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Douze auteurs pour repenser l'économie

Dans les pages qui suivent, les collaborateurs d'Éléments vous invitent à découvrir des auteurs et des écoles souvent qualifiés d'« hétérodoxes » : leurs réflexions se tiennent en effet à l'écart des sentiers balisés depuis deux siècles par l'économie politique classique, puis néoclassique. Théoriciens peu connus comme Jacques Duboin et Nicolas Georgescu-Roegen ou Prix Nobel comme Maurice Allais et Amartya Sen, ces économistes partagent au moins une conviction : les mécanismes du libre-échange marchand ne parviennent pas à instaurer de manière durable l'équilibre économique entre productions de valeur, revenus et dépenses monétaires, entre offre et demande de travail, entre l'épargne et l'investissement -, et moins encore l'équilibre social et écologique dont toute communauté humaine a besoin.

Le chômage de masse de l’État-Providence et la faillite complète des systèmes communistes ont certes montré les limites et les tares d'une économie administrée. Il serait par ailleurs trop simple de « diaboliser » le marché. Outre qu'il s'inscrit lui aussi dans une dimension indéracinable de notre nature (l'échange intéressé a toujours existé) et qu'il a donné à la majeure partie de l'humanité une prospérité sans équivalent dans l'histoire, le marché stimule indéniablement certaines attitudes positives comme la créativité, l'esprit d'initiative ou la constance dans l'effort. Mais comme toujours, le poison est dans le remède. Laissé à lui-même, le marché tend à coloniser la totalité de la société et déploie alors ses effets pervers : exclusion sans remède des improductifs ou des inaptes, précarisation du travail, exploitation aveugle de la nature, spirale spéculative, etc. Ce faisant, il détruit les conditions mêmes de son bon fonctionnement, conditions qui sont de nature non marchande : éducation, formation, cohésion sociale minimale, confiance, etc. À l'économie de marché, nous opposons une économie avec marché, soit un système qui admet le marché tout en le contenant, qualitativement et quantitativement, dans certaines limites. Une telle économie n'est pas administrée, mais :

- régulée, c'est-à-dire soumise à un certain nombre de normes publiques définies en fonction d'exigences démocratiquement débattues (la qualité, la solidarité, l'équité, etc.);

- contextualisée, c'est-à-dire rapportée à l'état réel des sociétés et des environnements, cet état devant être mesuré par des indices synthétiques incluant des variables non marchandes (satisfaction subjective, santé publique, biodiversité, etc.);

- autocentrée, c'est-à-dire donnant l'avantage aux rapports de proximité du niveau local au niveau continental, tendant à l'autosuffisance agricole et industrielle, protégeant ses secteurs productifs en fonction de leur niveau de développement par rapport à la concurrence mondiale, stimulant par des fonds publics la création de pôles attractifs de recherche fondamentale et de technologie de pointe;

- plurielle, c'est-à-dire offrant aux individus qui ne souhaitent pas intégrer le secteur compétitif la possibilité de s'investir dans des circuits d'échange non monétaire ou dans des activités non lucratives (mutuelles, coopératives, associations, SEL, etc.).

Serge-Christophe Kolm et le service social

Diplômé de l'École Polytechnique, ingénieur général des Ponts et Chaussées, ancien professeur aux universités Harvard et Stanford... Serge-Christophe Kolma consacré son œuvre à éclairer les peuples et les États qui les représentent sur les pièges tendus par l'économie.

À l'occasion de son expérience américaine, il observa le passage au système international centré sur le dollar et en tira de premiers enseignements pertinents sur la domination et l'exploitation monétaire internationale d'un oligopole centré aux États-Unis. Il comprit le rôle de la finance dans la destruction des pays et exposa le problème des transitions socialistes pour éviter de se coucher devant le grand capital.

Critique impitoyable du libéralisme de propagande journalistique, il précisa le noyau de cette doctrine pour la reconstruire de manière cohérente, au service du plus grand nombre. Il exposa aux lecteurs la part qui se ramène à de la justification mensongère et rend service aux seuls exploiteurs. En étudiant ses livres, on comprend les insuffisances de tout libéralisme et les fondements de la bonne économie, la réciprocité.

Le droit à soi-même (à son travail et à ses fruits), fondement du droit économique libéral, inspire aussi le marxisme car il fonde la théorie de l'exploitation. La différence tient à l'interprétation : louer son travail un certain temps en échange d'un salaire paraît être du libre-échange pour les libéraux, mais une servitude spoliatrice de liberté pour Marx. La question n'est pas résolue de savoir si le salariat est légitime lorsqu'il est envisagé sous l'angle d'un échange libre. Si les souhaits de l'individu sont justes par définition, comme le réclame le libéralisme, il est interdit d'obliger. En particulier, peut être interdite l'obligation de rendement faite au travailleur par le capitaliste. Les marchés ne fixent ni juste prix ni juste salaire, en ce que l'ensemble des droits légitimes de tous les participants susceptibles de les influencer ne sont jamais intégralement respectés.

