Mort il y a soixante-dix ans, l’auteur de 1984 reste un irremplaçable analyste des totalitarismes d’hier, d’aujourd’hui et de demain, qui nous donne les clés pour comprendre l’empire du politiquement correct, mais aussi pour nous en défendre, analyse Matthieu Bock-Côté
Si les grands titres de presse n’ont pas oublié de marquer, en 2020, les soixante-dix ans de la mort de George Orwell, nom de plume par lequel s’est fait connaître Eric Blair (1903-1950), il n’est pas certain que cette commémoration ait été à la hauteur de son œuvre, qui a trouvé un nouvel écho en France depuis une vingtaine d’années. Jean-Claude Michéa a joué un grand rôle dans cette renaissance depuis la parution, en 1995, de son livre Orwell, anarchiste tory (Flammarion), où le philosophe français s’appuyait sur lui pour mener une sévère critique de la mystique du progrès et dénoncer la trahison du socialisme originel par la gauche idéologique. Michéa contribuera ainsi à la mise en valeur du concept de common decency, pour rappeler l’importance du commun des mortels et des gens ordinaires dans une époque obsédée par le culte de la “diversité”. Ce concept a pris depuis une grande place dans la vie publique, un peu comme la notion d’hégémonie culturelle empruntée à Antonio Gramsci est aujourd’hui citée toutes les familles politiques. Citer Orwell, un temps, semblait sophistiqué : c’est devenu presque banal.
Une œuvre indissociable de son engagement contre la misère et les injustices
Une partie de la jeune gauche s’est aussi emparée d’Orwell pour le transformer en étendard de ses propres luttes décroissantes au point de vouloir en faire sa chasse gardée et d’accuser la “droite” de “le récupérer” dès qu’elle s’en réclame. Qu’Orwell soit une figure du socialisme, c’est l’évidence même : il s’en réclamait ouvertement. Sa vie et son œuvre, que l’on pense notamment à des livres comme Dans la dèche à Paris et à Londres (Champ libre) et le Quai de Wigan (Champ libre), sont indissociables d’un engagement contre la misère et les injustices qu’il ressentait au fond de son être. Mais le socialisme d’Orwell ne ressemble pas vraiment à la doctrine qu’on a l’habitude de désigner ainsi et était très éloigné des ratiocinations doctrinales du marxisme savant. Il s’agit surtout d’un appel à lutter contre la misère et les inégalités extrêmes, ce qu’il ne croyait pas contradictoire avec une saine défense du patriotisme et des traditions d’un pays. On s’amusera aussi, en lisant ses descriptions moqueuses des intellectuels de gauche, dans lesquels il voyait manifestement les plus mauvais promoteurs de son propre camp, attirant « par une attraction magnétique tous les buveurs-de-jus-de-fruits, les nudistes, les illuminés en sandales, les pervers sexuels, les quakers, les charlatans homéopathes, les pacifistes et les féministes d’Angleterre ».
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