, un arrondissement de Rome. Ce sont des résultats locaux où CPI est dans le social. CPI peut-elle décrocher quelques sièges aux prochaines législatives ? Difficile à dire, mais l'ambiguïté des survivants d'Alliance nationale (Frères d'Italie) peut faire déplacer des électeurs.
Bien qu'inéligible, Silvio Berlusconi revient sur la scène politique et refait ce qu'aucun dirigeant français n'a osé faire, l'union des forces de droite (Forza Italia, Frères d'Italie, Ligue du Nord). Qu'en penses-tu ?
Berlusconi reste le seul politicien italien actuel qui vaut quelque chose. Par deux fois il était à deux doigts de rendre l'Italie plus libre et efficace. Il parle comme s'il pouvait gagner sans avoir à faire de compromis. Aucun sondage ne confirme que cela soit possible, il faudrait un miracle, mais nous savons que Berlusconi est l'homme des miracles. Son programme récent est intéressant et ambitieux. Il prétend révolutionner l'administration italienne, réduire les impôts, promouvoir la production, appeler les représentants des catégories sociales au gouvernement et veut aussi introduire une monnaie nationale de complément. En maints domaines, il semble avoir repris les propositions de mon centre d'étude italien, Polaris, qui les avait présentées devant des institutions (universités, mairies). Le plus probable est qu'après les élections, la droite se séparera, car Berlusconi est européiste, alors que ses partenaires sont eurosceptiques, bien qu'après avoir vu l'échec de Marine Le Pen dans sa campagne contre l'euro, Matteo Salvini (Ligue du Nord) et Giorgia Meloni (Frères d'Italie) ont rapidement changé de ligne.
Lors du référendum constitutionnel du 4 décembre 2016, tu as surpris ton entourage en regrettant la victoire massive du non. Pourquoi ce regret ?
La réforme constitutionnelle a été instrumentalisée dans une bagarre inutile. La gauche s'est mobilisée parce qu'elle désavouait les partisans de 1944-48 (ce qui était vrai) et parce qu'elle aurait favorisé une dictature (ce qui était faux). La droite s'est mobilisée parce qu'elle aurait définitivement cédé la souveraineté nationale à Bruxelles (ce qui était doublement faux, vu que les quelques retouches étaient plutôt souverainistes : ceux qui prétendent le contraire n'ont pas comparé le texte de Renzi avec l'actuel en vigueur). La réforme avait le mérite de démanteler l'ordre constitutionnel mis en place après-guerre afin d'empêcher la formation de gouvernements forts en Italie et allait assurer au parti majoritaire la possibilité de gouverner. Une chose inconnue en Italie.
Après le Brexit, le poids de l'Italie a augmenté, mais pour pouvoir l'assumer, il faut être capable de gouverner, ce qui aurait été possible si la réforme passait. Même une politique souverainiste ou un Italexit auraient pu gagner si la réforme avait été approuvée.
L'Italie est agitée par la révision du droit du sang et l'introduction du droit du sol défendu par le pape Bergoglio. Approuves-tu cette réforme ?
Je pense avoir été le premier à dénoncer ce danger. Il y a quatre ans, j'ai expliqué qu'essayer de faire une star nationale de Balotelli, un joueur de couleur adopté par une famille italienne, préparait le terrain pour proposer cette réforme. J'ai appelé à la mobilisation pour défendre le droit du sang et pendant plus d'un an, je fus considéré comme un fou ; les faits ont prouvé que j'avais raison. Sur l'immigration le pape est plus modéré que les évêques dont l'organisation, la Conférence épiscopale, a joué un rôle décisif dans la chute de Berlusconi justement après l'accord conclu avec Kadhafi pour freiner l'immigration. Beaucoup d'associations cléricales et de gauche gagnent des millions dans le business de l'accueil. Dans l'enregistrement d'une discussion entre deux politiques corrompus à Rome qui ont ensuite été condamnés pour d'autres raisons, l'un dit à l'autre : « On gagne plus avec l'accueil des migrants qu'avec la drogue. »
Tu es aussi très actif hors d'Italie. À quoi correspondent tes initiatives autour des Lansquenets, de EurHope et de Lambda ?
Avec les Lansquenets, je favorise des rencontres pour stimuler la fraternité entre militants européens de douze pays. En un an nous avons campé dans le Sud de la France, nous sommes allés à Athènes pour rendre hommage aux martyrs grecs, à cheval au Nord de Rome, en Transylvanie et à Delphes.
Le think tank EurHope a un site en dix-huit langues, il imprime un magazine en anglais (EurHope), crée des cours de formation pour les cadres politiques en anglais, français, italien, grec et espagnol. Nous publions également des livres (Europe, Imperium). Nous organisons des colloques internationaux (Bruxelles, Milan, Barcelone, Paris, Athènes, Païenne) auxquels participent des responsables politiques de nombreuses nations. Nous pensons mettre à jour les critères d'analyse qui restent figés à des visions antérieures aux changements de l'ère satellitaire.