La théorie de l'homme du libéralisme est insensible au problème de la formation. L'homme est donné, et non formé. Or, il change sous l'influence de la propagande, de la publicité, de l'éducation. Les goûts se forment et se déforment, en sorte qu'il n'est pas justifié de prendre ceux qui existent ici et maintenant pour juger de tout. Les préférences évoluent. Il en résulte que la définition de l'homme selon le libéralisme est infalsifiable, mais non opératoire.

La bonne économie met l'accent sur plusieurs paradigmes coordonnés, politico-économique, socio-économique, éthique. Kolm insiste sur le service social comme paradigme éthique de la bonne économie. Le service social désigne la recherche de l'optimum social, engagement en direction du meilleur état du monde possible pour une société, à partir de maintenant. Cette éthique s'exerce dans les principaux champs de force : les puissances politique, administrative, économique et les groupes d'intérêts; Tout en reconnaissant que « les marchés avec leurs prix, la planification avec ses transferts administratifs d'information apportent des solutions qui, dans l'ensemble, sont impressionnantes », il étudie le don, s'intéresse avec minutie à l'autogestion, à l'écologie et aux problèmes pratiques de décentralisation et de démocratisation. Hostile à tous les conservatismes, il conteste dans et par son œuvre l'argument systématique des pouvoirs établis : seul ce qui existe est possible. Le simple « mérite d'exister » n'est pas le critère de qualité d'une société. Serge Kolm s'efforce donc de concevoir une société meilleure, notamment en utilisant le don d'information qui provoque des améliorations dans de multiples domaines sociaux : emploi, accords de face à face, études de marché, prix fictifs, etc. L'absence de réflexion sur le don et sur le rôle de l'information dans les conceptions sociales condamne la société ultralibérale à l'échec. TB

Pour aller plus loin : Les choix financiers et monétaires, Dunod, 1967; L'État et le système des prix, Dunod, 1969; Le service des masses, Dunod, 1970; Justice et équité, CNRS, 1971 ; La transition socialiste, Cerf,T977 ; Sortir de la crise, Hachette, 1983 ; La bonne économie, PUF, 1984; Philosophie de l'économie, Seuil, 1986.

Maurice Allais et le partage des surplus

Les contributions de Maurice Allais à la science économique, qui lui ont valu le Prix Nobel en 1988, sont majeures dans quatre vastes domaines : la théorie de l'efficacité maximale, la théorie des choix aléatoires, la théorie de la monnaie, du crédit et de la dynamique monétaire, la théorie des probabilités et l'analyse des séries temporelles. Nous signalerons ici deux domaines particulièrement innovants et d'une grande importance pour le bien-être économique des sociétés : la théorie des surplus et l'analyse monétaire.

L'hypothèse du modèle de Walras, l'existence à tout moment d'un système unique de prix pour tous les opérateurs, doit être rejetée. Les hypothèses de continuité, de dérivabilité et de convexité des fonctions utilisées sont totalement irréalistes. À la place, M. Allais met en avant la recherche décentralisée des surplus distribuables. Dans une économie de marchés, tout opérateur cherche à trouver un ou plusieurs agents disposés à entrer dans un échange dégageant un surplus répartissable. L'équilibre d'une économie de marchés est la situation dans laquelle il est impossible de réaliser un surplus. L'état d'efficacité maximale est celui où un indice de préférence peut-être considéré comme maximal.

Dans un échange pur, le surplus du vendeur résulte de l'écart entre le prix de vente et la valeur subjective du bien s'il ne le vendait pas. Pour l'acheteur, le surplus provient de la différence entre la valeur attribuée au bien achetée et le prix auquel il est effectivement payé. Le surplus global de l'échange est partagé entre tous.

Le modèle d'une économie de marchés est général. Il inclut tous les cas, depuis la concurrence parfaite jusqu'au monopole et aux coalitions. En mettant l'accent sur la réalisation des surplus, il est essentiellement dynamique. Il considère à la fois les enchaînements de causalité et l'interdépendance au voisinage de la situation d'équilibre qui en résulte.

Le système financier actuel est générateur de déséquilibres et donne naissance à une spéculation effrénée. Selon Maurice Allais, toutes les grandes crises des XVIIIe XIXe et XXe siècles ont résulté du développement excessif des promesses de payer et de leur monétisation. Tant pour la France que pour la Grande-Bretagne et les USA, le XIXe siècle ne montre aucune corrélation significative entre l'expansion de longue durée de la production et les mouvements de longue durée des prix.

« La croissance du monde occidental au XIXe siècle, sans précédent jusque-là, a été favorisée par l'existence de fait d'une monnaie commune puisque les principales monnaies étaient rattachées directement ou indirectement à l'or et qu'elles ont conservé des parités fixes ». La création monétaire doit être limitée à la monnaie de base (monnaie de la Banque centrale européenne). Il ne faut pas l'autoriser par des mécanismes bancaires. La Communauté européenne seule bénéficierait des gains attachés à cette création. Toutes les banques étrangères devraient respecter les dispositions légales de réserve, non seulement pour leurs dépôts en euros, mais également pour tous les dépôts stipulés en devises. Une telle réforme rendrait à l'autorité-politique le privilège exclusif de la création monétaire et permettrait son contrôle par le Parlement et l'opinion.

