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Le troisième âge du capitalisme 1/5

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Avec la mondialisation, nous entrons dans le troisième âge du capitalisme, marqué par la domination des marchés financiers, la montée en puissance des multinationales, la dérégulation des économies et l'émergence de formes nouvelles d'exclusion. Analyse critique de cette nouvelle économie dont la convivialité publicitaire masque mal les appétits voraces.

Dans un livre récent, Luc Boltanski et Eve Chiapello ont examiné la façon dont le capitalisme n'a cessé de mobiliser des millions d'individus   autour d'une cause qui n'a pourtant pas d'autre finalité qu'elle-même : l'accumulation du capital (1). Cherchant à identifier les « croyances qui contribuent à justifier l'ordre capitaliste et à soutenir en les légitimant les modes d'action et les dispositions  qui  sont cohérents avec lui », ils constatent qu'à chaque époque, le capitalisme comporte une figure de base, un élément d'excitation individuelle et un discours de justification en termes de bien général. Ce qui les conduit à distinguer trois périodes différentes.

Le premier capitalisme, qui domine tout le XIXe siècle, est incarné par le « bourgeois » qu'a si bien décrit Werner Sombart et par l'entrepreneur ou le chevalier d'industrie, qui manifeste avant tout le goût du risque et de l'innovation. C'est un capitalisme patrimonial et familial, largement solidaire des classes bourgeoises qui exercent le pouvoir. L'élément d'excitation est représenté par la volonté de découvrir et d'entreprendre. Le discours de légitimation se confond avec le culte du progrès.

L'avènement du turbo-capitalisme

Le deuxième capitalisme se développe à partir des années trente. C'est celui de la grande entreprise et du compromis fordiste, où le prolétariat renonce progressivement à la critique sociale en échange d'une garantie d'accéder à la classe moyenne. La hausse des salaires favorise la consommation, qui atténue les conflits. La figure emblématique de ce deuxième capitaliste est celle du PDG ou du directeur de société, en même temps que celle du cadre supérieur. L'excitation réside dans la volonté de l'entreprise de se développer le plus possible. Le discours de légitimation met l'accent sur l'augmentation du pouvoir d'achat, ainsi que sur la valorisation du « mérite » et de la compétence. Cette période, qui correspond à l'ère de la redistribution par l'État-Providence, du keynésianisme et de l'expansion régulière de la classe moyenne, prend fin en même temps que les Trente Glorieuses, avec la crise pétrolière de 1973. Nous sommes, depuis, entrés dans le « troisième âge » du capitalisme. Moment qui correspond au passage d'un capitalisme encore encadré au capitalisme débridé du monde actuel - le « turbo-capitalisme » dont parle Edward N. Luttwak (2).

Sa figure essentielle est celle du chef de projet (coach) ou du faiseur de réseau (net-worker), qui se borne à coordonner l'activité d'unités à durée d'existence limitée. Ses valeurs-clés sont l'autonomie, la créativité, la mobilité, l'initiative, la convivialité, l’épanouissement. Le nouveau capitalisme contourne le principe de hiérarchie par un nouveau dispositif de gestion des personnels. Il y a de moins en moins de « chefs », de plus en plus de responsables qui travaillent en équipes. Le manager attentif aux ressources humaines, adaptable, flexible, « communicant », remplace le cadre rigide et planificateur. L'employé est mobile, avec très peu de fidélité à la firme qui l'emploie. Du fait de l'intensification de la concurrence, l'entreprise fonctionne de moins en moins « en interne ». Elle externalise ses services, qui sont alimentés par la sous-traitance et la précarité. L'entreprise taylorienne ou fordiste cède peu à peu la place à la firme-réseau, phénomène qui va de pair avec l'émergence d'un monde postmoderne, essentiellement « connexionniste ». L'élément d'excitation est représenté par le développement des technologies nouvelles. Le discours de légitimation est celui d'une « nouvelle économie » qui ferait entrer l'humanité dans une nouvelle ère de croissance durable.

La grande caractéristique de ce nouveau capitalisme réside dans une extraordinaire montée en puissance des marchés financiers. L'envolée des cours de la Bourse a commencé dans le milieu des années quatre-vingt à Wall Street, avant de se propager en Europe. En 1998 et 1999, le CAC a progressé de quelque 30 %. Aux États-Unis, les valeurs boursières qui, depuis près d'un siècle, représentaient en moyenne l'équivalent de quinze années de profits, en représentent aujourd'hui trente-cinq !

La conséquence est l'obsession de la création de valeur pour l'actionnaire et une exigence de rentabilité du capital exorbitante. Un taux de rémunération du capital de l'ordre de 15 % est désormais couramment exigé, alors même que la croissance du PNB ne dépasse pas 4 à 5 %. Parallèlement, alors qu'il y a quelque temps on ne jurait que par les retours sur fonds propres pour mesurer la rentabilité de l'actif économique des entreprises, aujourd'hui, afin de compenser le manque d'information sur la rentabilité future, on valorise les entreprise à l'aide de ratios présumés, fondés sur les parts de marché obtenues ou conquises.

