C'était il y a un siècle : au-delà des différents événements d'ampleur mondiale qui l’ont traversée, l’année 1917 constitue, en elle-même, une riche matière à réflexion. Bref essai de méditation historique.
Si l’on sait, depuis Thucydide, que l'Histoire est avant tout une enquête, la matière historique n'en ressemble pas moins à une sorte de pochette surprise. Surtout en matière d'anniversaires et d'éphémérides. On s’en rend compte en ouvrant le très dense ouvrage de Jean-Christophe Buisson, 1917 L’année qui a changé le monde (Perrin) : de jour en jour, de mois en mois, le lecteur y voit défiler les mille-et-un événements qui, retentissants ou imperceptibles, ont contribué à modeler le monde tel que nous le connaissons aujourd'hui.
Parmi ces événements apparemment anodins, citons, à la date des 27 et 28 octobre 1917, les perquisitions policières dans plusieurs locaux de l'Action française à Paris et en province, ainsi qu’aux domiciles de Léon Daudet et Charles Maurras. La police espérait y trouver un arsenal de guérilleros antirépublicains, prêts pour le coup de force terroriste. Las, les fonctionnaires ne tombèrent que sur quelques armes inoffensives dites de « panoplie »), des tracts d'avant-guerre et des photographies du duc d'Orléans. L’affaire, éventée, ridiculisa le gouvernement de Paul Painlevé et précipita sa chute. Quelques jours plus tard, le « Tigre » Georges Clemenceau lui succédait. Anecdotique, cette histoire ? Certes, mais elle résonne étrangement à nos oreilles, alors qu'il y a quelques semaines le tout Paris journalistique bruissait d'un prétendu « terrorisme d'ultra-droite », à propos des velléités incertaines de quelques pieds-nickelés. Et ce, un siècle, jour pour jour ou presque, après cette pathétique « affaire des Panoplies » ! Pour un peu, on serait tenté de croire que l'Histoire n est que cycles et répétitions.
Le siècle de 1917
Et pourtant, à appréhender plus sérieusement la terrible année 1917 il semble surtout qu'elle soit l'année rupture. Plus encore que 1914 qui, au rythme du tocsin et au son des trompettes régimentaires, fut le chant du cygne du vieux monde. D’avantage, aussi, que 1918 qui, à bien des égards, fut l'année de revanche des nationalités (tchèque, finlandaise, polonaise, estonienne, lituanienne, lettonne, yougoslave) face aux Empires déchus. Dans un livre bien connu paru aux éditions Pygmalion, Dominique Venner évoquait le « siècle de 1914 ». Et si le XXe siècle était plutôt né en 1917 ? Au cœur du conflit, 1917 est l’année charnière parce qu’elle est l’année-Monde. Elle est l’année des globalismes.
En accordant à Vladimir Ilitch Oulianov dit « Lénine », un train « plombé » filant vers la Russie, les hommes du Kaiser entendaient introduire chez leur mortel ennemi oriental le « bacille » du communisme. Ce fut chose faite et, quelques mois seulement après son arrivée à Pétrograd, Lénine et les Bolcheviks se rendaient maître du Palais d'hiver. Les Allemands pouvant s’estimer heureux : le 3 mars 1918, ils signaient le traité de paix de Brest-Litovsk avec la toute jeune République bolchevique russe. Pourtant, l’Allemagne venait de permettre aux communistes l'avènement d'un totalitarisme à prétention mondiale et qui, faisant progressivement des émules, allait écraser les nations, annihiler les identités et broyer la religion au nom d'un matérialisme historiciste et pseudo-scientifique. En désagrégeant la vieille Russie, le virus communiste ne faisait que débuter un long processus de destruction globale des attachements vitaux. La Russie n’était finalement que la première des nations au monde à être la victime de cette guerre du marxisme-léninisme contre toute forme de réalité, de tradition ou d'enracinement, comme l’a admirablement montré Soljénitsyne dans L’erreur de l'Occident (1980).
Les métastases du cancer socialiste ne tardèrent pas à se développer hors de Russie. En France, où l'offensive Nivelle suscita horreur et lassitude, des mutineries éclatèrent, au son de la Chanson de Craonne : « Ceux qu’ont l'pognon, ceux-là r'viendront/ Car c'est pour eux qu’on crève / Mais c'est fini, car les troufions / Vont tous se mettre en grève… ». À Courtine, dans la Creuse, des violences naquirent lorsque des soldats russes refusèrent de retourner au front et décidèrent de créer, à l'intérieur du camp, une microscopique « République soviétique » sans lendemain. L'heure était proche où, sur les décombres de l'Empire allemand, l'insurrection spartakiste tenterait elle aussi de faire avancer la cause du drapeau rouge. Phénomène mondial, le marxisme-léninisme n épargnera aucun continent et s'assurera la conquête des esprits de l'intelligentsia occidentale pendant plusieurs décennies. Avec cette utopie totalitaire, l'année 1917 était donc marquée par l'irruption soudaine d'un mondialisme ravageur.