L'objectif d'une société d'hommes libres est de réaliser une totale liberté des mouvements de marchandises, des services, des capitaux et des personnes à l'intérieur d'un espace de civilisation. Le seul principe sur lequel des pays différents peuvent se mettre d'accord relativement aux échanges de leurs produits, c'est la fourniture de la meilleure qualité au meilleur prix. Dans tous les cas litigieux ou difficiles, la référencé aux règles du jeu d'une économie de marchés doit s'imposer, car ces règles permettent de satisfaire au mieux et d'une manière équitable les besoins existants avec les ressources limitées qui sont disponibles. Pour réduire les inégalités, il convient d'utiliser la meilleure fiscalité possible, qui est l'impôt sur le capital, et de généraliser l'indexation des créances et dettes. L'indexation assure l'honnêteté dans l'exécution des contrats et préserve l'efficacité de l'économie et l'équité de la répartition des revenus. TB

Pour aller plus loin : L'inflation française et la croissance. Mythologies et réalité, ALEPS. 1974; La théorie générale des surplus, PUG, Grenoble 1989; L'Europe face à son avenir. Que faire ?, Laffont, 1991 ; Combats pour l'Europe, 1992-1994, Clément Juglar, 1994; Traité d'économie pure, Clément Juglar, 1994 ; Économie et intérêt, Clément Juglar, 1998; La mondialisation, la destruction des emplois et de h croissance. L'évidence empirique, Clément Juglar, 1999.

Nicolas Georgescu-Roegen et la décroissance

Nicholas Georgescu-Roegen est né à Constanza (Roumanie) en 1906 et est décédé à Nashville (États-Unis) en 1994, à l'âge de 88 ans. Il est mathématicien de formation. En 1930, il présente à Paris une thèse de statistique. Dès cette époque, il se passionne pour la philosophie des sciences. Après avoir poursuivi un temps ses études en Angleterre, il rentre en Roumanie et, dans une période de crise particulièrement grave, se penche sur les problèmes plus concrets de la vie économique. Après la victoire du parti communiste roumain, il quitte la Roumanie pour les États-Unis. De cette période roumaine de sa vie, Georgescu-Roegen a gardé la constante préoccupation des rapports de l'économie avec les questions agraires, et plus généralement des rapports de l'homme avec la nature. C'est comme professeur dans diverses universités américaines qu'il poursuit alors sa carrière.

Georgescu-Roegen se présentait volontiers comme un disciple de Joseph Schumpeter, et même comme son seul véritable disciple. C'est, du reste, à la suite de sa rencontre avec Schumpeter en 1935, à Harvard, que notre mathématicien devient économiste. À l'instar de son maître, il soutient qu'on ne doit pas confondre développement (processus optimal, qualitatif) et croissance (processus maximal, cumulatif). La deuxième source d'inspiration de Georgescu-Roegen est Alfred J. Lotka (1880-1949). Surtout connu pour ses travaux d'écologie théorique, Lotka s'est servi du concept de biosphère (Vladimir Vernadsky) et a ouvert la voie à l'écologie des écosystèmes, développée après la guerre par les frères Eugène et Howard Odum. Il annonce aussi la théorie générale des systèmes de Ludwig von Bertalanffy. Des travaux de Lotka, l'économiste roumain retire l'idée que le progrès technique est intimement lié au devenir de la biosphère, et que les phénomènes humains (donc économiques) doivent être compris à la lumière de la thermodynamique.

Au départ des travaux de Georgescu-Roegen, on trouve le constat que, depuis les temps préhistoriques, le développement des sociétés humaines a été associé à l'exploitation de la matière, animale, végétale et minérale. Or, si les ressources d'origines animale et végétale sont renouvelables, il n'en va pas de même de la matière minérale qui, non seulement n'est pas renouvelable, mais occupe en outre un volume infime de l'écorce terrestre. Cela est aussi vrai des combustibles fossiles. Pendant des millénaires, l'exploitation des minéraux et des combustibles fossiles est restée marginale jusqu'à la révolution industrielle, moment où les gisements de matières premières, et en particulier les minéraux, commencent à être surexploités. Cette accélération de la croissance industrielle s'accompagne d'une mythologie selon laquelle cette croissance est sans conséquences écologiques et sans limites. Au rebours de cette conception, Georgescu-Roegen dénonce l'ignorance dans laquelle se tient la pensée économique classique des lois fondamentales de la vie, principalement de la loi de l'entropie. La loi de l'entropie, deuxième principe de la thermodynamique, inventée par Sadi Carnot (1824) et améliorée par Rudolf Clausius, pose qu'il y a une dégradation continuelle et irréversible de l'énergie dans n'importe quel système clos. L'économiste roumain, quant à lui, refuse de restreindre l'entropie au seul domaine de l'énergie, pour l'étendre aussi à la matière, car tout porte à croire que l'usure des matériaux est bien une forme d'entropie. La loi de l'entropie nous apprend ainsi que toute action, humaine ou non, a un coût écologique. D'ailleurs, l'idée même de ressources non renouvelables n'a pas de sens sans l'entropie. Resituée dans cette perspective, la croissance économique des sociétés dites développées se révèle avoir un coût écologique particulièrement lourd. Le pillage des ressources minérales et des combustibles fossiles épuise inexorablement le patrimoine commun de l'humanité, présente et à venir. Le problème de l'épuisement des ressources naturelles et celui des pollutions ou du stockage des déchets renvoient en définitive à la même chose les limites terrestres de la croissance.

