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Une vague d'hystérie planétaire

Il n'y a pas un sujet de société qui échappe à l’oeil de lynx d’Alain de Benoist. Le fondateur de la nouvelle droite, après une bonne centaine d'ouvrages à sort actif, porte un regard plus exigeant sur l’évolution de l’occident. Qui peut comprendre mieux que lui ce nouvel antitiracisme qui déferle sur nos consciences ?

Entretien inédit avec Alain de Benoist

Propos recueillis par l'abbé G. de Tanoiiarn

Que nous disent l'affaire Floyd et ses suites sur le déclin de l'empire américain ?

Pas grand-chose que l'on ne savait déjà. À la fin du premier tome de son célèbre essai sur la démocratie en Amérique (p. 301-343 dans l'édition de 1864), Tocqueville s'interrogeait déjà sur les « dangers que la présence de la race noire fait courir aux Blancs » : « Le plus redoutable de tous les maux qui menacent l’avenir des États-Unis, écrivait-il, nait de la présence des Noirs sur leur sol ». Encore, à cette époque, la population de ce pays était-elle très majoritairement d'origine européenne. D'ici quelques années, ce ne sera plus le cas. L'esclavage a été aboli, la ségrégation aussi, mais les Américains n'ont jamais réglé leurs problèmes raciaux. Le plus souvent ils les cachent, avec une hypocrisie toute anglo-saxonne, mais il suffit d'une étincelle comme l'« affaire Floyd » pour les faire réapparaître dans toute leur ampleur. Les choses s'aggravent du fait que les États-Unis sont aujourd'hui sur une pente descendante, et que l'Amérique est plus divisée, fragmentée que jamais.

Aussi n'est-ce pas sur la scène américaine qu'il faut que le regard se polarise. Alors qu'objectivement rien ne permet de dire que George Floyd a été « victime du racisme », nous avons assisté ces jours-ci à une vague d'hystérie planétaire qui emporte tout sur son passage. Le climat passionnel qui l'accompagne interdit toute discussion raisonnable quiconque essaie de freiner l'emballement, de faire remarquer que la police américaine abat chaque année beaucoup plus de Blancs que de Noirs, qu'elle comprend en ses rangs d'innombrables policiers noirs, et qu'au demeurant 90 % des Noirs tués chaque année le sont par d'autres Noirs, est immédiatement classé comme « complice ». C'est sur cela qu'il faut s'interroger sur le fait qu'il suffit d'appuyer sur le bouton magique du « racisme » pour que des foules considérables descendent dans la rue d'un bout du monde à l'autre. Il y a là tout un enseignement à tirer sur la force des mythes et la puissance des conditionnements. Dans un tel climat, les mots ne servent plus à rien. Renaud Camus parle d'« hébétude ». Je parlerais plutôt d'ahurissement.

Pour la France, est-on en train d'assister au grand retour de SOS racisme et des années 80 ou se trouve-t-on devant un phénomène nouveau, un nouvel antiracisme ?

C'est un phénomène nouveau. À l'époque de SOS racisme, l'« antiracisme » argumentait de manière classique sur la base de l'universalisme et de l’« humanisme républicain ». Aujourd'hui, ceux qui sont à la manœuvre sont d'abord des « indigénistes », des communautaristes, des séparatistes qui, loin de relativiser l'existence des races, en font au contraire le principal fondement de leur identité. Dans son livre intitulé Les Blancs, les Juifs et Nous, Houria Bouteldja explique qu'une Noire violée par un Blanc doit s'empresser de le dénoncer, mais que si elle se fait violer par un Noir elle doit se taire pour ne pas nuire à sa race. L'appartenance raciale devient ainsi le fondement de toute une conception du monde. L'identitarisme des « Indigènes de la République » ne croit plus un instant au caractère « universel » des droits de l'homme, mais s'enracine, sous couvert d'antiracisme, dans une subjectivité convulsive consistant à mettre les Blancs en accusation au seul motif qu'ils sont Blancs, c'est-à-dire coupables, puisqu'ils jouissent du « privilège » de leur « blanchitude ». Extraordinaire ironie de constater que les races sont plus visibles que jamais depuis qu'on a décrété qu'elles n'existaient plus !

En France, ce nouvel « antiracisme » est d'autant plus ridicule qu'il cherche à transposer un « modèle » américain sur une situation française toute différente. La culture américaine a toujours été empreinte d'une exceptionnelle violence. La police américaine tue près d'un millier de personnes par an (987 en 2017), contre moins de 20 pour la police française. Les Américains sont surarmés, ce qui explique (sans les excuser) d'incontestables brutalités policières. Aux États-Unis, quand un automobiliste est arrêté pour excès de vitesse, la première chose que font les flics n'est pas de lui demander ses papiers, mais de mettre ses mains bien en évidence sur le volant, tout simplement parce qu'ils ont peur de prendre une balle dans la tête. Nous n'en sommes pas encore là, d'autant que la police, qui peut faire preuve d'une brutalité inouïe quand il s'agit de réprimer les Gilets jaunes, a au contraire pour consigne de tout faire pour éviter les « bavures » quand elle intervient dans les banlieues.

Ce nouvel antiracisme n'est-il pas au fond un nouveau racisme ?

