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Qu'est-ce que la Tradition ?

Le terme de tradition ne signifie pas non plus exactement traditio au sens catholique bien qu'il embrasse l'idée impli­cite dans le terme de traditio : la transmission d'une doctrine et de pra­tiques inspirées et en définitive révélées. En fait, le mot tradition se rapporte étymologiquement à l'idée de transmission et inclut dans l'extension de son concept l'idée de transmission de connaissance, pra­tiques, techniques, lois, formes et de nombreux autres éléments de nature orale ou écrite. La tradition est une présence vivante qui laisse son empreinte sur la réalité humaine mais n'est pas réductible à cette empreinte. Ce que la tradition transmet peut apparaître sous la forme de mots sur un parchemin mais peut aussi prendre la forme de vérités gravées dans l'âme des hommes et être aussi subtil que le souffle ou même le regard par lequel certains enseignements sont transmis. La tradition telle que nous l'entendons techniquement dans cet ou­vrage, comme dans tous nos autres écrits, signifie les vérités ou princi­pes d'origine divine révélés ou dévoilés à l'humanité et, en fait, à tout un secteur cosmique, par l'intermédiaire de divers messagers, prophè­tes, avatâras, Logos ou autres médiations, de même que tous les pro­longements et les applications de ces principes dans divers domaines dont la loi et la structure sociale, l'art, le symbolisme, les sciences, y compris de toute évidence la Connaissance suprême et l'ensemble des moyens y conduisant.

En son sens plus universel, on peut considérer que la tradition comprend les principes qui relient l'homme au Ciel, et donc la religion, tandis que d'un autre point de vue la religion peut être considérée en son sens essentiel comme l'ensemble des principes révélés par le Ciel et qui relient l'homme à son Origine. Dans ce cas, la tradition peut être considérée en un sens plus restreint comme l'application de ces princi­pes. La tradition comprend les vérités d'un caractère supra-individuel enracinées dans la nature du réel comme tel car, comme on a pu le dire, « la tradition n'est pas une mythologie puérile et désuète, mais une science terriblement réelle » (1).

La tradition, comme la religion, est à la fois vérité et présence. Elle concerne le sujet connaissant et l'objet connu. Elle jaillit de la Source dont tout provient et à laquelle tout retourne. Elle embrasse ainsi toutes choses comme le “Souffle du Mi­séricordieux” qui, selon les soufis, est à la racine même de l'existence. La tradition est inextricablement liée à la Révélation et à la religion, au sacré, à la notion d'orthodoxie, à l'autorité, à la continuité et à la régularité de la transmission de la vérité, à l'exotérique et à l'ésotérique comme à la vie spirituelle, à la science et aux arts. Les couleurs et les nuances de sa signification apparaissent en fait dans une plus grande clarté à mesure que sa relation à tous ces éléments et à d'autres con­cepts corrélatifs est élucidée.

Pour le grand nombre de ceux qui ont, ces dernières décennies, en­tendu l'appel de la tradition, la signification de cette notion est avant tout associée à la sagesse pérenne qui réside au cœur de toute religion et qui n'est autre que la Sophia dont la possession n'a cessé d'être con­sidérée comme le couronnement ultime de la vie humaine par la pers­pective sapientielle de l'Occident autant que de l'Orient. Cette sagesse éternelle dont l'idée de tradition ne saurait être séparée et qui consti­tue un des principaux éléments du concept de tradition n'est autre que la sophia perennis de la tradition occidentale, sagesse que les hindous désigne du nom de sanatâna dharma (2) et les musulmans de celui d'al­hikmat al-khâlidah (ou en persan jâwidân khirad) (3).

