Jean-Claude Juncker prononçant l’éloge de Karl Marx, Emmanuel Macron, à Aix-La-Chappelle, vantant le rêve européiste : le mois de mais a vu se dévoiler la face hideuse de Bruxelles, sans plus aucune des sirènes qui berçais, jusqu’à présent, les naïfs.
C’est à Trêves, ville natale de Karl Marx, que le président de la Commission européenne s'en est allé, sans vergogne, vanter le père d'une des idéologies les plus mortifères, les plus sanglantes que le monde ait connues - tandis que la Chine offrait, pour la circonstance, une gigantesque statue du penseur du communisme.
On pourrait croire que ce qui n'était qu'une manifestation logique de la part des dirigeants chinois relevait d'une incongruité pour Jean-Claude Juncker. Ce serait manifester une naïveté sans bornes. Car l'éloge n'est pas tout. Le président de la Commission européenne, qui se revendique de la démocratie chrétienne, s'est exprimé dans un temple protestant, au niveau de l'autel - ce qui est déjà monstrueux, si l'on veut bien penser qu'il s'agissait de faire le panégyrique du père d'une des idéologies les plus contraires au christianisme.
Mais cela va plus loin encore. Car il ne s'agissait pas de n'importe quel temple. Il s'agissait de la basilique de Constantin, de la salle du trône du premier empereur chrétien d'Occident.
Ainsi, la plus haute autorité de l'Union européenne a-t-elle glorifié la plus haute autorité du communisme dans ce lieu qui fut celui de la plus haute autorité chrétienne. Comment ne pas y voir une volonté, véritablement sacrilège, de ployer le christianisme sous le communisme, de mépriser les centaines de millions de ses victimes, et de placer l'Union européenne dans les traces de l'idéologie mortifère du communisme ?
C'est d'autant plus vrai que Jean-Claude Juncker n'a pas craint de demander qu'on ne tienne pas Karl Marx pour « responsable des atrocités commises par ses prétendus disciples… Il faut comprendre Karl Marx dans le contexte de son temps et ne pas le juger rétrospectivement ».
De Marx à l'Union européenne
Et puisque Marx est un grand homme, il n'est que très logique pour le président de la Commission européenne d'en venir, à partir de son exemple, à prolonger le panégyrique par un plaidoyer pro domo. « L'Union européenne n'est pas une construction défectueuse, affirme ainsi Jean-Claude Juncker. Elle est instable. Instable notamment parce que la dimension sociale de l'Europe est à ce jour le parent pauvre de l'intégration européenne. Il faut que nous mettions fin à cela. »
Bref ! d'un trait de plume, d'une parole, Jean-Claude Juncker a biffé la condamnation du communisme comme « intrinsèquement pervers », bafouer l'Église dressée comme un étendard par Constantin, pour placer résolument l'Union européenne dans les pas de Karl Marx et de son idéologie.
Le parallèle historique ne peut être un simple hasard qui a vu Emmanuel Macron recevoir quelques jours plus tard, à Aix-la-Chapelle, dans la salle du Couronnement, le prix Charlemagne, qui récompense chaque année depuis 1930 un homme ayant apporté une « contribution exceptionnelle pour l'unité de l'Europe ». Parmi les lauréats français, on comptait déjà Jean Monnet, Robert Schuman, François Mitterrand, Simone Veil…
En ce qui concerne l'actuel président français, le jury a souhaité récompenser sa vision d'une refondation de l'Europe exprimée à l'automne dernier dans son discours de la Sorbonne. Ses membres vont même plus loin en le félicitant d'avoir démontré qu'il était possible, en pleine campagne électorale, de faire obstacle à la montée populiste en plaidant pour une intégration européenne renforcée.
On conçoit que le jury d'Aix-la-Chapelle n'ait de notre triste dernière campagne présidentielle qu'une vision éthérée. Mais il n'y a plus guère que les singes de la Sagesse pour ne pas savoir que n'importe qui, dans l'état de délitement où est notre propre pays, aurait été élu face à Marine Le Pen.
Comme Juncker sur celui de Constantin, Macron a profité du trône de Charlemagne pour faire, avec assez peu de courtoisie pour son hôte, la leçon à l'Allemagne, affirmant qu'on ne pouvait se contenter de faire toujours « le choix du plus petit pas à la dernière minute ».
À défaut de Marx, est-ce d'être dans le pays de Kant, qui l'a poussé à évoquer quatre « impératifs catégoriques » - de la souveraineté européenne à l'unité, en passant par l'identité et la prise de risque, l'utopie - pour faire avancer l'Union en panne face à tout le reste ? Et notamment, face aux souverainetés nationales qui, à son grand dam, se manifestent fortement devant le communisme européen de Bruxelles.
Il ne suffit pas de monter sur les trônes des anciens empereurs pour avoir une vision politique. Surtout lorsque l'on vient parler à rebours, précisément, de cette vision. On n'ose imaginer la réaction de Constantin et de Charlemagne s'ils avaient surpris les Juncker, les Macron, à défendre, sous les signes de leur imperium, leur dérisoire mais mortifère idéologie. Ils se contentent, malheureusement, de se retourner dans leurs tombes…
Hugues Dalric monde&vie 31 mai 2018 n°956