Face à cet enfermement de la pensée économique dans ses propres mythes, Georgescu-Roegen forge une nouvelle discipline, la bioéconomie. Le terme même apparaît tardivement, en 1975, dans plusieurs articles, dont « L'énergie et les mythes économiques ». Cette discipline, qui s'est diffusée depuis lors dans les milieux écologistes, repose sur l'idée que le processus économique possède des racines biologiques et qu'on doit le réintégrer dans une vision plus globale de la biosphère, inspirée de la thermodynamique. À l'heure où les néo-libéraux croient encore que les pollutions ne sont que des externalités et que le PNB par habitant mesure la qualité de vie, les travaux de l'économiste roumain conservent tout leur potentiel subversif... Dans « un monde où les économistes remplacent les prêtres » (Ivan Illich), il est essentiel que les Occidentaux entendent le message hérétique de Georgescu-Roegen la croissance indéfinie est un rêve qui ne manquera pas de tourner au cauchemar. La décroissance est désormais inévitable. SL
Pour aller plus loin: Nicholas Georgescu-Roegen, La décroissance, Sang de la Terre, 1995.

Michel Aglietta et l'école de la régulation

D’une façon générale, les régulations sont des mécanismes d'équilibre, naturels ou suscités, qui stabilisent et pérennisent l'homogénéité d'un système. L'école de la régulation s'est attachée à développer une théorie globale du système de régulation permettant, selon son principal animateur, Michel Aglietta, d'appréhender « la façon dont se reproduit la structure déterminante d'une société dans ses lois générales ». En d'autres termes, il s'agit d'étudier la conjonction des mécanismes participant à la reproduction d'ensemble d'un système, compte tenu de l'état de ses structures économiques et de ses forces sociales.

Sans adhérer pleinement aux théories et développements marxistes, l'école de la régulation s'est inscrite dans leur mouvance critique. Ses théoriciens ont développé une analyse spécifique qui distingue des modèles de régulation différents au cours de l'histoire, notamment la régulation concurrentielle, la régulation monopolistique, et les phénomènes d'accumulation extensive, intensive et progressive. Il s'agissait également de démontrer les capacités de renouvellement des structures d'une société. À ce titre, Aglietta souligna que le capitalisme a fait preuve de fortes capacités d'adaptation en transformant son mode de régulation. Il interpréta la crise de 1929 comme une crise de la régulation concurrentielle, avec une régulation caractérisée par la flexibilité des prix, des salaires et de l'emploi. Le fordisme installa ensuite une nouvelle forme de régulation, qui relança la croissance et permit de sortir de la crise.

La crise du fordisme consécutive à l'émergence de nouveaux secteurs économiques (le fordisme s'applique mal aux secteurs tertiaire, quaternaire, et à la nouvelle économie) obligerait aujourd'hui le système libéral à recourir à un nouveau mode de régulation. Selon l'école de la régulation, le retour à une régulation concurrentielle comme le souhaitent les classiques ne résoudra rien. La sortie de la crise passe par la mise en place de systèmes plus flexibles de production, par la transformation de l'organisation du travail, par le développement d'une nouvelle demande et l'adaptation de l'appareil productif à la nouvelle révolution industrielle, biotechnologique, informatique, robotique et des industries de communication.

Avec l'accroissement des écarts sociaux de ces deux dernières décennies, la pertinence de la réflexion de l'école de la régulation sur la répartition des revenus s'intensifie. N'existerait-il pas, en effet, un risque de déséquilibre structurel si la productivité de certains secteurs n'était répartie qu'entre les agents de ces secteurs, en interne, et entre leurs seuls clients, en externe ? Pour des emplois identiques, les salaires du secteur de la nouvelle économie augmenteraient alors que ceux des autres secteurs stagneraient, ce qui à terme, ne pourrait que réduire la diversité des activités productives et accroître la dépendance économique. JD
Pour aller plus loin : Michel Aglietta, Régulation et crises du capitalisme, Calmann-Lévy 1982, Odile Jacob, 1997; Robert Boyer, Théories de la régulation, Découverte, 1995.

Amartya Sen et le développement qualitatif

Condorcet et Borda avaient mis au point, à la fin du XVe siècle, une technique d'élection des membres d'une assemblée en attribuant à chacun d'eux un coefficient reflétant la préférence des électeurs. La même méthode fut appliquée par l'économiste indien Amartya Sen pour affirmer que le revenu n'était pas le seul critère permettant de définir la pauvreté. L'absence de scolarité, de soins médicaux, de loisirs, l'espérance de vie, sont également des indicateurs pertinents de la richesse des nations. Ses travaux, qui s'inscrivent dans la « théorie du choix social », lui valurent le Prix Nobel d'économie 1998. Amartya Sen développa dès le début des années 1990 un nouvel indice synthétique et qualitatif capable de rivaliser avec l'indice agrégatif et quantitatif du produit national brut (PNB) l'indice du développement humain (IDH). L'IDH prend en compte le taux de mortalité infantile, l'espérance de vie, l'accès à l'enseignement, le taux d'alphabétisation, et le nombre de médecins par habitants.