En un sens, le sanatâna dharma ou la sophia perennis est en relation avec la Tradition primordiale et par là même avec l'Origine de l'existence humaine. Ce point de vue ne doit cependant point nous détourner de l'authenticité des messages célestes ultérieurs manifestés dans diverses révélations, ni saper leur validité ; chacune de ces révéla­tions a en effet une origine qui est l'Origine et qui marque le commen­cement d'une tradition qui est à la fois la Tradition primordiale et son adaptation à une humanité particulière, l'adaptation étant une Possi­bilité divine manifestée sur le plan humain. L'attirance de l'homme de la Renaissance pour la quête des origines et de la “Tradition primor­diale” qui conduisit Marsile Ficin à délaisser la traduction de Platon pour le Corpus Hermeticum, alors considéré comme plus ancien et pri­mordial, tendance qui devint également partie intégrante de la vision du monde et du Zeitgeist du XIXe siècle (5), est à l'origine de nombreuses confusions relatives à la signification de la “Tradition primordiale” dans son rapport aux diverses religions. Chaque tradition et la Tradition comme telle sont reliées en profondeur à la sagesse pé­renne ou Sophia, pourvu que ce lien ne soit pas seulement considéré d'un point de vue temporel et ne soit pas non plus cause d'un rejet des autres messages du Ciel que constituent les diverses religions et qui sont bien entendu intérieurement reliés à la Tradition primordiale, sans pour autant constituer simplement sa continuation temporelle et historique. Le génie spirituel et la particularité de chaque tradition ne peuvent être négligés au nom de la sagesse toujours présente qui réside au cœur de la totalité des descentes célestes.

A. K. Coomaraswamy, l'un des plus éminents représentants con­temporains des doctrines traditionnelles, traduisait sanatâna dharma par philosophia perennis, désignation à laquelle il ajoutait l'adjectif uni­versalis. Sous son influence, beaucoup ont identifié la tradition avec la philosophie pérenne à laquelle elle est profondément apparentée (6). Le terme de philosophia perennis, ou sa traduction française, est néanmoins problématique en soi et doit faire l'objet d'une définition avant que la tradition puisse être comprise sous le rapport de la relation qu'elle entretient avec elle. Contrairement à l'assertion d'Huxley, le terme de philosophia perennis ne fut pas pour la première fois employé par Leibniz dans une célèbre lettre à Rémond datant de 1714 (7). En fait, il fut pro­bablement employé pour la première fois par Augustinus Steuchus dit Eugubinus (1497-1548), philosophe et théologien augustinien de la Renaissance. Bien que le terme ait été associé à de nombreuses écoles philosophiques dont la scolastique, particulièrement le thomisme (8), et le platonisme en général, ce sont là des associations plus récentes, tan­dis que pour Steuchus il s'identifiait à la sagesse pérenne — qui em­brasse à la fois la philosophie et la théologie —, et non seulement à une école sapientielle donnée.

L'œuvre de Steuchus intitulée De perenni philosophia est marquée par les influences de Ficin, de Pic et même de Nicolas de Cues, parti­culièrement le De pace fidei où il est question de l'harmonie entre les diverses religions. Steuchus, qui connaissait l'arabe et d'autres langues sémitiques et occupait les fonctions de bibliothécaire du Vatican où il avait accès à la “sagesse des âges” dans la mesure où c'était alors pos­sible en Occident, reprit les idées de penseurs antérieurs concernant la présence d'une ancienne sagesse ayant existé depuis l'aube de l'histoire. Ficin ne fit pas usage du terme de philosophia perennis, mais il fit sou­vent allusion à la philosophia priscorum ou prisca theologia, terme qui peut être traduit par philosophie ou théologie ancienne ou vénérable. À la suite de Gémisthe Pléthon, le philosophe byzantin qui traita de cette antique sagesse et souligna le rôle de Zoroastre en tant que maître de cette ancienne connaissance de caractère sacré, Ficin mit l'accent sur la signification du Corpus Hermeticum et des Oracles Chaldaïques, œuvres dont il considérait Zoroastre comme l’auteur et qu'il situait à l'origine de cette sagesse primordiale. Il avait la conviction que la philosophie véritable prenait sa source dans Platon, héritier de cette sagesse, et la théologie véritable dans le Christianisme (9). Cette vraie philosophie, vera philosophia, n'était autre pour lui que la religion, et la vraie religion n'était autre que cette philosophie. Pour Ficin, comme pour bien des platoniciens chrétiens, Platon avait eu connaissance du Pentateuque et n'était autre qu'un un « Moïse de langue grecque », ce même Platon que Steuchus appelait divus Plato de la même manière que maints sages musulmans lui avaient donné le titre d'Aflâtûn al-ilâhî, le « divin Pla­ton » (10). Ficin, en un sens, a reformulé les positions de Gémisthe Plé­thon concernant la pérennité de la vraie sagesse (11). Pic de la Mirandole, compatriote de Ficin, devait ajouter aux sources de la philosophia priscorum, le Qoran, la philosophie islamique et la Kabbale en plus des sources non-chrétiennes et tout particulièrement gréco-égyptiennes prises en compte par Ficin, cela tout en suivant la perspective de ce­lui-ci et en mettant l'accent sur l'idée de la continuité de la sagesse essentiellement une à travers les diverses civilisations et périodes de l'histoire. (…)

