Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Europe : la déception (2008) 4/4

Rendu public le 5 octobre 2007 sous le nom de «traité modificatif», ce projet de traité «simplifié», dont Nicolas Sarkozy avait déjà fait adopter le principe à Bruxelles en juin 2007 n'est tout d'abord pas si simplifié que cela, puisqu'il compte 256 pages assorties de 12 protocoles annexes et 25 déclarations diverses renvoyant à près de 3000 pages d'accords antérieurs. Il reprend par ailleurs l'essentiel des dispositions du projet de traité constitutionnel rejeté par voie de référendum par les Français et les Hollandais. Seules modifications : les éléments symboliques (drapeau, hymne et devise) n'y figurent plus, et le ministre des Affaires étrangères de l'Union se voit, pour satisfaire les Anglais, attribuer le simple titre de «haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune». Pour le reste, rien ne change, sinon l'habillage. La référence à l'OTAN, notamment, est toujours présente puisque le nouveau texte renvoie au traité de Maastricht dont le titre V fixait que les positions communes des États membres en matière de défense doivent être compatibles avec les «cadres de l'OTAN». La Charte des droits fondamentaux n'est pas reprise in extenso, mais fait elle aussi l'objet d'une référence, ce qui en droit revient au même.

La référence à la «concurrence libre et non faussée» n'est pas non plus abandonnée, puisque le traité «simplifié» renvoie à un protocole additionnel qui stipule que « le marché intérieur, tel qu'il est défini à l'article 3 du traité, comprend un système garantissant que la concurrence n'est pas faussée ». La Commission de Bruxelles reste en outre maîtresse de l'interprétation des normes de concurrence et peut donc s'opposer aux politiques industrielles nationales chaque fois que celles-ci seraient tentées d'en remettre en cause le principe, en arguant par exemple de ce que la concurrence ne peut à elle seule régler le commerce international compte tenu de la disparité des situations sociales entre les pays. Valéry Giscard d'Estaing, principal «père » du traité constitutionnel, n'en a pas fait mystère : « La différence porte, davantage sur la méthode que sur le contenu [...] Les juristes n'ont pas proposé d'innovations. Ils sont partis du texte du traité constitutionnel, dont ils ont fait éclater les éléments, un par un, en les renvoyant par voie d'amendement aux deux traités existants de Rome (1957) et de Maastricht (1993) [...] Le résultat est que les propositions institutionnelles du traité constitutionnel se retrouvent intégralement dans le traité de Lisbonne, mais dans un ordre différent »(23).

Le «traité modificatif» a finalement été ratifié à Lisbonne le 13 décembre 2007. Aucun référendum n'est prévu, sauf en Irlande et au Danemark, bien que divers sondages d'opinion aient indiqué que 76 % des Allemands, 75 % des Britanniques, 72 % des Italiens, 65 % des Espagnols et 63 % des Français souhaitent pouvoir se prononcer sur ce texte. En France, ce traité n'a de toute évidence d'autre raison d'être que d'imposer au peuple, sans avoir à le consulter, ce qu'il avait majoritairement rejeté en 2005(24). Le refus du président Sarkozy de soumettre le «traité modificatif» à référendum et sa décision de le faire adopter par la seule voie parlementaire relèvent dès lors de la forfaiture. Anne-Marie Le Pourhiet, professeur à la faculté de droit de Rennes, a été jusqu'à parler de «coup d’État» et de «haute trahison» : « Lorsque l'on sait que la Constitution californienne prévoit qu'une norme adoptée par référendum ne peut être par la suite abrogée ou modifiée que par une autre décision populaire et que la Cour constitutionnelle italienne adopte le même principe, on ne peut qu'être bouleversé par le coup d'État ainsi perpétré en France [...] Le terme qui vient à l'esprit pour désigner le mépris présidentiel de la volonté populaire est évidemment celui de haute trahison »(25).

Alain de BENOIST éléments N°127 Hiver 2008

1) Le Nouvel Observateur, 15 décembre 2005.

2) Cf. Jean-Michel Vemrnchet (éd.), Manifeste pour une Europe des peuples, Editions du Rouvre, Paris 2007

3). Cf. Richard N. Coudenhove-Kalergi, Kampf um Paneuropa, 3 vol., 1925-28; Die europäische Nation, Deutsche Verlags-Anstalt, Stuttgart 1953.

4). Cf. David Mitrany, A Working Peace System, Quadrangle Books, Chicago 1966.

5). Cf. Claudio Giulio Anta, Les pères de l'Europe. Sept portraits, PIE-Peter Lang, Bruxelles 2007 qui rappelle l'itinéraire de Jean Monnet, Robert Schuman, Konrad Adenauer, Alcide De Gasperi, Paul-Henri Spaak, Altiero Spinelli et Jacques Delors.