Le concept du développement humain quantifie, mesure et finalement compare les possibilités données aux populations de vivre longtemps et en bonne santé, d'acquérir des connaissances et un savoir, et d'avoir accès à des ressources suffisantes pour vivre décemment. D'autres paramètres viendront enrichir et pondérer cet indice de développement originel, lié aux différentes préoccupations contemporaines.

Avec le premier rapport des Nations-Unies sur le développement humain, l'IDH est utilisé comme outil de classification des pays selon trois critères essentiels le niveau d'instruction, la longévité et les conditions de vie de la population.

Un indicateur de pauvreté humaine (IPH) vint ensuite compléter cette approche qualitative. Il tente de mesurer les poches de pauvreté qui subsistent. Compte tenu des différences de développement économique des pays en développement et des pays industrialisés, deux IPH sont actuellement utilisés. L'IPH1 mesure la pauvreté humaine dans les pays en développement, alors que l'IPH2 mesure celle des pays industrialisés sur les mêmes critères mais en y ajoutant l'exclusion.

En 1998, la Suède et les États-Unis apparaissaient ainsi respectivement à la 13e et 1e places d'un classement effectué selon le critère unique du revenu moyen par habitant. Mais ordonnés selon le pourcentage de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, critère qualitatif de TIPH2, la Suède arrive à la première place (7 %) et les États-Unis en dernière position (17 %). JD

Pour aller plus loin : Armatya Sen, Choice, Welfare, and Measurement, Harvard Universty Press, Cambridge 1997; Armatya Sen, Resources, Values, and Development, Harvard University Press, Cambridge 1997

Clifford H. Douglas et le crédit social

Ce fut l'ouvrage Social Crédit de Clifford Hugh Douglas, paru en 1924, qui donna son nom au mouvement réformiste du crédit social. Il fut salué par Keynes comme l'un des argumentaires « les plus convaincants des théories hérétiques de sous-consommation ». Son idée centrale fut exprimée par Douglas dès 1919 dans Economie Democracy « Le crédit est un bien commun et non la propriété des banquiers. Distribuons-le à tous les consommateurs de manière à ce que les chefs de famille soient crédités d'un pouvoir d'achat additionnel ».

Douglas avait remarqué que l'offre de la production était freinée par l'insolvabilité de la demande que l'importance du sous-emploi développait. Ses propositions furent résumées dans The Monopoly of Crédit (1931)

1 - Injecter un pouvoir d'achat additionnel, sous forme de crédits sans intérêt, afin d'ajuster le volume des moyens de paiements à celui de la production. Il importerait à cette fin de rendre aux banques centrales des États leur pouvoir régalien d'émission monétaire.

2 - Ce pouvoir d'achat additionnel doit provenir, non pas d'épargnes, mais de nouveaux crédits se rapportant à une nouvelle production et ces crédits doivent être annulés après consommation et dépréciation de la production.

3 - Ces crédits doivent être distribués d'une part, sous forme de dividendes, à chaque famille, par personne, indépendamment des revenus du travail, de l'épargne et de la propriété, et d'autre part sous forme de compensations accordées aux entreprises ayant accepté, sous certaines réserves, de baisser leur prix de vente. Ainsi, la distribution du pouvoir d'achat doit progressivement dépendre de moins en moins de l'emploi, mais avec la productivité, permettre aux dividendes de remplacer progressivement les salaires.

Au Canada, dans les années trente, le gouvernement fédéral interdit aux provinces d'Alberta et de Colombie britannique, dirigées par les créditistes Real Caouette et William Aberhart, d'appliquer le programme du crédit social sous prétexte de l'anticonstitutionnalité des émissions monétaires provinciales. À la même époque, Louis Even développait au Québec une union apolitique, catholique, patriotique et créditiste, encore très active, autour du journal Vers Demain. Depuis les années quatre-vingt, les mouvements politiques créditistes américain et canadien développent un discours conservateur. En Angleterre, le secrétariat du crédit social s'attache à diffuser les œuvres de Douglas. Dans les années soixante, Henri Moreau, éditeur de Brisons le piège, rapprocha les expériences post-geselliennes de la pensée créditiste. Enfin, Janpier Dutrieux (Fragments diffusion) développe la réforme financière du crédit social dans le cadre d'une société organique et la présente comme l'alternative à la répartition paralysante ou à la capitalisation individualiste de l'effort social. JD
Pour aller plus loin : Coll., Sous le signe de l'abondance, Institut d'action politique, Montréal 1946 ; Coll., Votre avenir, pour un socialisme dégagé de Marx, coll. L'Occident communautaire, Bruxelles 1962; Janpier Dutrieux, Les ouvriers de la onzième heure, Edition des écrivains, 1988; Fiances Hutchinson, Brian Burkht, The Political Economy of Social Crédit and Guild Socialism, Routledge, London 1997

Silvio Gesell et la monnaie franche

L’œuvre de Silvio Gesell, prospère commerçant allemand installé à Buenos Aires, fut réunie en un seul ouvrage en 1916 sous le nom de Die natùrliche Wirtschaftsordnung durch Freiland und Freigeld (« L'ordre économique naturel fondé sur l'affranchissement du sol et de la monnaie »).

