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Crise : la maladie de l'Union européenne

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Avec un certain aplomb, nombre de dirigeants politiques vantent leu gestion de la crise, entre auto-persuasion et mauvaise foi. Une assurance qui semble confiner au culot, tant il est vrai que, de plus en plus, les peuples s’interrogent et doutent.

La rumeur enfle en effet, qui veut que le confinement n'ait pas particulièrement protégé les pays qui l'ont adopté pour se défendre du coronavirus. Ni sur le plan vital. Ni sur le plan économique. Le problème est que la rumeur n'est pas le fruit d'un complot d'esprits obtus et réactionnaires. Elle plonge ses racines dans un certain nombre d'études et de faits - têtus, comme il se doit. Ce qui explique sans doute que plusieurs États en arrivent aujourd'hui à l'étape suivante confiner les esprits en interdisant toute critique. À ce jeu, Macron semble passer d'autant plus maître qu'il s'est signalé par une particulière incompétence. Laquelle confine sans doute, avec l'idéologie.

Ces données - ces faits - sont désormais accessibles à qui veut bien se donner la peine de faire un minimum de recherches. On en trouve des illustrations nombreuses, notamment à travers les États-membres de l'Union européenne. Prenons l'exemple du graphique qu'en a données, mi-mai, le professeur Luis Huete, de l'IESE, école de commerce sise à Barcelone, par lequel il résume, en un schéma très clair l'évolution économique des États en lien avec leur traitement de la crise du coronavirus.

Confinement sans gain réel

Il apparaît assez logique que, en choisissant de confiner sa population pour sauver des vies, un État a, par contre-coup, provoqué un ralentissement de l'activité économique de son pays, ralentissement dont les conséquences peuvent s'avérer à la longue, plus durables que celles de la pandémie elle-même. On peut dire, de ce fait, que les gouvernements avaient le choix entre la sauvegarde des vies de leurs concitoyens ou celle de leur économie.

Or il appert de l'étude du professeur Huete que cette dichotomie n'était pas inéluctable, et qu'il n'était donc pas nécessaire de choisir l'un au détriment de l'autre, même si un grand nombre de dirigeants politiques ont, de fait, choisi le confinement comme option radicale.

Et l'Espagne, premier niveau d'étude auquel s'est arrêté cet économiste, se trouve être l'un des pays qui, tout en ayant fait le choix du confinement, a connu tout à la fois une mortalité importante et voit ses perspectives économiques, telles que publiées notamment par la Commission européenne, fortement dégradées.

On est donc loin, dans ce cas, et dans celui des nombreux pays qui ont fait un choix similaire, de ce que le professeur Huete appelle un « cercle vertueux », cercle fait de mesures plus opportunes qui ont permis à ceux qui en ont fait le choix d'obtenir de meilleurs résultats tant au niveau de la santé de leurs compatriotes que de leur stabilité économique.

Dans le groupe qui est celui de l'Espagne, à savoir celui où les vies ont été les plus atteintes et l'économie la plus dégradée, on trouve également l'Italie, le Royaume-Uni, la Belgique, l'Irlande et la France.

À l'inverse, parmi les pays où les vies ont été les moins atteintes, et où l'économie a le moins souffert, il y a, pour en rester à l'Europe, la Pologne, le Danemark, l'Autriche, l'Allemagne et le Portugal.

On notera que, curieusement, parmi les pays qui ont le moins bien résisté à la crise se trouvent certains donneurs de leçons. Alors que parmi les pays du « cercle vertueux », certains font partie de ceux qui n'ont pas cédé à la panique du confinement.

Si cette réalité, qui se fonde sur les chiffres officiels émanant d'organismes officiels, à commencer par ceux de l'Union européenne, permet d'avoir une première lecture intéressante de la crise que nous continuons à subir, il serait vain, certes, de s'arrêter à ce simple relevé des faits.

La logorrhée d'Edouard Philippe

D'abord, parce que les mises en causes volent, ces jours-ci, tous azimuts. À l'heure d'écrire, la dernière en date, et l'une des plus significatives, me paraît être l'échange entre l'Union européenne et la France qui, malgré des résultats mauvais, s'essaye à jouer les bons élèves.

C'est sur un ton assez sec pourtant que Bruxelles a reproché à Paris ses « lacunes », notamment en ce qui concerne son système de santé, et particulièrement face aux situations de pandémie.

Pour être plus précis, la Commission européenne n'y a pas été par quatre chemins, reprochant à la France « des difficultés à garantir la disponibilité immédiate de professionnels de la santé, de produits indispensables et d'équipements de protection individuelle » et, plus profondément, des « problèmes structurels latents ».

On pourrait croire que ces critiques, fondées sur une simple observation des faits, allaient être acceptées sans autre forme de procès. Mais la réaction du gouvernement français a été tout autre. S'exprimant devant le Sénat, Edouard Philippe a renvoyé Bruxelles dans les cordes. « Probablement pourrons-nous dire avec un peu de recul que l'Union européenne n’a pas rien fait et a été utile, a déclaré le Premier ministre. Mais est-ce que véritablement elle a été à la hauteur de cette crise ? Je ne le crois pas. »

Sans s'arrêter sur le fait de savoir si cette réponse du berger à la bergère est bien honnête, le coup porté peut paraître sévère - et il l'est assurément pour un appareil, ou pour ceux qui le composent.