Nous agissons également dans le domaine économique :
- pour organiser les producteurs afin de lutter concrètement contre les décisions de l'UE.
- offrir aux entreprises les meilleures conditions pour opérer sur les marchés africains, asiatiques et sud-américains. Cela permet d'élargir les relations politiques et diplomatiques dans une logique géopolitique qui servira à restreindre l'immigration en Europe.
Tout ceci a pour but de construire une classe dirigeante européenne avec sa propre idéologie, ses moyens économiques, son organisation, avec un état d'esprit léniniste ou squadriste et qui agisse comme une minorité organisée et protagoniste.
Avec l'Afrique ? Relancerais-tu le vieux mot d'ordre d'« Eurafrique ». Souhaites-tu vraiment que des millions d'Africains s'installent sur le Vieux Continent ?
Je veux justement le contraire. La nature a horreur du vide et remplit les espaces nous avons abandonné l'Afrique et les Africains viennent chez nous, nous n'avons plus d'enfants et les autres en font de plus en plus. Il faut inverser la tendance. À la décolonisation européenne a suivi le colonialisme des multinationales qui a contribué à la destruction de l'Afrique et à la décadence de l'Europe. Nous devons absolument inventer une relation entre l'Europe et l'Afrique qui nous permette d'exercer notre influence et notre puissance et de favoriser un développement qui implique également le contrôle des naissances du continent noir. Il y a plusieurs gouvernements africains qui nous demandent de les aider à freiner l'émigration. « Eurafrique » de mon point de vue veut dire cela. C'est une logique géopolitique parfaitement comprise par Mussolini et ce n'est pas la seule que nous devons développer. Il y a aussi l'eurasienne. Mais comme l'Eurafrique n'est pas l'Afro-Europe, aussi l'Eurasie n'est pas Asieurope. Nous devons tracer les lignes de notre géopolitique mais toujours y mettre au centre notre civilisation.
Tu crois donc vraiment à l'unité européenne ? Ne serais-tu pas un allié subjectif du mondialisme ?
La théorie du complot est une chose sérieuse. Il faut une conscience métaphysique pour identifier les centrales subversives. Quand cette conscience fait défaut, on s'imagine des surhommes qui font de l'humanité tout ce qu'ils veulent. Il n'y a pas de meilleure pensée si on veut être condamné à la paralysie perpétuelle. Les centres de pouvoir ont des complicités, des rivalités réciproques et sont soumis à des lois matérielles qui les condamnent à un devenir continuel qui offre toujours des issues.
L'UE n'est pas un produit du mondialisme, les marxistes la définissent comme l'enveloppe d'un système capitaliste comme tout système dans le monde actuel. Elle est encore moins un appendice américain : les USA essayent de la contrôler sans s'empêcher de la contrer. Il suffit de lire les documents du CFR (Conseil des Relations étrangères). Ils perçoivent l'Europe aussi dangereuse que la Chine. Dans le cas d'une entente stratégique entre l'UE et la Russie, ils suggèrent même de provoquer une guerre mondiale. L'UE est un lieu de rencontre, d'administration et de compromis, fruit des grands changements des derniers vingt années (croissance asiatique, passage du centre stratégique mondiale de l'Atlantique au Pacifique, révolution « espace-temps » par les satellites, séisme démo graphique). Nous assistons à une nouvelle redistribution des cartes parmi les joueurs mondiaux. De notre déclin démographique (7 % de la population mondiale), nous, Européens, ne pouvons pas accepter de reculer nulle part, ce qui est aujourd'hui impossible sans une taille continentale et un pouvoir satellitaire. Tout souverainisme ancien est inoffensif à notre époque.
Cela ne signifie pas que l'UE puisse être acceptée, mais aucune nation occidentale ne l'a. Ce n'est pas l'UE qui a créé ces systèmes nationaux, c'est plutôt l'inverse. L'immigration précède largement l'UE qui est plus modérée que bien des gouvernements nationaux, au point de se faire sanctionner par l'ONU. La théorie du genre vient d'abord d'Angleterre. Ceux qui prétendent qu'on ne puisse pas être européistes parce que cette Europe ne nous plaît pas oublient que cette France, que cette Italie, ne nous plaisent pas non plus et cela bien avant la formation de l'UE. Il ne faut pas accepter l'UE ni essayer de la réformer, il ne faut pas la fuir, il faut la révolutionner, ce qui est possible. Trop de paresse mentale et d'idéologie paralytique nous ont aveuglés.
En quoi un Imperium européen pourrait-il contrarier les desseins de l'Empire US plutôt que de l'État-nation italien ?
Imperium signifie création d'une entité qui prend son espace dans le monde et c'est donc la seule alternative au mondialisme. Il veut dire puissance et son processus de construction implique contrastes, rivalités et dissensions qu'on voit déjà se dessiner à l'horizon. Les Américains en sont plus conscients que nous. Aucun État-nation peut relever ce défi, moins encore l'italien qui est soumis aux USA plus que les autres depuis 1945.
Quel regard portes-tu à la crise catalane ?