Gesell avait remarqué que la monnaie utilisée comme moyen de conserver la richesse, dans un contexte de stabilité monétaire, impose à ceux qui la détiennent des frais de conservation négligeables, alors que les richesses physiques comportent des frais de conservation appréciables et se dévalorisent ainsi dans le temps, par l'usure, la nécessité d'entretien, la gestion des stocks. Pour maintenir la valeur initiale de ce capital, un travail de production est nécessaire. À contrario, un capital monétaire ne se dévalorise pas dans le temps. Épargné, il engrange même un intérêt. Or, plus le capital monétaire sera épargné, plus le capital physique se détériorera par manque de moyens de financement du travail et de la production.

Gesell soutenait que le taux de l'intérêt ne bénéficie qu'au capital monétaire, mais défavorise le capital physique et en freine la constitution. Afin d'éliminer cet intérêt et de permettre le développement du capital physique, il envisagea un système dans lequel la monnaie supporterait des frais de conservation semblables à ceux qui obèrent les autres marchandises. Il s'agissait de donner au capital monétaire les mêmes caractéristiques que celles que l'on observe sur le capital physique. C'est-à-dire de déprécier le capital monétaire qui est thésaurisé, ne circule pas ou n'entretient pas sa valeur par des investissements productifs.

La monnaie de ce système sera appelée monnaie franche ou monnaie estampillée. Elle perdrait périodiquement un pourcentage de sa valeur si ses utilisateurs ne s'en débarrassaient pas rapidement en l'échangeant contre des marchandises.

En augmentant sa vélocité, la monnaie franche augmentait la consommation et relançait la production. Ce système, qui sera appliqué dès 1932 à Wôrgl, en Autriche, sera étudié par Irving Fisher qui en tirera son livre Stamp Strip (1934).) J.M. Keynes en souligna également l'originalité et l'apport en estimant que « l'avenir aura plus à apprendre de la pensée de Gesell que de celle de Marx [car] l'idée sur laquelle repose la monnaie estampillée est juste ». Enfin, la monnaie franche est aujourd'hui à l'origine des expériences des systèmes de bons d'échange (LETS et SEL) de cette dernière décennie. JD

Sismondi et la répartition fiscale

Contemporain de Jean-Baptiste Say, de Thomas Robert Malthus et de David Ricardo, l'historien et économiste suisse Jean Charles Simonde de Sismondi (1773-1842) inspira la majorité des auteurs réformistes. Malgré la violence de ses critiques, il ne remit pas en cause les principes du libéralisme. Mais les interventions qu'il propose portent des intuitions remarquables qui annoncent notamment les socialistes français et lés marxistes.

Longuement cité par Karl Marx dans La misère de la philosophie, il fut présenté comme l'un des précurseurs du dirigisme, mais son œuvre souligne pourtant les dangers d'une intervention excessive de l’État. Il fut en revanche l'un des premiers, avec Adolf Wagner en Allemagne, à proposer d'utiliser l'impôt comme un outil de redistribution. Selon lui, les impôts sur le revenu et sur l'héritage doivent être des leviers de transformation sociale évitant les inégalités excessives, l'accumulation des fortunes et les injustices liées à leur transmission.

Si le dirigisme latent de Sismondi apparaît avec le recul quelque peu obsolète, la lucidité de son analyse des crises de la surproduction reste toujours actuelle. Il estimait que les déséquilibres de la répartition qui réduisent la consommation du plus grand nombre étaient à l'origine de la faiblesse de la demande. L'insolvabilité des agents engendre ainsi une situation de surproduction « En vain, ferait-on croître du blé pour ceux qui ont faim, ou fabriquerait-on des habits pour ceux qui sont nus, s'ils ne sont pas en état de payer... ».

En se demandant « avec quels revenus pourront vivre les ouvriers britanniques le jour où la mécanisation aura atteint un point tel que la reine d'Angleterre, en tournant une manivelle, produira à elle seule tout ce dont le pays a besoin et sera alors la seule à percevoir un revenu », Sismondi caricaturait une situation qui nourrira les théories de la sous-consommation et dont on découvre aujourd'hui le caractère quelque peu prémonitoire. JD

Pour aller plus loin : Sismondi, Nouveaux principes d'économie politique, 1819, rééd. 1976; Coll., Colloque Sismondi européen, Statkine, 1976.

