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L'horreur économique, c'est maintenant

L’utilisation de l’intelligence artificielle à grande échelle au sein des géants économiques mondiaux risque d’envoyer à la casse toutes les structures économiques existantes… Tant pis pour les travailleurs vive le salaire universel !

Des masses occupées à se divertir, libérées des travaux aliénants ou répétitifs, confiés à des machines et des ordinateurs de plus en plus « intelligents ». Il ne s'agit pas d'une énième dystopie, prétexte à un film de SF au scénario léché, mais du programme que nous concoctent les élites mondiales de Davos et du G7.

Les plus grands décideurs politiques et économiques ont vanté, lors du sommet de Davos de janvier dernier, la « quatrième révolution industrielle », celle de l'Intelligence artificielle (IA), de la robotique, des biotechnologies. Un thème déjà au centre des préoccupations des éditions 2016 et 2017. Cette révolution consiste à faire faire par l'IA, « toutes les tâches effectuées par des machines, qui seraient considérées comme intelligentes si elles étaient faites par l'homme », pour reprendre une définition du MIT (Massachusetts Institute of Technology), les perspectives sont ébouriffantes.

Jugez-en par vous-mêmes adieu caissières, voici, pour le compte d'Amazone, le premier point de vente sans aucune caisse. Adieu chauffeurs de taxi, VTC ou poids lourds, voici les véhicules autonomes. Finis les opérateurs de service client, nous avons maintenant des assistants virtuels, qui tiennent une conversation « naturelle ». Adieu responsables RH, voici la machine à bilan de compétences de Manpower, capable de lire vos émotions sur votre visage… Finis aussi agents

administratifs et autres petits cols blancs. Enfin, pas que les petits, puisque SalesForce utilise déjà « Einstein », un manager virtuel qui siège aux réunions hebdomadaires des cadres dirigeants du groupe et qui n'hésite pas à retoquer ses « confrères » humains.

Tout ce qu'ils font, une machine dopée à l'IA le fait ou le fera bientôt plus vite, avec moins d'erreurs, sans états d'âme, sans horaires imposés par des conventions collectives archaïques… et surtout sans ces pénibles conflits sociaux pour des rémunérations dont un ordinateur, aussi puissant fût-il, n'a nul besoin pour travailler.

Vive le grand remplacement

Rebelote trois mois plus tard au G7 qui adopte une position commune sur l'IA destinée à rassurer le public, puisqu'elle doit être « centrée sur l'humain, une vision qui exige d'aborder avec soin le développement et le déploiement de cette technologie prometteuse ». Derrière la langue de bois, c'est la même frénésie qui domine soutien aux plans Recherche et développement qui incluent l'IA. Vive la récolte et la circulation des informations indispensables au processus « d'apprentissage » des IA, sensibilisation du public (lire « propagande ») en faveur de ces technologies…

Se placer en tête de la course à l'IA est alors devenu une priorité pour le Président de la « Start-up nation ». Dans son discours de clôture du Sommet, « AI For Humanity » (Intelligence artificielle pour l'humanité) au Collège de France, en mars dernier, Macron reprendra fidèlement les thèmes entendus à Davos et au G7 en y ajoutant un zeste de french touch : 1,5 milliard d'euros, dont près de 400 millions « d'appels à projets et de défis d'innovation de rupture » et un pilotage par l'État, afin de faire de la France un leader en la matière.

Il faut dire que le pays renâcle, puisqu'il est derrière la Chine, l'Inde, l'Allemagne et les États-Unis en termes d'adoption et d'utilisation des technologies d'IA, selon une étude publiée par Infosys lors du sommet de Davos 2017. En cause, notamment, le coût social de ces technologies. Le World Economie Forum avouait déjà en 2016, dans son étude « The future of jobs », que d'ici 2020, dans les pays développés, 5,1 millions d'emplois seraient détruits par le numérique et la robotique 2 millions créés, 7,1 éliminés. Les plus chanceux arriveront à se recycler : « D'ici à 2030, 75 à 375 millions de travailleurs pourraient changer de métier », indiquait en décembre 2017 le think tank McKinsey Institute.

Destruction créatrice...

Un recyclage loin d'être évident pour les catégories les plus modestes, premières touchées par ce grand remplacement de leur travail par des machines et des ordinateurs. Si parfois « l'intelligence artificielle est là pour amplifier le travail de l'homme », comme l'affirme Infosys, elle est surtout là pour réduire les coûts et accélérer les cadences en se substituant aux humains.

Accenture peut bien estimer à 10% d'emplois nets en plus, le bénéfice de l'IA, ce cabinet d'audit a peu de difficultés à reconvertir ses consultants hyperdiplômés. La « destruction créatrice » ne l'est pas pour tout le monde ! En revanche, il est peu probable que des caissières ou agents administratifs puissent se reconvertir en analystes de données. Parlant d'eux, le patron de SalesForce a pu ainsi évoquer des « réfugiés digitaux ». La quatrième révolution industrielle écrase la classe moyenne, qui voit son pouvoir d'achat baisser et ses possibilités d'emploi se réduire comme peau de chagrin.

Ou plutôt création destructrice

La solution s'impose alors puisqu'on ne peut proposer un travail et un salaire à tous, le revenu universel permettra de conserver la paix sociale à peu de frais. C'est Sir Christopher Pissarides qui plaidait, lors du forum de Davos 2017 en faveur « de nouvelles politiques qui redistribueront obligatoirement en prenant à ceux que le marché aura favorisés pour donner à ceux que le marché aura oubliés ». Un aveu clair que l'IA est plus une création destructrice qu'une destruction créatrice d'emploi.

Satya Nadella, le patron de Microsoft appuie l'idée lors de l'édition 2018, tandis que le DG d'Infosys expliquait au même moment qu'« avec une fraction du cash du top 50 des champions de la Tech, on peut financer une bonne partie du revenu universel... ». Pas d'altruisme dans cette démarche, puisque de l'aveu même de Ginni Rometty, la patronne d'IBM, « les technologies vont entraîner une concentration des richesses inconnue dans l'histoire ».

« Il y a une guerre des classes, c'est un fait, mais c'est ma classe, la classe des riches qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la gagner », confirmait il y a quelques années déjà Warren Buffet, le multimilliardaire américain. Mais les jacqueries sont encore possibles, c'est pourquoi le très libéral Guy Sorman plaide aussi pour le revenu universel, qui « rassurerait les peuples, accompagnerait le progrès économique, affaiblirait le discours populiste ».

Calmer la plèbe en lui offrant du pain et des jeux, la méthode de contrôle social a fait ses preuves depuis la Rome antique et nos modernes patriciens ne font que la redécouvrir.

Richard Dalleau monde&vie N°958 12 juillet 2018

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