Le 3 octobre 2018, quittant ses fonctions de ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb faisait cet aveu inquiétant à bien des égards « Aujourd'hui, on vit côte à côte. Mais je le dis toujours, je crains que demain on vive face à face. »
En 2020, les ingrédients sont désormais en place pour que le pire intervienne. Qui en porte la responsabilité ?
Le patronat ouvre la porte
Dans les années 1960, au cœur des «trente glorieuses» au lieu de faire le choix stratégique d'investir massivement dans la robotisation (secteur automobile et pour faire pression à la baisse sur les salaires des ouvriers français qui veulent goûter eux aussi aux fruits de la croissance une partie du patronat (notamment dans le bâtiment, les travaux publics, la métallurgie) souhaite pouvoir avoir recours à l'immigration. Elle trouve un écho favorable auprès du Premier ministre de De Gaulle, Georges Pompidou. Les portes s'ouvrent à une immigration de travail. Les recruteurs de chez Renault, Citroën, Bouygues arpentent les douars, notamment au Maroc afin de sélectionner la main d'œuvre (y compris analphabète). Mal rémunérés, plus dociles (non syndiqués), ces dizaines de milliers de volontaires qui ne sont pas destinés à rester en métropole viennent seuls, envoient une partie de leur salaire à leur famille restée au bled qu'ils ne voient qu'une fois par an pendant leurs congés d'été) et souhaitent réunir assez d'argent ou assez de droits pour revenir au pays et y vivre dignement. À la fin de la décennie, ils sont 200 000 et déjà, on observe un véritable transfert de charges des entreprises vers la collectivité publique chargée d'accueillir de loger et de soigner ces travailleurs. En 1973, le gouvernement de Pierre Messmer annonce officiellement le gel de l'immigration. Cette dernière se ralentit mais ne s'arrête pas pour autant...
La droite les fait venir
Dès le choc pétrolier de 1973, la crise économique s'installe L'aide allouée pour le retour au pays demeure sans effet puisque la mise en place d'un régime d’allocations chômage très favorable permet d'amortir les effets d'une crise qu'il serait peut-être encore plus difficile de vivre au bled. Dans ce contexte, de manière tout à fait incroyable, la droite va commettre trois erreurs lourdes de conséquences :
- Par le décret 76-383 du 29 avril 1976 (signé par Chirac, Poniatowski, Duraffour et Simone Veil), elle autorise le regroupement familial, c'est-à-dire la possibilité pour les travailleurs immigrés de faire venir du bled femmes et enfants. Une mesure qui était assortie toutefois d'une condition impérative détenir un logement décent. Or les salariés, notamment dans le secteur automobile pouvaient rapidement bénéficier d'un appartement HLM grâce au dispositif du 1% patronal pour le logement. À cette époque, il faut s'en souvenir de nombreux logements sont vacants car croissance oblige, beaucoup des premiers occupants (ceux des années 1950-60, c'est-à-dire les mal-logés des centres-villes, les exodes ruraux, les rapatriés d'Algérie) ont accédé à la propriété et l'on continue à tour de bras de construire de grands ensembles, les premiers occupants. Ces familles venues du Maghreb cherchent dans un premier temps à s'implanter là où se trouvaient déjà des compatriotes, parfois d'un même village, colonisant peu à peu une cage d'escaliers, un étage, un immeuble, une rue entière. Depuis 1976, ces familles sont restées dans ces logements, les enfants demandant souvent des logements à proximité de leurs parents. Enfin, il faut aussi rajouter que pour ces familles maghrébines, continuer à vivre dans ces logements HLM voire sociaux relève d'un choix économique puisque payer un petit loyer permet d'économiser pour faire construire au pays.
- Loi Haby instaurant le collège unique, c'est-à-dire l'obligation de rester sur les bancs de l'école jusqu'à l'âge de 16 ans, marginalisant de fait l'apprentissage dès l'âge de 14 ans ainsi que le travail manuel.
- La poursuite d'une vaste politique de construction de logements collectifs.
Du fait de ces choix politiques, c'est la droite qui est la première responsable de l'entrée en France depuis 1974 de plus de 10 millions de nouveaux résidents (sans compter les naissances depuis), soit entre 2 et 2,5 millions de familles ! Un flux qui ne s'est jamais tari.
La gauche les a installés
En 1981, le gouvernement socialiste de Pierre Mauroy crée un appel d'air sans précédent en procédant à la régularisation administrative de 300 000 clandestins! Le 30 juin 1984, la gauche fait voter à l'unanimité la carte de séjour et de travail permanente de dix ans automatiquement renouvelable. Une loi qui confère en quelque sorte, un droit permanent à l'installation aux étrangers présents en France l'immigré provisoire est ainsi appelé à se transformer en immigré définitif bientôt naturalisé. Sans compter le laxisme dans le problème de la demande d'asile 2000 par an dans les années 1970, 50 000 dans les années 1980.
