Reynald Sécher est historien, spécialiste des génocide et mémoricide vendéens, qu’il a pour la première fois « décortiqués » dans ses deux ouvrages majeurs : La Vendée-Vengé (Perrin) et Vendée, du génocide au mémoricide (Cerf). Il dirige aujourd'hui sa propre maison d'édition avec notamment pour ambition de contrer la désinformation historique.
Propos recueillis par Franck Deletraz
Pensez-vous que la Révolution française soit la période de noue histoire la plus « trafiquée » par les manuels scolaires ?
Non. Toute l'histoire en France est « trafiquée », aussi bien au niveau horizontal que vertical, puisque l'on a imposé aux Français une histoire commune qui est exclusivement parisienne et liée à la monarchie française. Prenons l'exemple des Bretons : ils vont devenir Français le 4 août 1789 et n'apprendront à aucun moment l'histoire de leur pays. Ils apprendront, par exemple, qu'un de leurs grands empereurs a été Charlemagne, alors que celui-ci n’a jamais mis les pieds en Bretagne et s'est même « fracassé » sur les frontières de celle-ci. Ils apprendront toute l'histoire de la monarchie française, alors même qu'en Bretagne existait une monarchie absolument indépendante, autonome, et qui constituait un pays à part entière. Or, ce qui est vrai pour la Bretagne l'est aussi pour un certain nombre de provinces de France. Par exemple, les Corses, qui sont devenus français en 1768, ou les Savoyards, qui le sont devenus sous Napoléon III, n'apprendront pas du tout leur histoire. Donc, cela veut dire qu'il y a une manipulation totale de celle-ci.
En ce qui concerne la Révolution, c'est la nature des choses qui change. C'est dans son contenu que l'enseignement est « trafiqué ». C'est-à-dire que l'on va faire croire aux élèves que les Français voulaient cette révolution, qu'ils y ont participé activement et, évidemment, on ne leur parlera pas du tout des chouanneries ni de la résistance des peuples de France face à la Révolution. Et le deuxième « gommage », bien entendu, se fait au niveau idéologique avec, par exemple, l'effacement total des victimes qui ont été faites au nom de cette idéologie. Ainsi, la Révolution française est une énorme manipulation historique, mais de l'ordre de l'idéologie et de la politique.
Si la Révolution française a toujours été glorifiée par les manuels scolaires (songeons notamment à Michelet ou aux « Hussards » de la République), pensez-vous que ce phénomène se soit accentué avec le temps ?
Oui. En fait, il existait auparavant trois grands canaux de diffusion de l'histoire. Le premier, bien entendu, était celui de l'enseignement. Jusqu'en 1958, celui-ci était pluriel en France. Vous aviez d'un côté l'enseignement public, et d'un autre côté renseignement privé, qui était relativement autonome dans son contenu. Or, avec la loi de 1958, l'école privée a perdu de cette indépendance. Ce qui veut dire que le contenu de son enseignement, dès lors contrôlé par l’État, est devenu fondamentalement le même que dans le public. D'autant plus que la sanction, au niveau des notations, est le fait du public. Or, les professeurs de ce dernier veulent absolument un contenu conforme. À l'heure actuelle, il reste l'enseignement dispensé par le privé hors contrat. Mais, là aussi, il est de plus en plus contrôlé par l’État. À la fois par le biais des inspections, mais aussi parce que c'est l’État qui délivre les diplômes. À ce propos,, il est important de souligner qu'aujourd'hui l’État fait tout pour contrôler l'enseignement privé hors contrat, car la finalité est vraiment de créer un enseignement un et indivisible. Le deuxième canal de diffusion de l'histoire était celui de l'information, délivrée soit par les médias, soit par les associations. Or, là encore, on a vu petit à petit cet espace de liberté se restreindre puisque, au niveau des médias, un moule unique s'est imposé. D'où la création de nouveaux médias indépendants qui réussissent - mais pour combien de temps encore ? - à divulguer une autre vérité que celle officielle. Quant aux associations, la tâche est pour elles déplus en difficile; parce que les collectivités locales, territoriales ou l'État conditionnent les subventions à la nature de leur message. Ce qui veut dire que, là aussi, la liberté diminue. Il est très important de le souligner, parce que l’État est aujourd'hui en voie de tout contrôler.
Enfin, le dernier canal de diffusion était évidemment l’Église, qui jouait un rôle premier face au discours officiel. Mais celle-ci a été elle-même prise au piège. On peut citer ici l'exemple de l'Institut Catholique d'Etudes Supérieures de La Roche-sur-Yon, dont le directeur a récemment sanctionné ses élèves parce qu'il avait peur de perdre ses subventions... Autant dire qu'il devient de plus en plus difficile d'avoir un discours de vérité en France. Et cela, sans que nos compatriotes s'en aperçoivent réellement.
Quelle est la place réservée par les manuels scolaires aux guerres de Vendée et au génocide vendéen ?