Si la sagesse pérenne ou antique doit être comprise comme l’entendaient Pléthon, Ficin et Steuchus, elle est alors en rapport avec l’idée de tradition et peut même traduire sanatâna dharma, pourvu que le terme de philosophia ne soit pas seulement compris en termes théoriques, mais qu’il incluse également la réalisation (12). La tradition implique le sens d'une vérité qui est d'origine divine et se trouve perpétuée tout au long d'un cycle majeur de l'histoire de l'humanité par l'entremise d'une transmission et d'un renouvellement du message par la voie de la Révélation. Elle comprend également une vérité intérieure qui réside au cœur des différentes formes sacrées et qui est unique puisque la Vérité est une. Dans les deux sens, la tradition est étroitement en rapport avec la philosophia perennis dans la mesure où celle-ci est comprise comme la Sophia qui a toujours été et sera toujours, et qui se perpétue par la voie d'une transmission horizontale et, verticalement, par la voie d'un renouvellement par contact avec la réalité qui était “au commencement”, et est ici et maintenant (13). (…)

De nos jours, la critique du monde moderne et du modernisme est devenue un lieu commun, des œuvres des poètes aux analyses des sociologues (14). Cependant, l'opposition de la tradition au modernisme, totale et complète quant aux principes, ne découle point de l'observation de faits et de phénomènes ou du diagnostic porté sur les symptômes de la maladie. Elle est fondée sur l'étude des causes du mal. La tradition est opposée au modernisme parce qu'elle considère les prémisses sur lesquelles il repose comme erronées et fausses dans leur principe (15). Elle n'ignore pas le fait que tel élément d'un système philosophique moderne donné puisse être valide ou manifester un bien. En fait, l'erreur ou le mal absolu ne sauraient exister puisque tout mode d'existence inclut quelque élément de vérité et de bonté qui, en leur pureté, relèvent de la Source de toute existence.

Ce que la tradition critique dans le monde moderne, c'est la vision du monde, les prémisses, les fondements qui, de son point de vue, sont fondamentalement erronés, de telle sorte que le bien qui se manifeste dans ce monde ne peut être qu'accidentel et secondaire. On pourrait dire que les mondes traditionnels étaient essentiellement bons et accidentellement mauvais tandis que le monde moderne est essentiellement mauvais et accidentellement bon. La tradition est donc opposée au modernisme dans son principe. Elle combat le monde moderne afin de créer un monde normal (16). Son but n'est pas de détruire ce qui est positif, mais d'ôter le voile d'ignorance qui permet à l'illusoire de se donner comme réel, au négatif' comme positif, et au faux comme vrai. La tradition n'est pas opposée à la totalité du monde d'aujourd'hui et elle refuse en fait d'identifier au modernisme l'ensemble de l'existence contemporaine. Après tout, bien que notre époque ait été qualifiée d'ère de l'espace ou d'ère atomique, l'homme ayant visité la lune et ayant accompli la scission de l'atome, on pourrait tout aussi l'appeler, selon la même logique, l'ère monastique puisque vivent aujourd'hui des moines comment vivent aussi des astronautes. Le fait que la période actuelle ne soit pas désignée comme l'ère monastique, mais comme l'ère de l'espace, est en soi le fruit du point de vue moderniste qui identifie le modernisme au monde contemporain, alors que la tradition distingue nettement les deux, cherchant à détruire le modernisme, non à détruire l'homme contemporain, mais plutôt à le sauver en s'efforçant de l'écarter d'un chemin dont l'issue ne peut être que perdition et destruction. Dans cette perspective, l'histoire de l'humanité occidentale au cours des cinq derniers siècles constitue une anomalie dans la longue histoire de l'espèce, et ce tant en Orient qu'en Occident. En s'opposant au modernisme en principe et de façon catégorique, ceux qui adoptent la perspective traditionnelle n'ont qu'un seul souhait, celui de permettre à l'homme occidental de rejoindre le reste de l'humanité.