Le taux de rendement des titres est déconnecté du taux de croissance de l'économie réelle

Le cours des actions, qui fluctue de manière aléatoire, n'est plus alors le reflet de la situation des entreprises ou des économies la valeur des titres cotés n'a plus rien à voir avec leur valeur réelle. La flambée des Bourses occidentales brise le rapport d'égalité entre le taux de croissance de l'économie réelle et le taux de rendements des titres financiers. La valeur économique se rapporte de moins en moins à une valeur objectivable, et de plus en plus à une richesse virtuelle censée répondre au désir illimité des individus. La dynamique entrepreneuriale visant à s'inscrire dans la durée est supplantée par une dynamique financière immatérielle, sans fondement objectif. Cette distorsion entre l'économie réelle et l'économie financière, la valeur boursière et la valeur ajoutée, mais aussi entre le consommateur et l'actionnaire, entretient l'illusion que l'accumulation de titres équivaut à la production de biens. La fuite en avant se faisant toujours à crédit, les actions boursières ressemblent de plus en plus à des assignats en puissance. La « bulle » spéculative, qui ne cesse de grossir, risque à tout moment de crever, débouchant ainsi sur un nouveau krach.

C'est cette suprématie de la Bourse qui a entraîné, comme une conséquence logique, celle des « investisseurs institutionnels », les fameux « zinzins » (3), qui gèrent aujourd'hui quelque 10 000 milliards de dollars et sont en train d'imposer au monde entier la version anglo-saxonne du capitalisme.

Parmi ces « zinzins » qui dominent la planète boursière, les plus connus sont les gestionnaires de fonds de pension, de compagnies d'assurances ou de fonds communs de placement (mutual funds). Ces « fonds de pension » l'expression n'est qu'un mauvais anglicisme sont en fait des caisses de retraite privées, des fonds d'épargne collective créés par les professions ou les entreprises pour servir des retraites sous formes de rente. Les plus célèbres sont Calpers, en Californie, Vanguard, Fidelity, etc. Leur activité consiste à investir sur les marchés financiers en recherchant les meilleurs profits. En dollars courants, leurs actifs sont passés de 1950 à 1997 de 17 milliards à près de 5 000 milliards En 1997 ils possédaient à eux seuls près de 50 % de toutes les actions cotées aux États-Unis, contre seulement 10 % en 1960.

Cette vogue des fonds de pension, dont on ne cesse de vanter les vertus miraculeuses, comporte en réalité un risque énorme pour ceux qui, par leur intermédiaire, ne craignent pas de jouer leur retraite en Bourse. Elle revient en effet à transférer vers les salariés, qu'elle met à la merci d'un krach, les risques financiers autrefois supportés par les entreprises et les États (4).

Les fonds de pension sont en outre l'un des facteurs majeurs de l'instabilité financière mondiale, leurs apports massifs de capitaux entraînant une surévaluation artificielle qui nourrit la « bulle » spéculative, alors que leur impact positif sur l'économie réelle est pratiquement nul. Leur rôle potentiellement déstabilisateur, en particulier sur les marchés émergents, a d'ailleurs été parfaitement mis en lumière par les crises financières les plus récentes.

Par leurs menaces ou leurs décisions effectives, les investisseurs institutionnels ont changé le visage du capitalisme. Leur poids considérable, les moyens de pression dont ils disposent, ont fait apparaître des normes de gestion nouvelles, en même temps qu'ils limitaient durablement la marge de manœuvre des États. Partout, ils ont imposé leur style, leurs objectifs, leurs exigences. À travers le capital risque, les stock-options et l'actionnariat salarié, ils ont donné la priorité au « gouvernement d'entreprise » (corporate governance) en stimulant le désir d'un retour sur investissement immédiat. Par les fusions, les participations croisées, les prises de contrôle en Bourse, ils ont fait naître une nouvelle classe d'entrepreneurs tirant leur pouvoir de la pure puissance des marchés. En exigeant pour le capital investi des taux de rentabilité quasi usuraires de 15 %, ils ont contraints les entrepreneurs à se soumettre leurs conditions.

À suivre

Commentaires

  • Il faut l'avoir pratiqué , le grand homme ! Et ne pas être aveugle au point d'en ignorer les défauts .

    J'en vois deux :
    - la Nature est cruelle , elle sélectionne . Le pitoyable prophète d'un socialisme égalitaire nous fournit une recette pour entretenir les éclopés de la vie après en avoir multiplié le nombre . C'est un remède pire que le mal
    - la pensée de ce philosophe assez étrange est un universalisme qui ignore l'homme réel , celui qui est d'une race et d'un lieu , tributaire d'une histoire et d'une culture
    Marx fut un utopiste et pire encore un théologien inconscient de ce qu'il faisait, imposer une nouvelle version du christianisme
    Le lire tout en sachant qu'il véhicule un poison , le même que celui qu'il prétend combattre le sémitisme .

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