Une comédie de l'absurde ! Je suis effaré par la stupidité dramatique de ses acteurs. Je suis également surpris qu'il puisse y avoir tellement de passion dans une bataille de surface qui oppose un jacobinisme tardif et hors du temps à un jacobinisme plus petit. Ils se battent pour des chimères, il me rappelle un théâtre de marionnettes où Arlequin et Polichinelle se donnent plein de coups alors que le marionnettiste regarde et gagne en tenant la caisse.
Et sur la guerre civile à l'Est de l'Ukraine ?
Vaste sujet, surtout quand le regard des gens est celui des supporteurs de football. Qui a gagné et qui a perdu dans la crise en Ukraine ? Elle a servi à soustraire la Pologne de l'influence allemande au profit de l'anglaise. Elle a contribué à rendre les relations entre la Russie et l'Allemagne plus difficiles, ce qui était un objectif déclaré du CFR. Elle intervient dans une période de difficultés économiques pour la Russie et de relance de la stratégie énergétique américaine. Dans une logique de Realpolitik, la Russie a abandonné la politique précédente préférant capitaliser la crise en annexant la Crimée, et s'est tournée à l'Est vers la Chine. Aujourd'hui, cependant, la pression chinoise est trop forte. La politique de Trump est susceptible de forcer la Russie et l'UE à se réconcilier et de reproposer cet axe hypothétique Paris-Berlin-Moscou qui avait émergé au moment de la guerre en Irak. C'est mon souhait comme l'est d'ailleurs la pacification à l'Est, avec une vraie paix des braves.
Malheureusement nous sommes entourés de névrosés qui ont une vision psychotique du réel et qui se portent en fans stupides et lointains pour des « bons » contre des « méchants ». Ils vivent une guerre de jeux-vidéo dans laquelle ils déforment tous les acteurs en les « angélisant » ou en les diabolisant, sans les respecter, ni comprendre leurs motivations historiques et charnelles. Ils sont agressivement lâches au regard des combattants et tellement aveugles qu'ils ne sont plus en mesure de remarquer ce qui mûrit positivement. Il faut souhaiter que la guerre civile en Ukraine se termine, mais pour les fachos-consommateurs d'Occident il est difficile que cela se produise parce que les psychopathies sont difficilement guérissables.
En dehors de Julius Evola, quelles sont tes autres références intellectuelles ?
Mes références je les ai presque toutes citées dans Pensées corsaires. L'important est qu'elles aient un regard philosophique, métaphysique, héroïque sur la vie et qu'elles soient authentiques.
Selon toi, le combat est-il en priorité métapolitique, culturel, associatif, militant ou électoral ?
Le combat doit être complet, sinon ce n'est qu'un élan. Quant au « gramscisme de droite », il faut rappeler que pour Gramsci la théorie devait accompagner la pratique et l'organisation associative dans le sport, dans la musique, dans la société, pas seulement chez les intellectuels. Les élections dans notre société oligarchique et post-démocratique sont inutiles pour toute prise de pouvoir. En revanche elles sont une bonne occasion pour élargir ses espaces et pour apporter de l'argent dans ses caisses mais il faut inverser la hiérarchie des valeurs les élections doivent être un moment, les partis doivent être un instrument pour la croissance d'une minorité qui agit sur le réel de toutes les manières et qui crée un pouvoir autonome. Aujourd'hui, plus que jamais, tout est réduit au défi entre des minorités organisées et nous devons penser et agir éclairés par la sagesse de la culture anti-démocratique, notamment dans le domaine électoral. C'est la leçon de Bonaparte, de Mussolini, de Lénine : il faut actualiser la méthode. Si on en sort, on est perdu.
Finalement, peux-tu définir l'« évoléninisme » ?
Je propose d'absorber les outils du léninisme dans une vision du monde transcendante et marquée par l'existentialisme guerrier évolien. Ce n'est pas si nouveau, c'est un peu ce qui fit Mussolini.
Ceux qui sont armés d'une logique « évoléniniste » peuvent participer au processus populiste en essayant de le rectifier et de le sortir de l'impasse où il est destiné à s'enliser. Et s'ils ne réussissent pas, ils peuvent toujours capitaliser leur action positive qui deviendra le catalyseur dans la débandade générale.
Dans le même temps, les « évoléninistes » peuvent observer les centres de pouvoir et leurs batailles internes d'un regard neutre, froid, chirurgical, et manœuvrer dans la perspective d'une tactique et d'une stratégie qui peuvent être résumées comme suit : « Conquérir et construire ». Si vous avez une foi révolutionnaire, une méthode scientifique, et si vous avez éveillé l'Être en vous, vous serez toujours vainqueur, même dans la défaite parce que vos ennemis ne seront pas en mesure d'utiliser leurs armes principales contre vous, qui sont vos faiblesses et vos incertitudes. Ce que je propose, c'est un peu la création d'un corps d'officiers et de sous-officiers fidèles et efficaces, généralement celui qui a gagné les guerres.
Réfléchir&Agir N° 58 Hiver 2018