► Seyyed Hossein Nasr, Antaios n°16, 2001. Extrait de : La Connaissance et le Sacré, L'Âge d'Homme, 1999, pp. 63-67 et 80-81.

♦ Notes :

  • (1) F. Schuon, Comprendre l'Islam, Ed. du Seuil.
  • (2) Le terme de sanatâna dharma ne peut être traduit exactement, bien que sophia perennis soit peut-être la traduction la plus proche puisque sanatâna signifie pérennité (c'est-à-dire perpétuité tout au long d'un cycle d'existence humaine et non éternité) et dharma, le principe de conservation des êtres, chaque être ayant son propre dharma auquel il doit se conformer et qui constitue sa loi. Mais le dharma s'applique également à la la totalité d'une humanité au sens de Mânava-dharma et se rapporte dans ce cas à la connaissance sacrée ou Sophia qui est au cœur de la loi présidant à un cycle humain. En ce sens, le sanatâna dharma correspond à la sophia perennis, particulièrement si on prend en considération sa dimension de réalisation et non seulement son aspect théorique. En son sens intégral, le sanatâna dharma est la Tradition primordiale elle-­même telle qu'elle a subsisté et continuera de subsister jusqu'à la fin du cycle humain présent. Voir R. Guénon, « Sanatâna Dharma », dans ses Études sur l'Hindouisme, Paris I V, 08, pp. 105-6.
  • I ? Il s'agit là en fait d'un ouvrage célèbre de Ibn Miskawayh (Muskûyah) qui contient des aphorismes et des maximes métaphysiques et éthiques de sages musulmans et pré­islamiques. Voir l'édition par A. Badawi de al-Hikmat al-khâlidah : Jâwîdân khirad, Le Caire, 1952. Cet ouvrage traite de la pensée et des écrits d'un grand nombre de sages et de philosophes, y compris ceux de la Perse antique, de l'Inde et du monde méditerranéen (Rûm). Sur cet ouvrage, se reporter à l'introduction de M. Arkoun à la traduction persane d'Ibn Miskawayh, Jâvîdân khirad, Téhéran, 1976, pp. 1-24.
  • (4) La Tradition primordiale n'est autre que ce que l'Islam désigne sous le terme de al­-dîn al-hanîf, réalité à laquelle se réfère le Qoran dans des contextes divers, mais d'ordinaire en relation au prophète Abraham habituellement désigné comme hanîf ; par ex., « Non, mais (nous suivons) la religion d'Abraham, le pur (hanîfan), qui n'était pas au nombre des idolâtres » (11, 135). Voir également les versets III, 67 et 95-VI et 161-XVI,120-et XVII, 31.
  • (5) Se reporter à M. Eliade, « The Quest for the Origins of Religion », History of Religions 411 (Summer 1964) : 154-69.
  • (6) Le célèbre ouvrage d'Aldous Huxley, Perennial Philosophy, New York, 1945, est l'un des livres s'efforçant de démontrer l'existence de cette sagesse vivante et pérenne et d'en présenter le contenu par le biais d'un choix de textes d'origines traditionnelles diverses, mais l'ouvrage demeure à bien des égards incomplet et sa perspective n'est pas traditionnelle. Le premier ouvrage à avoir pleinement réalisé la suggestion de Coomaraswamy en réunissant un vaste compendium de connaissances traditionnelles afin de démontrer la remarquable pérennité et universalité de la sagesse est l' l'œuvre malheureusement négligée de W.N. Perry, A Treasury of Traditional Wisdom, Londres et New York, 1971, œuvre-clef pour la compréhension du sens donné par les auteurs traditionnels au concept de philosophie pérenne.