Proudhon et le mutualisme autogéré

Figure de proue du socialisme français, Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865) s'inscrit dans une tradition fédéraliste et libertaire marquée par une profonde aversion envers le centralisme étatique. Dans Qu'est ce que la propriété ? Recherches sur le principe de droit et de gouvernement (1840), vibrant réquisitoire contre l'individualisme, il proclame son célèbre axiome souvent mal interprété : « La propriété, c'est le vol ». Il prend soin d'ajouter : « Une nécessité s'impose aux gouvernants de la supprimer en la remplaçant par la possession ». Hostile à la redistribution autoritaire comme au laissez-faire libéral, Proudhon souhaite refonder l'économie sur les principes de solidarité et de réciprocité mises en œuvre par le peuple organisé en communautés. Il observe : « L'acheteur, quand il achète un produit, n'achète que le travail qu'il aurait dû faire lui-même si la division des travaux et l'échange n'avaient pas changé ». Le socialisme communautaire de Proudhon se traduit donc par l'idéal autogestionnaire. Son idée est de constituer une première mutuelle, la « banque du peuple », permettant l'auto-organisation productive du salariat à la base, dans des coopératives ouvrières appelées à se fédérer. Dans Les confessions d'un révolutionnaire (1849), Proudhon explique : « La banque du peuple était, comme la proposition d'une retenue sur tous les revenus et salaires, une application particulière du principe de mutualité, base de l'économie sociale [...] Banque d'escompte et de dépôt, banque d'émission, banque d'affaires et de crédit, elle devait progressivement animer l'ensemble de la vie économique, permettre l'essor de multiples sociétés ouvrières de production et un syndicat général de la consommation, établir un lien fédératif entre ces sociétés ».

Aujourd'hui, après l'effondrement des économies bureaucratiques du communisme réel, les thèses de Proudhon retrouvent leur actualité. Elles se concrétisent notamment dans la montée en puissance de l'économie non monétaire (autoproduction, bénévolat, SEL) et non lucrative (le tiers secteur des associations, mutuelles et coopératives). AGJ

Pour aller plus loin : Pierre-Joseph Proudhon, Qu'est-ce que la propriété ?, Tops-Trinquier, 1997; Théorie de l'impôt, L'Harmattan, 1995.

Friedrich List et le protectionnisme

Fondateur de l'Association des industriels du centre et du sud de l'Allemagne, père de l'idée du Zollverein (Union douanière réalisée en 1834), député critique à l'égard de l'administration de son temps (ce qui lui valut quelques années d'exil aux États-Unis), l'économiste Friedrich List (1789-1846) fut l'un des premiers théoriciens du protectionnisme. Selon lui, le libre-échange n'est pas une loi universelle de l'économie, mais une stratégie politique mise en œuvre par la Grande-Bretagne, dont l'impérialisme se nourrit du développement inégal des nations. Critiquant la loi de l'avantage absolu d'Adam Smith, il montre que l'extension du commerce international ne peut se faire qu'au profit des pays les mieux dotés en ressources naturelles et humaines, donc au détriment de tous les autres. Ce que l'histoire des 150 dernières années a abondamment démontré, malgré la correction théorique des « avantages comparatifs » apportée par Ricardo : les « ajustements structurels » aujourd'hui préconisés par les organes du néocolonialisme occidental (FMI, OMC, OCDE) visent à démembrer toutes les politiques de protection publique et à pérenniser ainsi un rapport de force favorable aux nations les plus riches.

Contrairement à ce que l'on croit souvent, List envisage parfaitement que le « libre-échange cosmopolite », selon ses termes, devienne un jour la règle générale du commerce. Mais il conteste que chaque nation ou chaque civilisation doive se soumettre en même temps et au même rythme à cette loi. Le passage de l’État agricole à l’État manufacturier, puis à l'Etat commercial, suppose la mise en place d'un « protectionnisme éducateur » par lequel chaque société fait le tri entre les échanges qui lui sont profitables et ceux qui lui sont nuisibles. List a montré que l'Angleterre des XVIIIe et XIXe siècles n'a pas procédé autrement, malgré le libéralisme affiché par ses clercs. L'analyse reste valable pour les États-Unis, qui pratiquent aujourd'hui un semblable double jeu : dans les discours, vibrants plaidoyers libre-échangistes à destination des organisations internationales et de l'opinion publique mondiale dans la réalité, multiplication des droits de douane prohibitifs, rétorsions économiques ou financières (à justification morale), défiscalisation concurrentielle de certains produits à l'exportation.

La leçon de List s'adresse aujourd'hui aux dirigeants de l'Union européenne (et de tous les ensembles régionaux émergents, Mercosur, Asean, Chine, zone ACP) les choix macro-économiques sont subordonnés à l'état réel des sociétés, non à un état idéal dogmatique des échanges transnationaux. Face à la logique de délocalisation exponentielle des hommes, des biens et des capitaux, seul un protectionnisme souple permet de concilier efficacité économique et cohésion sociale. CB
Pour aller plus loin : Friedrich List, Système national d'économie politique, Gallimard, 1998, préface d'Emmanuel Todd.

Jacques Duboin et l'abondancisme

De Jacques Duboin (1878-1976), on ne trouve plus guère, chez les bouquinistes bien achalandés en essais économiques, que des livres aux couvertures toujours jaunies et aux titres souvent utopiques La grande relève des hommes par la machine (Fustier, 1932), Demain ou le socialisme de l'abondance (Ocia, 1940), L'économie distributive et le péché originel (Ocia, 1948)... Leur auteur fait partie de ces originaux à peu près inclassables - et de fait, les manuels consacrés aux auteurs classiques de l'économie préfèrent ne pas le classer du tout dans leurs pages !