C'est un sujet, là aussi, très intéressant et révélateur. Parce que, jusqu'en 1983, on ne connaissait pas la nature exacte de la répression en Vendée. Et pour la première fois, à travers mes travaux, on a pu déchiffrer précisément ce qui s'était passé et surtout dénommer. C'est-à-dire que nous avons affaire à un crime d’État qui a été commis par les représentants de la France, autrement dit les députés, qui ont conçu, voté et fait appliquer un système d’extermination et d'anéantissement. C'est d'ailleurs, sans aucun doute, le seul crime de cette nature qui soit un crime légal dans l'histoire contemporaine. Car ni les communistes, ni les nazis, ni les khmers rouges n'ont commis leurs crimes d'extermination au nom de la loi. La France est le seul pays à avoir fait cela ! Or, alors que nous en avons aujourd'hui absolument toutes les preuves (ordres officiels, bilans humains et immobiliers, etc.) et que ce sujet devrait se passer de tout débat, non seulement on dénonce la réalité de la chose mais, pire encore, on continue à enseigner une histoire en conscience qui est parfaitement fausse ! C'est d'ailleurs pour cela que je parle de mémoricide. C'est tellement vrai que l'on n'avait même pas dénommé ce crime contre la mémoire... Et les manuels scolaires enseignent toujours aux enfants que les Vendéens sont des « traîtres à la patrie », des « brigands », qu'il y a eu des « massacres-réciproques », que le grand « héros » des guerres de Vendée est le petit Bara, alors que cette affaire n'a absolument jamais existé et est une pure manipulation de Robespierre ! Cela veut dire que, d'un côté, on a eu une avancée spectaculaire au niveau de la recherche scientifique, mais qu'à aucun moment l'enseignement secondaire n’en a tenu compte. Celui-ci est tellement politique qu'il ignore volontairement les découvertes de la recherche scientifique qui ne vont pas dans le sens de l'idéologie officielle. En l'occurrence, il participe même au prolongement du crime de génocide en commettant celui de mémoricide : le crime contre la mémoire. En réalité, notre État est profondément négationniste et manipulateur. Et, au fond, ce qu'il reprochait à Faurisson, à juste titre d'ailleurs, l’État en a fait sa règle d'or. Parce qu'il n'y a aucune différence fondamentale entre un Michelet et un Faurisson. Ce sont exactement les mêmes mots, les mêmes techniques les mêmes finalités. On ne veut pas dire aux Français qu'on a massacré les Vendéens non pas pour ce qu'ils avaient fait mais tout simplement pour ce qu'ils étaient !
Mais peut-il en être autrement quand notre régime politique repose Justement sur le mythe de la « glorieuse » Révolution qui a apporté la liberté et l’égalité ?
Comme nos hommes politiques sont incultes, ils croient cela. Mais si l'on étudie sérieusement les écrits des politiques, philosophes et historiens du XIXe siècle, à l'exception de quelques-uns, on s'aperçoit que personne n'aurait imaginé que les Républiques (IIIe, IVe et Ve) s'inscriraient dans cette continuité. C'était quelque chose d'impensable. Songeons par exemple à Hippolyte Taine, qui a écrit de très belles pages sur cette question. Je pense que la République à l'heure actuelle n'a strictement rien à voir avec la le République, voire avec la IIe. Aussi, c'est uniquement parce que nos hommes politiques, nos grands fonctionnaires et les hommes de médias sont totalement incultes qu'ils se risquent à faire cela.
À notre époque d'inculture, on peut d'ailleurs se demander jusqu'à quel point cette histoire falsifiée a encore prise sur des élèves sacrifiés par l'Education nationale ?
La priorité des priorités de l’État et donc de l'enseignement aujourd'hui est de tuer la civilisation. De faire disparaître, jusqu'à la base, toute référence historique. Ainsi est-on en train de débaptiser massivement les villages de France pour les affubler de noms n'ayant absolument aucune signification ni enracinement historiques. Et demain, il faut s'attendre, dans le cadre de la laïcisation, à la suppression de tous les noms de saints des communes, des calvaires, etc. Cela peut faire sourire, mais la Révolution française a fait la même chose. Et rien n'a été laissé au hasard. Nos fonctionnaires et nos idéologues ont mis en place une méthode extraordinaire alors que l'apprentissage de l'histoire reposait jusque-là sur ces quatre piliers que sont la chronologie, l'homme, l'événement et la cartographie, on a rayé tout cela pour mettre en place ce que l'on appelle « l’histoire thématique ». Cela veut dire qu'il n'y a plus aucune référence de quelque nature que ce soit. Et les gens sont complètement perdus, ne serait-ce que dans le temps. Mais la finalité de cette méthode est claire. On tue toute référence, car c'est la connaissance qui empêche la mise en œuvre d'un système totalitaire. Or le système que nous subissons est un système profondément totalitaire.
Présent HORS-SÉRIE Septembre-octobre 2019