Sociologiquement, une première génération de jeunes Maghrébins (les futurs grands frères) nés au bled a vécu sur notre sol. Son modèle familial est marqué par deux phénomènes qui pèseront lourds les pères ayant vécu loin d'eux n'ont plus aucune autorité sur eux, ayant été élevés par leurs mères (transposant en France un mode de vie qu'elles viennent d'abandonner), ce sont eux qui ont pris l'habitude d'être « les hommes à la maison. » De fait, ils sont déjà rétifs à toute forme d'obéissance, refusant même de se conformer aux codes sociaux d'un pays où ils n'ont pas choisi de vivre. Cette première génération est celle du ressentiment. Faute d'avoir su trouver sa place dans une société en crise, ils revendiquent leur identité maghrébine. L'invention de l'antiracisme puis la promotion de la culture de l'excuse ne feront qu'accentuer le fossé.
Les émeutes de 2005 le grand tournant
Les premières émeutes dans les cités datent de juillet 1981. Elles ont lieu dans la célèbre cité des Minguettes à Vénissieux. Des jeunes du quartier affrontent la police venue mettre fin à des rodéos. Les affrontements durent plusieurs jours. Les mages des voitures en flammes sidèrent les Français. C'est le début d'un phénomène qui ne s'arrêtera plus. En 2005, près de 1000 quartiers sont déjà considérés comme des zones de non-droit. Démarrant le 27 octobre 2005 suite à la mort par élec-trocution de deux «jeunes» poursuivis par la police à Clichy-sous-Bois, la plupart les banlieues de France vont entrer en insurrection, au point que l'état d'urgence est décrété le 9 novembre. Bilan 3 morts, 90 000 véhicules brûlés, 300 bâtiments détruits, 6000 interpellations, 1300 emprisonnements. Mais ce qui devient éclairant et inquiétant pour es services de renseignement, c'est que pour la première fois, on se rendait compte que tous les quartiers pouvaient résonner à l'unisson.
2020 état des lieux et noires perspectives
Depuis 2005, une autre génération a complété les rangs des lascars es Blacks, souvent originaires du Mali, du Congo... Souvent déscolarisés dès la 5e la délinquance leur offre des emplois que la société ne peut leur proposer car ils devenus inadaptés au monde de l'entreprise, n'en maîtrisent pas les codes. Ils servent souvent de petites mains dans le trafic de drogue qui est le carburant essentiel des quartiers. Un chouf est payé 150 euros par jour. Le trafic rapporterait en lui-même 500 000 euros par mois par quartier. À ce prix-là, pourquoi se lever le matin pour aller bosser pour un SMIC? Ce sont désormais 1500 quartiers qui sont devenus des espaces urbains quasi-inviolables, des sanctuaires où seule la violence structure les rapports, qui font des affaires ensemble, partagent les mêmes valeurs, la même culture et qui représentent pour eux une petite patrie que l'on défend contre l'extérieur dans le culte de la violence. Et dont les seuls relais sont le responsable de la mosquée, le « sage » de la communauté malienne... La seule différence avec 2005 ? Aux émeutes larvées s'ajoutent les règlements de compte à la Kalashnikov et la radicalisation religieuse. En 2020, 70% des étrangers viennent de dix pays : Algérie, Maroc, Tunisie, Turquie, Chine, Mali, Sénégal, Congo RDC, Cote d'Ivoire et Cameroun... Demain les Érythréens, Somaliens, Afghans... Les Services pointent divers motifs majeurs d'immigration en France économique (20000 personnes, les plus nombreux étant les Américains), familial (un Français de papier qui, au nom d'une tradition culturelle, se marie à l'étranger dans sa communauté d'origine - 91000 personnes), humanitaire (40 000 personnes), les mineurs non accompagnés (Guinée, Mali, Côte d'Ivoire -15000 personnes, chacun d'eux coûtant à la communauté 60000 euros), les clandestins (environ 60000, jamais expulsés et qui justifiant de 5 ans sur notre territoire, pourront demander leur régularisation, en attendant eux aussi de faire des enfants). Chaque année, l'arrivée de nouveaux immigrés forment l'équivalent d'une métropole de province (200-250000 habitants). Une bombe à retardement que personne dans la classe politique ne veut plus désamorcer.
Zones de non-droit et de non-France
Aujourd'hui, l'usage des téléphones portables, les réseaux sociaux, les réseaux d'interconnaissances consolidés par le trafic de drogue, créent entre ces territoires une forme de pensée collective (« Nique les keufs et les Céfrans ») capable à la même seconde de mobiliser des milliers d'émeutiers. D'ailleurs, ces quartiers sont depuis sortis de l'espace public. Afin d'éviter l'embrasement, plus personne n'y pénètre sans l'aval des caïds. Toute autorité y étant devenue suspecte et toutes les institutions contestables (sauf la CAF).
Eugène Krampon Réfléchir&Agir N°62 Été 2020