Duboin n'a pourtant pas mérité l'oubli dans lequel il est tombé. L'essentiel de son œuvre s'appuie sur la contradiction majeure qu'il décèle dans le système capitaliste la technique permet de produire de plus en plus de biens avec de moins en moins de personnes, en même temps que le système économique s'interdit de redistribuer cette abondance. À la croissance géométrique de la production répond un progrès arithmétique de la distribution. Quels sont les causes de ce blocage ? D'abord, les hommes n'ont pas encore pris conscience des conséquences de la révolution technologique et scientifique à l'œuvre depuis deux siècles celle-ci libère l'humanité de la rareté matérielle qui la condamnait depuis toujours à économiser sur les moyens. Ensuite, l'époque moderne donne une définition strictement monétaire de la richesse, ce qui oblige à réintroduire un principe accumulatif (amasser l'argent) dans tous les rouages de l'économie (le système « prix-salaire-profit »). D'où l'absurdité du libéralisme, qui diffère sans cesse la jouissance du plus grand nombre afin d'assurer le profit de quelques-uns. Bien avant d'autres, Duboin résume cette « horreur économique » dans une de ses formules heureuses : « Le système est devenu imbécile car il place l'homme au-dessous du singe. L'idée ne viendrait pas à ce dernier d'infliger une grande pénitence à ses petits sous prétexte qu'il y a abondance de noix de coco et un ours ne se condamnerait pas à passer l'hiver dehors, sous prétexte que les abris sont trop nombreux ».

Pour assurer la distribution de l'abondance plutôt que d'organiser l'illusion de la pénurie, Jacques Duboin proposait notamment la création d'une monnaie de consommation sans fonction de la conservation des valeurs et l'instauration d'un revenu indépendant du travail salarié. La postérité de Duboin est aujourd'hui incarnée par les théoriciens du double partage (travail et revenu) comme André Gorz, Philippe van Parijs, Yoland Bresson, Jean-Marc Ferry. La réduction progressive du temps de travail serait assortie d'un revenu de citoyenneté, allocation versée inconditionnellement à tous les citoyens indépendamment de leurs autres revenus d'activité. Le montant de ce revenu de citoyenneté devrait être suffisamment élevé pour se substituer à la pléthore bureaucratique des programmes spécifiques d'aides sociales accumulés depuis cinquante ans. Mais suffisamment faible pour inciter à la généralisation souple du travail à temps partiel. CB

Pour aller plus loin : Jean-Paul Lambert (éd.), Jacques Duboin (1878-1976). Le socialisme distributiste, L'Harmattan, 1998, préface d'Alain Caillé. La revue La grande relève, fondée avant-guerre par Jacques Duboin, est aujourd'hui dirigée par sa fille, Marie-Louise Dubouin (BP108, 78110 Le Vésinet). Plus de 1000 numéros ont déjà été publiés.

Amitai Etzioni et la socio-économie

La socio-économie, discipline promue depuis la fin des années 80 par le penseur communautarien américain Amitai Etzioni, s'appuie sur deux hypothèses substantielles a) « La concurrence forme un sous-système enchâssé dans un contexte sociétal fait de valeurs fortes, de rapports de pouvoir et de relations sociales » b) « Les choix individuels procèdent de valeurs, d'émotions ou de connaissances ».

La première hypothèse, héritée de l'institutionalisme de type weberien ou schumpeterien, postule que les décisions micro ou macro-économiques ne sont jamais indépendantes des contextes où elles s'inscrivent. Le principe d'ordre ne résulte pas spontanément de la concurrence des intérêts particuliers, mais d'une cohésion de niveau supérieur qui rend cette concurrence possible en tempérant ses excès. Les personnes qui souscrivent à un contrat ou procèdent à une transaction, par exemple, se fondent sur la confiance réciproque qui résulte de rapports interpersonnels non marchands.

La seconde hypothèse offre un cadre d'analyse des comportements sociaux qui dépasse la rationalité limitée de l'individualisme méthodologique. La recherche du meilleur intérêt ou la satisfaction du plaisir ne résument pas les motivations des agents économiques, et cela à tous les niveaux. Les célèbres travaux du sociologue français Philippe d'Iribarne ont ainsi montré que les rapports de travail au sein de l'entreprise ne dépendent pas seulement de régulations juridiques ou de rétributions économiques, mais qu'ils s'organisent aussi autour de codes culturels variant selon les classes et les nations (logiques de l'honneur, de l'égalité, du plaisir, etc.). Il en va de même pour les activités hyperspéculatives (donc supposées parfaitement rationnelles et intéressées) de la nouvelle économie. Le chercheur américain Wayne Baker a par exemple démontré que les fluctuations des prix de valeurs à options étaient dépendantes du cadre structurel du change des titres ces fluctuations sont d'autant moins marquées que les échangeurs appartiennent à des réseaux constitués et liés entre eux par des habitudes de travail. CB

Pour aller plus loin : Amitai Etzioni, Essays in Socio-Economies, Springer, Berlin-New York 1999; Annie Jacob, Hélène Vérin, L'inscription sociale du marché, L'Harmattan, 1997; Beat Burgenmeier, La socio-économie, Economica, 1994.

Pages réalisées par Charles Berrias, Tïno de Bran, Janpier Dutrieux, Arnaud Guyot-Jeannin, Sylvain Le Blond, Michel Lhomme.

éléments N°98 Mai 2000

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