Lafayette, nous voilà !
Si 1917 vit la fusée socialiste mondiale entrer dangereusement sur orbite, la démocratie libérale ne fut pas en reste. La géopolitique planétaire connut un bouleversement fondamental, cette année-là : l’entrée en guerre des États-Unis. Par-delà l'aide cruciale que fournirent les deux millions de « Sammies » sur le front occidental, au cri fameux de « Lafayette, nous voilà ! » l'intervention américaine constitue avant tout une rupture de la doctrine Monroe. Forgée en 1823 par le président républicain éponyme, cette doctrine géopolitique entendait assurer l'équilibre des forces mondiales à travers un double interdit. Les deux Amériques, considérées comme la chasse gardée de Washington, étaient interdites de toute intervention européenne; en contrepartie, les Américains s'abstenaient de toute ingérence dans les affaires d'Europe. Dans les premières années de la Grande Guerre, les États-Unis demeurèrent fidèles à ce mot d'ordre isolationniste mais, après les soubresauts de l'affaire du télégramme Zimmermann et le scandale du torpillage du Lusitania, leur intervention ne fit plus de doute.
Eric Zemmour, contempteur de la domination anglo-saxonne - qu'il considère, dans Mélancolie française (2010) comme « notre Carthage » - voit ainsi dans l'arrivée des troupes américaines dans les ports français de Brest et Saint-Nazaire le point de départ de l'américanisation du vieux continent, et singulièrement de la France; les débarquements alliés de 1943 en Sicile et de 1944 en Normandie et en Provence ne constituant que la phase seconde et logique de cette américanisation.
L'Océan Atlantique s’est rétréci comme peau de chagrin. Au chevet de la vieille Europe, la jeune Amérique veille. En adoptant une perspective schmittienne, (Carl Schmitt, Terre et mer, 1944) on pourrait considérer que l'intervention états-unienne de 1917 constitue une première submersion des puissances telluriques, européennes par les forces maritimes, thalassocratiques, anglo-américaines. Quoi qu'il en soit, les États-Unis sont devenus non seulement les gendarmes du monde, mais aussi les créanciers de l'Europe. Un second mondialisme, le libéralisme américain du président Wilson, est apparu sur le jeu d'échecs de la politique mondiale.
Fiat lux
Coincée entre les matérialismes socialiste et marchand, entre dictature du prolétariat et homogénéisation libérale du monde, la civilisation chrétienne et classique paraît rétrospectivement mal en point en 1917. Et pourtant, c’est au cœur des ténèbres que la lumière parut. Le 13 de chaque mois, de mai à octobre, la Vierge apparaît à trois bergers portugais : Jacinthe, François et Lucie. Parmi les demandes de la Reine du Ciel, la consécration de la Russie. Le 13 juillet 1917 en effet, la Vierge dit que, pour empêcher la guerre, elle viendra demander la consécration de la Russie à son Cœur immaculé. Le message marial anticipe les horreurs qui seront commises, à partir d'octobre, par les Bolcheviks athées parvenus au pouvoir à Petrograd.
Les apparitions de Fatima sont d'abord, et avant tout, un message spirituel délivré par la Vierge celui de la conversion et la fin des offenses. Elles sont aussi, d'une certaine manière, une leçon politique aux peuples de la terre. Adressé depuis une vieille terre de chrétienté, de reconquête et de mission, à des petits pastoureaux enracinés dans leur Portugal natal, le message marial vient rappeler à tous qu'au milieu du déchainement du Mal et des bombes, une Mère veille sur nous.
À travers les apparitions de la Vierge, c'est l'universalité de l'Église qui, telle le Soleil, resplendit à la face du monde. On croyait la barque de Pierre dépassée ? La voilà au contraire en première ligne, aux avant-postes de l'Histoire. Le miracle de Fatima vient rappeler qu'à l'aube du siècle des idéologies et des mondialismes destructeurs, la parole de l'Église - qui seule a les promesses de l'éternité - a encore du prix. Plus que jamais. C'est l’Église - « la seule Internationale qui tienne ! » dira le Maître de Martigues - qui pourra délivrer ce message de fraternité authentique des hommes, non en les fondant dans le tout indistinct du Marché, de l’État total ou du village global, mais en les enracinant dans l'amour du Prince de la Paix.
Fatima est sans doute le plus important des anniversaires de 1917. Le plus fondamental en tout cas, en ce qu'il est le seul à nous apporter des réponses. Alors que le monde, notamment en Orient, n en a pas fini de payer les pots cassés de cette année charnière (conséquences inextricables de la déclaration Balfour du 2 novembre 1917; révoltes arabes agitées par T.E. Lawrence; génocides des Chrétiens dans l’empire ottoman), il est plus que temps de tourner les yeux vers Notre-Dame de Fatima. Si 1917 doit être une leçon, alors qu elle soit notre institutrice.
François La Choüe monde&vie 30 novembre 2017 n°948