Lancé à la suite de l’affaire Cahuzac pour traquer la corruption, le Parquet National Financier (PNF) s’est intéressé de trop près aux hommes politiques. Quitte à devenir un acteur politique au comportement trouble.
Nous sommes en janvier 2017 à peine le Canard Enchaîné a-t-il commencé le feuilletonnage des turpitudes du candidat Fillon que le Parquet national financier (PNF) ouvre une enquête préliminaire. La suite, on la connaît : le candidat de la droite, donné favori pour la présidentielle, n'est pas qualifié pour le second tour. C'est la première fois que la justice intervient en pleine élection présidentielle. Le dossier sur Fillon était-il vraiment à charge justifiant une action si prompte ? En tout cas, le 10 juin 2020, devant les députés, celle qui était alors procureur du PNF Éliane Houlette, dit avoir reçu des pressions multiples et détaillées de sa hiérarchie judiciaire. Notamment de la part de Catherine Champrenault, procureur de Paris nommée par Taubira. Curieusement, en juin 2019, Houlette disait n'avoir reçu aucune pression...
Traduction de tout cela : le candidat Fillon a bien été flingue non directement par la gauche de Hollande, mais par des magistrats que ce dernier a mis en place depuis le retour du PS au pouvoir en 2012. C'est toute cette machine nourrie par les nominations du prince et de ses amis qui s'est enclenchée pour surveiller une droite qui a perdu de peu la présidentielle de 2012. À peine les confidences de Houlette distillées, on apprend que le PNF a surveillé plusieurs grands avocats entre 2014 et 2019. La raison ? Les magistrats soupçonnent Sarkozy et son avocat, Thierry Herzog, d'avoir eu une taupe dans la justice qui les aurait informés qu'ils étaient sous écoute téléphonique. L'élément déclencheur est une conversation entre Sarkozy et son avocat tenue le 26 février 2014 où Sarkozy indique avoir renoncé à demander à un ministre monégasque d'embaucher un magistrat français à Monaco. Pour les juges, ce serait un simulacre de conversation, signe que Sarkozy se savait écouté.
Le PNF décide alors de surveiller les fadettes (les factures détaillées d'une ligne de portable qui permet de tracer les appels) de plusieurs ténors du barreau, dont l'avocat Eric Dupont-Moretti. Mais il sera bredouille, car en 2016, aucune preuve n'est apportée. Peine perdue les juges poursuivront l'enquête préliminaire jusqu'en 2019 avant de classer l'affaire sans suite. En outre, l'enquête est ordonnée par une juridiction qui n'en a pas la compétence, car la violation du secret de l'instruction n'est pas à proprement parler une infraction financière et économique.
Une information judiciaire avait par ailleurs été ouverte en même temps par deux juges d'instruction chargés d'enquêter sur Sarkozy, Claire Thépaut et Patricia Simon. Trop d'éléments clochent dans cette enquête elle a duré longtemps, son existence a été dissimulée et surtout, le magistrat qui a ouvert l'enquête préliminaire le 3 mars 2014, Ariane Amson, a été nommé conseiller justice de François Hollande en juin 2016. On pensait l'espionnite et le goût immodéré du secret réservés aux officines sans foi ni loi on découvre que ces symptômes touchent aussi des magistrats persuadés d'agir pour le bien des citoyens.
L'œil de Hollande pour surveiller la droite
Cette accumulation d'indices troubles permet de soulever quelques hypothèses. Tout d'abord, on se demande si la mise en place du PNF a obéi à d'autres motifs que ceux de remédier au désastre causé par l'affaire Cahuzac, ce ministre socialiste qui avait menti publiquement sur ses comptes à l'étranger. Il s'agissait plutôt d'éviter que la droite ne revienne au pouvoir en 2017 en surveillant par une machine rodée, forcément proche de l'Elysée, les différentes affaires autour desquelles certains barons LR gravitaient...
On sait qu'à un certain niveau de pouvoir, les hommes politiques se mêlent à des combines douteuses. La surveillance de Sarkozy et de son entourage s'inscrit ainsi dans ce schéma, car en 2014, Sarkozy n'est pas complètement écarté de la prochaine présidentielle prévue en 2017 (il ne le sera que par sa défaite aux primaires en novembre 2016). Il était un concurrent potentiel pour un président fragile. Enfin, les différentes figures du PNF ont des accointances avec Hollande, Royal ou Taubira. Les magistrats du parquet ne recevaient plus d'instruction individuelle dans les dossiers - elles ont été supprimées en 2013 -, mais cela empêche-t-il les connivences et les porosités avec les politiques ?
Il n'y avait pas besoin de consignes précises de la part du président de la République ou de ses proches, ni même d'un cabinet noir pour empêcher l'émergence d'une figure à droite. Il suffisait tout simplement de mettre en place une machine infernale dont le dernier coup a été le torpillage de Fillon. Comme l'écrit Philippe Bilger ancien avocat général et spécialiste des questions de justice : « On n'a même pas besoin d'évoquer l'existence d'un cabinet noir puisqu'on a seulement détourné, dévoyé, en quelque sorte privatisé au bénéfice de la gauche des mécanismes acceptables pour la gestion d'autres affaires ». Justice nulle part, politique partout.
François Hoffman Monde&Vie 5 juillet 2020