Mais il serait trompeur de croire que le gouvernement français met en cause l'Union européenne en tant que telle, puisqu'il poursuit en saluant le «plan très ambitieux» proposé, quelque quarante-huit heures plus tôt, par Emmanuel Macron et Angela Merkel - un plan de relance de 500 milliards face à la crise.

Or ce plan n'est pas une réaction nationale. Il est le réamorçage de l'Union européenne par le moteur franco-allemand. Et, pour Edouard Philippe, il s'agit là de s'attaquer à des « réformes de structure ».

Et il ajoute « C'est la seule raison que j'identifie pour pouvoir faire fonctionner de nouveau ce moteur franco-allemand, dont nous savons tous qu 'il est indispensable au redémarrage de l'Europe. »

Et, de fait, Berlin a bougé. Il est peut-être un peu hasardeux de dire, comme on le pense à Paris, que c'est sous l'impulsion de la France, même s'il est vrai que les thèmes abordés pour ce plan de relance - protection sanitaire au niveau européen, souveraineté économique de l'Union européenne, transition écologique et relance budgétaire - appartiennent depuis longtemps au répertoire d'Emmanuel Macron.

L'Allemagne vire de bord

Quoi qu'il en soit, le changement de cap allemand est important. Puisque, en acceptant l'idée d'une « dette commune », en clair d'une solidarité financière, Angela Merkel tourne le dos à cette rigueur dont elle avait fait son cheval de bataille depuis plusieurs décennies, face à plusieurs présidents français, face à plusieurs responsables européens.

De ce fait, elle quitte - dans le principe du moins - le « cercle vertueux » évoqué plus haut des pays qui, par une certaine intransigeance, avaient réussi à préserver, à la lueur de la crise actuelle, tant la vie de leurs concitoyens que leur économie.

Dans le principe, parce qu'il n'est pas dit que Berlin change ses manières d'être aussi facilement que cela. On ne sait comment Angela Merkel vendra cette nouvelle visée à ses partenaires. Encore moins aux Allemands. On ne sait même pas comment elle a pu la jeter à la figure de cette autre Angela Merkel qui, pendant des décennies, a défendu, contre beaucoup de ses partenaires européens, cette vertu financière qu'elle semble désormais renvoyer aux oubliettes.

En pratique, rien n'est joué. D'ores et déjà, en effet, l'Autriche, le Danemark, la Suède et les Pays-Bas ont rejeté le principe évoqué par le couple franco-allemand, qui passe d'autant plus mal qu'il apparaît comme une trahison d'une Allemagne qui était un peu le chef de file des tenants de la vertu financière.

Il est vrai que, en pratique, l'idée avancée par Angela Merkel et Emmanuel Macron est lourde de conséquence, puisque, si le plan proposé était adopté, ce ne serait pas les pays qui bénéficieraient des 500 milliards évoqués pour faire face à la crise qui auraient à les rembourser.

Le mécanisme de ce remboursement n'est pas précisé exactement. Encore moins accepté. Et l'on gage que ses opposants ne se laisseront pas convaincre aussi facilement que cela tant l'idée renverse les fondements classiques de l'économie pour y substituer une vision plus égalitaire et, pourquoi ne pas risquer le mot ? socialiste.

À l'heure où le FMI déprime à l'idée d'annoncer de nouvelles perspectives de croissance, ou plutôt de décroissance, plus mauvaises encore que les précédentes, c'est pour le moins osé.

Pour les Européens en général, et les Français en particulier qui voient que l'on a fait marcher la planche (virtuelle) à billets pour pallier les conséquences financières d'une mauvaise gestion de la crise, c'est tout de même une perspective inquiétante. Car, au final, il faut bien que l'argent sorte de quelque part Et la directive européenne qui permet le renflouement des banques par ponction des comptes bancaires (de plus de 100 000 euros dans le principe) pourrait bien refaire surface...

Reste à savoir ce qui a poussé Angela Merkel à ainsi brûler ses vaisseaux. Avec le recul, on peut penser que le chancelier allemand a, en définitive, abandonné le rêve d'une Union européenne vertueuse - c'est-à-dire d'une Union calquée sur le modèle allemand. Pour la simple raison que la crise actuelle lui a ouvert les yeux sur l'impossibilité d'obtenir de tous les États-membres d'atteindre à ce niveau de vertu financière dont elle avait fait, jusqu'ici, une sorte de casus belli.

Elle a alors envisagé un temps une Europe à deux vitesses. Mais aujourd'hui, il semble que quasiment plus personne ne serait en mesure d'être au premier niveau.

Et donc, pour éviter de casser la mécanique, je veux dire pour éviter que l'Union européenne ne soit le dernier malade du coronavirus, elle accepte que tout soit nivelé au niveau des plus mauvais éléments de la classe. Avec, peut-être, le secret espoir d'un renouveau dont elle ne fera de toute façon pas partie, puisqu'elle arrive à la fin de son règne. En clair, il vaut mieux une Union européenne de mauvaise qualité que pas d'Union européenne du tout. Jusqu'au prochain accident...

Olivier Figueras Monde&Vie N°986 29 mai 2020

photo (1) La France, une fâcheuse tendance à s'auto-congratuler (2) tandis qu'Angela Merkel semble oublier ses exigences d'une Europe vertueuse pour sauver le navire UEL Ici, après des semaines d'errance, conférence de presse franco-allemande du 18 mai 2020 pour tracer les contours d'une vision commune de relance de l'économie post-Covid.

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