6). Présentation du livre de Bernard Dumont, Gilles Dumont et Christophe Réveillard (éd.), La culture du refus de l'ennemi. Modérantisme et religion au seuil du XXI' siècle, Presses universitaires de Limoges, Limoges 2007 p. 12.

7). Jean-Marie Mayeur, in Des partis catholiques à la démocratie chrétienne, XIX' XX' siècle, Armand Colin, Paris 1980, p. 227

8). Corinne Gobin, « Le discours programmatique de l'Union européenne », in La légitimation du discours économique, n° spécial de Sciences de la société, Toulouse, février 2002.

9). François Bayrou, « Pas d'Europe sans fédéralisme», in Libération, 14 juin 2001.

10). Cf. Anne-Marie Le Pourhiet, « Qui veut de la postdémocratie ? », in Le Monde, 11 mars 2005. Cf. aussi Jean-Claude Eslin, « Des propositions françaises pour l'Europe ? », in Esprit, février 2006, p. 44.

11). Cf. Catherine de Wenden, Citoyenneté, nationalité et immigration, Arcantère, Paris 1987; Yasemin Nuhoglu Soysal, Limits of Citizenhip. Migrants and Postnational Membership in Europe, Chicago University Press, Chicago 1994.

12). René Passet, « Au-delà du oui et du non », in Libération, 15 mars 2005, p. 35.

13). Chantai Delsol, « Quelle Europe voulons-nous ? », in Le Figaro, 31 mars 2005.

14). « Ainsi éclatait au grand jour, à travers cet épisode symbolique, la signification véritable de l'élargissement : une capitulation sans condition des Européens devant les États-Unis, les derniers admis se montrant les plus empressés à faire acte d'allégeance envers l'empire américain » (Jacques Julliard, « L'Europe, ce machin ! », in Le Nouvel Observateur, 9 janvier 2003, p. 34).

15). Cf. Werner Weidenfeld, « Erweiterung ohne Ende ? Europa als Stabilitätsraum strukturieren », in Internationale Politik, 2000,8, pp. 1-10.

16). Jean-Louis Bourlanges, « Ankara et l'Union européenne : les raisons du "non" », in Politique internationale, automne 2004, pp. 59-60. « L'adhésion turque, note également Bourlanges, réjouit tout à la fois les intergouvernementalistes, soucieux de tordre le cou à l'idée fédérale, les atlantistes, bien décidés à torpiller l'idée d'une Europe indépendante des États-Unis, les multiculturalistes, obsédés par le spectre d'une guerre des civilisations, le grand patronat, séduit par une triple promesse d'exportation, de délocalisation et d'immigration, et même certains adeptes de l'Europe-puissance, bien contents de pouvoir opposer les gros costauds du Bosphore aux woodstockiens complexés de l'Europe du Nord » (ibid., pp. 45-46).

17). Dominique Strauss-Kahn, in Le Meilleur des mondes, 2, automne 2006.

18). Cf. Christophe Réveillard, Emmanuel Dreyfus et Dominique Barjot, Penser et construire l'Europe, du traité de Versailles au traité de Maastricht (1919-1992), Sedes, Paris 2007; Nicolas Roussellier (éd.), L'Europe des traités, de Schuman à Delors, CNRS Editions, Paris 2007

19). Philippe Forget, « Le traité  : une Constitution postiche et liberticide », in La Raison, mai 2005.

20). « Aurait-on voulu élever une politique économique au rang de dogme constitutionnel [...] qu'on ne s'y serait pas pris autrement, a pu écrire René Passet [...] Du point de vue économique, ce n'est pas de la construction de l'Europe qu'il s'agit, mais du néolibéralisme érigé au rang de religion officielle » (« Au-delà du oui et du non », art cit.).

21). Sur le projet de Charte des droits fondamentaux, cf. l'analyse critique détaillée publiée en 2003 dans le Recueil Dalloz par Gilles Lebreton, doyen honoraire de la faculté des affaires internationales de l'Université du Havre, sous le titre : « La fin des droits de l'homme et du citoyen ? » (Chronique, p. 2319).

22). Sur ce point, Laurent Cohen-Tanugi n'a pas tort d'écrire que « ce sont les carences économiques, sociales et politiques qui ont finalement provoqué le rejet et non l'inverse » («La fin de l'Europe ?», in Commentaire, hiver 2005-06, p. 807).

23). Valéry Giscard d'Estaing, « La boîte à outils du traité de Lisbonne », in Le Monde, 27 octobre 2007

24). Cf. Paul-Marie Couteaux, « Relation d'une supercherie », in La Nef, juillet-août
2007 pp. 16-17

25). Anne-Marie Le Pourhiet, texte du 10 novembre 2007 Cf. aussi Paul-Marie Couteaux, «NCE : le coup d'Etat», in La Lettre de l'indépendance, novembre 2007 p.1.

Les commentaires sont fermés.