J'ai déjà répondu à cette question. Mais comme toujours, il faut en revenir aux définitions. La tendance aujourd'hui est de faire du « racisme » un mot-caoutchouc à caractère polémique englobant n'importe quelle forme d'allergie ou de détestation de l'altérité. Cela revient à embrouiller les choses. En toute rigueur le racisme consiste à considérer que certaines races sont supérieures à d'autres, que certaines valent mieux que d'autres. Cette idée s'accompagne - mais pas forcément - de la conviction que le facteur racial est le principal facteur explicatif de l'histoire humaine. Il faut en outre distinguer les idées racistes et les comportements racistes : les deux ne vont pas nécessairement de pair. Face au racisme, deux attitudes sont possibles : la première dénie toute signification à un classement des races en valeur, au motif qu'il n'existe pas de critère surplombant qui permettrait de le faire; la seconde, à nier purement et simplement l'existence des races, qui ne seraient que des « constructions sociales », voire des illusions d'optique. Cette seconde position me paraît peu tenable.

Le racisme ne s'intéresse pas à ce que font les gens, mais à ce qu'ils sont. Ceux qui détestent les Noirs les détestent parce qu'ils sont Noirs, ceux qui détestent les Blancs les détestent parce qu'ils sont Blancs. Quand le « nouvel antiracisme » dénonce le racisme blanc en affirmant que les Blancs sont nécessairement racistes parce qu'ils sont blancs, quand il va jusqu'à dénier aux Blancs le droit de critiquer le racisme parce que, ce faisant, ils se rendraient coupables à l’« appropriation culturelle », il tombe alors sous le sens que cet antiracisme n'est plus le contraire du racisme, mais un racisme en sens contraire. Quant à l'argument selon lequel il ne saurait y avoir de racisme antiblanc, car les Blancs sont des dominants, et que seuls les dominés peuvent être victimes du racisme, c'est un sophisme que la vie réelle dément tous les jours.

Quels sont les gens qui ont intérêt à faire de George Floyd une icône mondiale ?

Tous ceux qui considèrent que les Européens doivent perdre de leur superbe, qu'ils doivent renier leur identité, et ne plus voir dans leur passé qu'une longue suite de crimes. Ces gens-là ont très bien compris que nos valeurs morales ne sont plus déterminées par le système classique de la honte et de l'honneur mais par la culpabilité, la repentance et le mea culpa. Les Européens sont tenus de se repentir, de demander pardon (un pardon qui ne leur sera jamais accordé), de se mettre à genoux pour s'excuser d'exister. Et ça marche tout le monde se met à genoux. Aux États-Unis, en Caroline du Nord, on a même vu des policiers et des civils blancs se mettre à genoux pour laver les pieds des manifestants noirs ! S'y ajoute l'iconoclasme des déboulonneurs de statues, ces nouveaux profanateurs de sépultures. Coupables, forcément coupables. Spectacle consternant.

Doit-on penser qu'une partie de la classe politique - à travers le signe de ralliement de l'agenouillement -adhère à ce nouvel antiracisme ou s'agit-il d'une sorte d'emballement émotionnel ? À moins que cela ne soit un calcul politique ?

Je doute que la classe politique ait l'esprit assez structuré pour adhérer à quoi que ce soit. Elle est surtout terrorisée à l'idée d'aller contre la doxa de l'idéologie dominante. Tel le lapin pris dans les phares, elle est clouée sur place par les diktats qui lui imposent de faire tourner le moulin à prières et de réciter les mantras de la pensée unique. C'est là aussi un phénomène qui mérite une analyse en profondeur. Il montre le type d'emprise qu'exerce l'idéologie dominante. Quand un ministre de l'Intérieur en arrive à dire que « l'émotion mondiale, qui est une émotion saine sur ce sujet, dépasse les règles juridiques qui s'appliquent », en clair que l'émotion autorise à violer la loi, on touche le fond.

Faut-il faire un rapprochement entre cet antiracisme et le néoféminisme ? Dira-t-on balance ton porc à propos du raciste que chacun porte en soi ?

On peut faire un rapprochement superficiel. Ceux qui le pratiquent le font dans une perspective d'« intersectionnalité » pour souligner par exemple, qu'une femme noire peut être « discriminée » à la fois en raison de son sexe et en raison de sa race, ce qui signifie qu'une femme blanche discriminée en raison de son sexe reste une « privilégiée » en raison de sa race. Mais tout cela ne mène pas bien loin. La différence principale est que le nouvel antiracisme ne nie absolument pas la réalité des races, tandis que le courant néoféministe aujourd'hui dominant se réclame de la théorie du genre, laquelle conteste la distinction féminin-masculin et prétend que l'orientation sexuelle dépend exclusivement du genre, posé comme une « construction sociale », et non du sexe au sens biologique et physiologique du terme.

Pensez-vous que le phénomène de ce nouvel antiracisme va perdurer dans notre société et sous quelles formes ?

Les mêmes causes produisant en général les mêmes effets, tout donne à penser qu'il n'est pas près de disparaître. Cela dit, le phénomène a plus d'étendue que de profondeur. Il pourrait bien être emporté par des événements d'une ampleur bien supérieure, qui touchent véritablement à l'existence quotidienne des gens, une grande crise économique et sociale par exemple. Le « nouvel antiracisme », il faut le souligner ne représente aucun mouvement de contestation du système en place. Le système capitaliste s'en accommode à la perfection, et la bonne bourgeoisie qui se donne bonne conscience en sanglotant sur George Floyd, aura demain moins d'états d'âme pour justifier les fermetures d'usines et les plans de licenciements.

Monde&Vie N° 987 20 juin 2020

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