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Covid-19. Des héros et des salauds

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Dresser un bilan provisoire de l’épidémie de Covid-19, ce n’est pas seulement comptabiliser les victimes de la maladie et les effets économiques du confinement. C’est aussi s’intéresser au monde de la Santé et à sa médiatisation. Dominique Remmaker dresse un bilan incisif de cette période pour les professionnels de santé.
Polémia

Don et contre don

On doit à l’écrivain Alphonse Karr (1808-1890) cette phrase un rien sibylline : « Un service que l’on rend est une dette que l’on contracte ». À la suite de Marcel Mauss et des théoriciens du don – contre don, il ne faut jamais perdre de vue en effet que contracter une dette, c’est subir en retour le pouvoir et le prestige du donneur. Un sentiment difficile pour l’ego, d’autant plus que le créancier est une construction sans chair ni os. Voici donc « les soignants », héros de vingt heures comme le gigot l’est de sept, qu’il fallut applaudir dans un élan de concorde nationale, à l’unisson des propagandistes médiatiques. Un peu comme dans le temps de la guerre – mythifié par un président qui ne l’a jamais connu –, tous montèrent au front en gants blancs et masques invisibles, contre un ennemi qui ne l’était pas moins. En face d’un simple bout d’ARN ceint de quelques protéines, notre société des droits individuels s’éprit d’un travers collectif : renoncer à la haine de classe, de caste, corporatiste, raciale, religieuse, anti-mâle blanc, progressiste, traoriste, en un mot, multiculturelle. Point de distinction entre médecins, infirmières ou aides-soignantes parmi ces professionnels qui consentirent à prendre le risque de leur vie pour leur idéal. Point de médecins nantis, corrompus et surpayés, à opposer à des personnels affamés et opprimés par un pouvoir d’essence patriarcale. Seulement de vrais courageux, altruistes et solidaires, qui s’infectèrent et parfois moururent sans distinction d’appartenance. Et dont on découvrit soudain l’importance sociale, la précarité, les faibles rémunérations et la mise en coupe réglée par la technocratie politico-gestionnaire. Des idoles, en somme, qu’il fut bon de célébrer au son des casseroles entre l’apéro et le repas du soir, durant deux mois de grande trouille nationale entretenue par les clairons mortifères de BFMTV. Ils n’en demandaient pas tant. L’ennui, c’est que ce qu’ils demandent aujourd’hui, ils ne l’obtiendront pas. Et que les groupies d’hier commencent à déboulonner leurs statues – décidément, une manie !

Ségur

Tout d’abord, nous avons le « Ségur de la Santé », bel enfumage à mi-chemin entre le Grenelle de 1962 et la Comtesse de Ségur. Lorsqu’il s’agit des comptes de Ségur, pour le coup, les habituels professionnels de l’appareil oligarcho-syndical sont de retour, et avec eux des rapports de force bien marxisants. Inexistants, les médecins si pauvrement défendus par leurs organisations professionnelles, le plus souvent rivales. Ils n’auront que quelques miettes salariales. L’essentiel de la démagogie politicarde profitera à d’autres, certes moins payés, mais pas nécessairement plus méritants. A défaut de revalorisation salariale, les médecins pouvaient espérer un renouveau du système de santé et notamment de l’hôpital public. Ils auront le monde d’avant, mais en pire. Il suffit d’observer le fonctionnement actuel des grands CHU pour le comprendre : retour en force du pouvoir directorial, arrêt des investissements et des recrutements, maintien d’une bureaucratie pléthorique et inefficace, poursuite de la suppression des lits et des postes de soignants. Heureusement, l’inénarrable Martin Hirsch, « patron de l’AP-HP », comme l’appellent les médias, a occupé le terrain de la com’ et réussi à faire croire qu’un énarque tout-terrain pouvait être à la fois l’allié des médecins et le premier des chercheurs en face du SARS Cov 2. Risible.

Raoult-mania

Et puis, les pauvres médecins ont eu Raoult et les infectiologues de l’AP-HP. Le coup de grâce.

