Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Cette pensée obligatoire, qui nous vient d'Amérique (2019)

Mathieu Bock-Côté est ce journaliste québécois qui écrit dans le Figaro et vient faire trembler les plateaux de télé parisiens après avoir travaillé sur le multiculturalisme, il nous propose une réflexion sur l’empire du politiquement correcte : un livre qui pourrait être banal s’il n’était souvent profond.

Droit au but l'empire du Politiquement correct, c'est l'Occident tout entier (et non pas telle ou telle nation occidentale), en proie à ce que Bock-Côté appelle l'idéologie et le régime diversitaire, cette ouverture inconditionnelle à la Diversité des populations du monde. Je cite la définition qu'il propose : « Le politiquement correct est un dispositif inhibiteur ayant pour vocation d'étouffer, de refouler, de diaboliser les critiques, du régime diversitaire et plus largement d'exclure de l'espace public ceux qui transgresseraient cette interdiction ». La question que pose ce dispositif est celle de « la respectabilité politico-médiatique ». Quiconque accepte les termes de la Political correctness se doit de refuser avec énergie les faits ou les discours, mais aussi et surtout les personnes qui la contredisent ou qui semblent seulement la contredire. Political correctness : j'utilise la langue anglaise, parce qu'il faut bien comprendre que ce dispositif a commencé d'exister aux États-Unis et qu'encore aujourd'hui ce sont les campus américains, imprégnés de « french theory » (les penseurs de la pensée 68), mal sortis de ce que l'on appelle là-bas les radical sixties, les délirantes années 60, qui continuent à diffuser une pensée mondiale de la non-discrimination, débouchant d'ailleurs sur la fameuse discrimination positive, c'est-à-dire sur le droit et le devoir de discriminer les blancs parce qu'ils sont plus nombreux et dominants.

Ce que racisé veut dire

Ne croyez pas que cet adjectif substantivé qui désigne une couleur de peau soit malsonnant. Dans ce livre qui vient d'Amérique, on parle beaucoup plus facilement des « Blancs » que dans un livre européen. L'avant dernier chapitre s'intitule d'ailleurs Les Blancs, les racisés et les autres. Il nous explique le terme « racisé » (racialized) « Le Blanc se poserait comme norme universelle et raciserait les populations autres », qui, par contraste avec l'idée blanche de l'universalisme, auraient le droit et le devoir de revendiquer leur race, et les valeurs de leur race, en se considérant comme racisés par les Blancs, imposant leur modèle comme universel. La dynamique du Politiquement correct a dépassé l’antiracisme des années 80. Le Politiquement correct s'est racialisé. Ne nous y trompons pas alors que pendant des décennies, dans un pays comme la France, on a voulu faire l'impasse sur la race dans un souci humaniste d'universalité, aujourd'hui cette universalité est pensée par certains comme un produit de la culture blanche, c’est-à-dire comme une superstructure qui opprime les autres races, qui doivent, face à cette agression, se raciser, c'est-à-dire défendre leur race. Le raisonnement qui vaut pour les racisés est appliqué analogiquement aux femmes et aux minorités, qui ont droit, en tant que groupe, à une discrimination positive.

C'est pour cette raison interne à la Political correctness que l'on verra aujourd'hui couramment des féministes, au nom même de leur guerre contre le mâle blanc, défendre le droit des femmes à porter le tchador, ou encore des hommes de gauche, faisant profession d'agnosticisme et acquis depuis longtemps à l'universalisme maçonnique, défendant un islam plus ou moins radical, en présentant, encore une fois, cet islam comme victime de l'Ordre blanc. Ce spectacle est de plus en plus souvent ubuesque au cours d'émissions diverses sur les chaînes d'info continue. Mais tout cela a un sens, venu d'Amérique. Non seulement ces contradictions ont un sens, mais en régime diversitaire, on n'aura bientôt plus le droit de penser autrement.

Plus diversitaire que moi…

Ou plus exactement : on n'aura bientôt plus le droit d'employer des mots qui désignent une autre réalité que celle qui suscite l'enthousiasme de l'idéologie diversitaire. Mathieu Bock-Côté convoque gaillardement George Orwell, l'inventeur de la Novlangue, Arthur Koestler et Czeslaw Milosz. « Ils ont chacun voulu comprendre de quelle manière un régime idéocratique, qui entend soumettre le monde aune idée exclusive, censée le délivrer du trial, engendre un dédoublement de l’existence qui trouble les conditions mêmes de la vue intellectuelle et plus encore qui trouble notre rapport au réel ». Il y a certes une crise de la pensée de gauche comme il y a une crise des partis dits de gauche, alors que le Parti socialiste, celui du Congrès d'Epinay, flirte avec les 5% dans les sondages préparant les élections européennes… Mais pour Mathieu Bock-Côté ce réflexe diversitaire est ce qui reste de l'idéocratie de gauche, qui elle, se porte très bien merci. L'idéologie diversitaire est la dernière idéologie assumée par la gauche. Mais, selon ce vieux schéma, la droite n'y est pas insensible elle peut, quand elle se trouve aux manettes dans telle ou telle commune, se révéler plus diversitaire que la gauche elle-même.

✍︎ Mathieu Bock-Côté, L’empire du Politiquement correct, Cerf, 2019,20€

Joël Prieur monde&vie 23 mai 2019 n°971

Les commentaires sont fermés.