Si les ouvrages sur la révolution russe sont pléthores, si les travaux sur la société soviétique ne manquent pas, il était un thème qui n'avait jamais été étudié celui du sort de la noblesse russe de la révolution à la Perestroïka.
par Christian Bouchet
Grâce soit donc rendue à Sofia Tchouikina, dont la thèse de doctorat sur ce sujet a été traduite en français et publiée chez Belin sous le titre Les Gens d'autrefois, la noblesse russe dans la société soviétique.
1917, l’avant et l’après
À la veille de la Grande Guerre, la noblesse, en Russie, constitue un groupe numériquement important environ 1,9 million d'individus, soit à peu près 1 % de la population. Ce pourcentage monte à 7 % à Saint-Pétersbourg du fait de son statut de capitale et des fonctions occupées quasi-exclusivement par les nobles puisque ceux-ci sont majoritairement des serviteurs de l'État de niveau moyen ou supérieur. En effet, si les propriétaires terriens et les membres des professions intellectuelles et libérales sont nombreux parmi les aristocrates, ceux-ci ont la quasi-exclusivité de certaines professions, ainsi sont nobles 90 % des hauts fonctionnaires, 97 % des gouverneurs de province, etc.
Au lendemain de la révolution d'octobre 1917, la chute est brutale. En quelques mois, la noblesse est expropriée sans indemnités. Ses terres sont confisquées et transférées aux comités agraires qui les redistribuent aux paysans; ses immeubles et ses appartements sont réquisitionnés par les comités de quartier qui y installent, dans le cadre d'une politique délibérément discriminatoire, des familles issues des milieux populaires, ses comptes bancaires, sommes d'argent en liquide, objets précieux et autres bijoux déposés dans les coffres-forts des banques, purement et simplement saisis. Dans le même temps, la nouvelle Constitution soviétique de 1918 institue toute une série de discriminations légales vis-à-vis des « membres des anciennes classes exploiteuses » : privation du droit dévote, classification comme « oisif » des membres des familles aristocratiques qui ne travaillent pas ce qui les prive de leurs retraites et permet qu'ils puissent être expulsés de leurs biens, voire de leurs villes de résidence.
À tout cela s'ajoute, à partir de 1918, la « terreur rouge ». De nombreux nobles, surtout de grands aristocrates, sont dénoncés, accusés de contre-révolution, fusillés sans raison valable. Puis viennent les procès des conspirations inventées de toutes pièces : 93 nobles fusillés en 1921 à Petrograd à l'issue du procès de la conspiration de Tagantsev; incarcération et l'exécution des anciennes élèves nobles du lycée Alexandre en 1925; exécution de 20 représentants d'illustres familles en représailles à l'assassinat, en Pologne, d'un diplomate soviétique en 1926; le complot des anciens généraux et officiers de l'armée et de la marine impériale, tous aristocrates, en 1930-1931; l'opération « gens d'autrefois » qui voit l'arrestation et l'envoi au goulag de 30 000 aristocrates de Leningrad en quarante-huit heures; etc.
Vivre malgré l’exclusion et la terreur
Face à la véritable déclaration de guerre du régime bolchevique à leur égard, que font les aristocrates? Une minorité s'engage dans les Armées blanches, un nombre plus important émigré vers l'Occident ou vers le Chine et les autres restent en Russie, soit par apathie, soit par patriotisme et pour mettre ses compétences au service du nouvel État.
À suivre