Très forte contre le mariage pour homosexuel, dont elle n’avait pas réussi à empêcher la légalisation, la réaction catholique, mise face aux lois sur la PMA sans père, risque d’être purement symbolique. De quoi s’inquiéter sur les lendemains de la Manif Pour Tous… et sur la capacité des chrétiens à se mobiliser autour des vrais enjeux.
D’où vient la crise de l'Église ? On peut invoquer un monde qui s’éloigne de Dieu… On peut insister sur le matérialisme généralisé, sur le rationalisme fanatique qui règne dans notre société, ne connaissant que les statistiques; on peut considérer le monde nouveau, l'univers mondialisé dans lequel on évolue aujourd'hui comme incompatible avec Dieu. Mais on ne touchera pas à l’essentiel du problème, en invoquant les circonstances et l’entourage.
Il s’est passé quelque chose, non pas seulement dans le monde, mais dans le cœur de l'Église. Cet événement tout intérieur, difficile à saisir, on parvient parfois à le matérialiser. Par exemple, on a pu mesurer la désaffection des fidèles vis-à-vis de leur Église, jusque dans un scrutin comme celui des récentes élections européennes. Lorsque dans les bureaux de vote qui correspondent à Versailles Notre-Dame, c'est-à-dire au cœur de la ville du Roi soleil, on découvre qu'Emmanuel Macron, partisan de la mort de Vincent Lambert et promoteur de la PMA sans père fait jusqu'à 40 % des suffrages (qui votent pour sa tête de liste si peu charismatique Nathalie Loiseau). Par ailleurs l’enfant du pays, le catholique revendiqué, le Républicain François-Xavier Bellamy sur ces terres qui sont les siennes est très largement distancé avec plus ou moins 28 % des électeurs sous son nom. Ces deux chiffres nous font comprendre que, du point de vue de l'histoire de la déchristianisation, quelque chose est en train de se passer dans notre société. Les bastions tombent.
À Versailles, en France, et plus largement sans doute en Europe, il ne s’agit pas seulement de la désaffection des périphéries. Ce qui est en cause, c'est un désamour venu du cœur même de l'institution, un refroidissement essentiel. L'Église se réduit de plus en plus à une frange de la bourgeoisie, qui elle-même a forcément d'autres intérêts et d'autres combats à mener que le traditionnel combat pour la vie. La PMA sans père, proposée par M. Macron au vote des députés risque de passer infiniment plus facilement que le mariage homosexuel défendu par François Hollande et Christiane Taubira, puisque les catholiques, de plus en plus nombreux, votent pour lui. La politique de la vie préconisée par Jean-Paul II dans l’encyclique Evangelium vitae (1995) n’est plus la politique des catholiques, qui, pour des raisons financières avant tout, au nom du libéralisme économique votent avec un bel ensemble pour le libertarisme sociétal.
Yann Raison du Cleuziou a récemment analysé dans nos colonnes l’opposition au mariage pour tous comme une forme de contre-révolution catholique. Parvenir à plusieurs reprises à faire descendre dans la rue entre 500 000 et un million de personnes, cela ressemble à un mouvement populaire d’envergure. La thématique du mariage homosexuel, pour scandaleuse qu’elle apparaisse, n’en est pas moins une question qui touche un relativement petit nombre de personnes. Certes on s’en prend aux fondamentaux en appelant mariage un contrat entre personnes de même sexe. Le mariage homosexuel est une concession inadmissible, mais elle est d'ordre symbolique, elle concerne les mots et leur sens. Au moins on ne touche pas au mystère de la naissance.
Avec la PMA sans père, en revanche, on crée des enfants que l'on va s’exercer au préalable à priver de père de par la loi, au moins jusqu’à leurs dix-huit ans bref le temps qu'ils se construisent. Et cela simplement pour permettre à deux homosexuelles de profiter pleinement de leur « progéniture » comme si elles en étaient les génitrices exclusives et solidaires et surtout comme si elles avaient un quelconque droit sur l’embryon. Comme dit Sylviane Agacinski, « on a des droits à quelque chose non à quelqu'un. » Une telle coupure entre la parentalité biologique et une « génitalité » que l’on est obligé d'écrire entre guillemets car c’est une génitalité de papier, juste au regard de la loi, est sans précédent. Bienvenu dans le meilleur des mondes, où l’on va trafiquer la semence humaine pour la satisfaction optimale de génitrices putatives. Leur désir d’enfant va faire loi indépendamment du droit qu’offre la nature à chacun d’avoir un père et une mère. C'est devant cette perspective apocalyptique que le public catholique est en train de caler, en se rendant politiquement à Macron et à son progressisme sociétal avant même d'avoir combattu.
Alain Hasso monde&vie 4 juillet 2019 n°973