Le premier est devenu l’âme du Peuple, le parangon de la lutte antisystème, une sorte de saint laïc dont la personne, les opinions et les productions scientifiques ont fusionné en une moderne eucharistie. Toute discussion sur l’infaillibilité de l’hostie-chloroquine est hérétique, tout contestataire frappé d’excommunication. Il est bon de penser que l’oligarchie a confiné le Peuple et laissé se développer l’épidémie alors que la panacée était à portée de mains ; il est bon de croire qu’elle a été conseillée par des experts incompétents et corrompus, à la seule fin de servir les intérêts d’un laboratoire américain et de ses actionnaires. Il est bon de se sentir médecin en deux mois d’études sur YouTube au lieu de quinze ans au lit des malades. Il est bon de haïr tous azimuts parce que c’est facile. Il est bon de croire, soudain, que le monde n’est pas si complexe qu’on pouvait le croire. Il est rassurant de penser que la science médicale n’est pas si fragile en face des brutalités de la nature, mais bien plutôt pervertie par quelques-uns, au nom d’un projet satanique. Les réseaux sociaux ne racontent que cela. Des intellectuels plutôt solides, comme Michel Onfray et Florian Philippot, montrent des signes d’adhésion à ces thèses, qui viennent consolider leur explication holistique du monde actuel, à laquelle pourtant l’auteur de ces lignes adhère à bien des égards. Sans accepter, pour autant, de renoncer à une approche scientifique de la médecine qui nous a fait passer de la saignée et des clystères aux trithérapies du VIH et à l’angioplastie coronarienne. C’est une approche exigeante, qui impose la prééminence des faits d’observation et des données expérimentales sur les croyances, même quand elles ont des allures de conviction. On ne compte plus les dogmes médicaux pourtant considérés comme absolus, qui ont été balayés dès lors que l’on a accepté de les évaluer vraiment. La science, c’est l’humilité sans cesse renouvelée de celui qui accepte l’erreur pour mieux aller vers la vérité ; puis de ne regarder celle-ci que comme temporaire et relative. La science médicale, c’est toute la fragilité de l’homme expliquée rationnellement ; c’est aussi, souvent, l’impuissance du médecin qui sait mais ne peut, ou ne sait ni ne peut…

La réalité est là, têtue, inexorable : rien ne démontre aujourd’hui de manière irréfutable l’efficacité de la panacée marseillaise, rien ne démontre non plus son inefficacité. Mais la charge de la preuve ne peut en l’espèce être renversée : lorsque des médicaments sont prescrits, la moindre des choses est de démontrer positivement leur efficacité. Les arguments collatéraux en faveur de la Raoult-thérapie ne tiennent pas. Le premier : l’auteur est un grand scientifique dans son domaine. Einstein aussi était un grand scientifique, mais il s’est trompé à propos de la physique quantique. Le second : la pandémie est une urgence, pas le temps de faire des essais cliniques. Le cancer tue environ 450 personnes chaque jour dans notre pays. Faut-il pour autant donner n’importe quoi à n’importe qui ? L’équipe de Marseille avait la possibilité de faire l’étude qui aurait mis tout le monde d’accord, ne serait-ce qu’en comparant par exemple :  l’hydroxychloroquine seule, son association à l’azythromycine et l’azythromycine seule. Ainsi, aucun malade n’aurait été « désavantagé » par un placebo…

Les dérives des scientifiques

Il faut dire qu’en face de Saint Raoult, nous eûmes les dérives du business de la publication scientifique, dont tous les chercheurs savent qu’elle est vulnérable à la fraude et encore plus au militantisme idéologique – qui existe aussi en science. Occasion supplémentaire d’un conflit entre l’arrogante science anglo-saxonne, capitaliste et libérale, et les gaulois réfractaires à cheveux blancs et chevalière à tête de mort. To publish or to perish, l’épidémie Covid-19 fut une manne pour tous les « chercheurs » en manque d’indices bibliométriques et les journaux en quête de sensationnel vendeur. Rien que du classique. Nous eûmes aussi nos nombreux collègues parisiens, infectiologues, réanimateurs, épidémiologistes et j’en passe, si assoiffés de grégarité wharolienne, transformés en animateurs des soirées de CNews, LCI et BFM. Quelle consternante précipitation que la leur, à faire de l’ignorance une connaissance, à exister pour exister, à prétendre tout et son contraire, à s’affronter à coup d’arguments aussi fallacieux qu’imprécis ou indémontrables. Il eut été simple, au demeurant, de ne pas donner à manger aux chiens perpétuellement affamés de l’info fast-food, en leur répondant : « Nous sommes des soignants, pas des bateleurs. Laissez-nous travailler, car nous avons besoin de temps. Consultez plutôt des voyants ». Ils n’ont pas agi en scientifiques, mais en pauvres Diafoirus irresponsables. Les conséquences de leur dilettantisme aboutissent à ce que les médecins et chercheurs soient vus aujourd’hui comme les petites mains de Big Pharma, les complices d’un pouvoir dictatorial, des mandarins assoiffés de gloire, quand il ne s’agit pas d’imbéciles et d’incompétents. Quand les pseudo-stars parisiennes comprendront-elles qu’il faut cesser cet exhibitionnisme des plateaux-télé ? Leur narcissisme a fabriqué des salauds qui ne le méritaient pas.

Dominique Remmaker biologiste et chercheur 12/07/2020

Crédit photo : Domaine public

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