  • (7) Après avoir déclaré dans cette lettre que la vérité a une extension plus grande qu'on ne le pensait auparavant et qu'on en trouve la trace jusque chez les Anciens, il affirme, « et ce serait en effet perennis quaedam Philosophia », C.J. Gerhardt (édit.), Die philosophischen Schriften von Gottfried Wilhelm Leibnitz, Berlin, 1875-90, volume 3, p. 625. Également cité chez C. Schmitt, « Perennial Philosophy : Steuco to Leibnitz », Journal of the History of Ideas 27 (1966) : 506. Cet article (pp. 505-532 du volume cité) retrace l'histoire de l'usage du terme philosophia perennis en portant particulièrement son attention sur son arrière-plan à l'époque de la Renaissance, notamment chez Ficin et d'autres figures des débuts de la Renaissance. Voir également J. Collins, « The Problem of a Perennial Philosophy », dans ses Three Paths in Philosophy, Chicago, 1962, pp. 255-79.
  • (8) L'identification de la « philosophie pérenne » au thomisme et à la scolastique en général est un phénomène du XXe siècle, tandis qu'à la Renaissance la scolastique s'opposait généralement aux thèses de Steuchus.
  • (9) Héritier de Zoroastre, d'Hermès, d'Orphée, d'Aglaophème (le maître de Pythagore) et de Pythagore.
  • (10) Ce terme se retrouve chez des philosophes musulmans tel al-Fârâbî de même que chez certains soufis.
  • (11) À propos des conceptions de Ficin, se reporter aux divers ouvrages de R. Klibansky, E. Cassirer et P.O. Kristeller sur la Renaissance, particulièrement les Studies in Renaissance Thought and Letters de Kristeller, Rome, 1956 ; et du même, Il pensiero filosofico di Marsilio Ficino, Florence, 1953.
  • (12) En se référant à religio perennis, Schuon peut écrire, « terme qui évoque la philosophia perennis de Steuchus Eugubin (XVIe siècle) et des néoscolastiques : mais le mot philosophia suggère à tort ou à raison une élaboration mentale plutôt que la sagesse et ne convient donc pas exactement à ce que nous entendons » Regards sur les mondes anciens, Paris, 1976, p. 174.
  • (13) « Le terme de philosophia perennis (…) désigne la science des principes ontologiques fondamentaux et universels ; (…) science immuable comme ces principes mêmes, et primordiale du fait même de son universalité et de infaillibilité. Nous utiliserions volontiers le terme de sophia perennis pour indiquer qu'il il ne s'agit pas de “philosophie” au sens courant et approximatif du mot. (…) Il importe de savoir avant tout qu'il est des vérités qui sont inhérentes à l'esprit humain mais qui, en fait, sont comme ensevelies “au fond du cœur”, c'est-à-dire contenues à titre de potentialités ou de virtualités dans l'Intellect pur : ce sont les vérités principielles et archétypiques, celles qui préfigurent et déterminent toutes les autres ? Y ont accès, intuitivement et infailliblement, le “gnostique”, le “pneumatique”, le “théosophe” – au sens propre et originel de ces termes – et y avait accès par conséquent le “philosophe” selon la signification encore littérale et innocente du mot : un Pythagore ou un Platon, et en autre partie un Aristote… », Schuon, Sur les traces de la religion pérenne, Paris, 1982, pp. 9-10. Voir également Schuon, Wissende, Verschwiegene, Eingeweihte : Hinführung zur Esoterik, Herderbücherei Initiative 42, Munich, 1981, pp. 23-28.
  • (14) Il y a un demi-siècle, on devait lire T.S. Eliot pour se rendre compte de la lamentable condition spirituelle de l'homme moderne, mais aujourd'hui, les analystes de la société humaine sont nombreux à prendre conscience du caractère profondément vicié des axiomes qui fondent le modernisme, et nombreux aussi à entreprendre d'étudier la société moderne de ce point de vue (…).
  • (15) Sur les critiques traditionnelles du monde moderne, voir R. Guénon, La Crise du monde moderne, Paris, 1926 et A.K. Coomaraswamy, Suis-je le gardien de mon frère ?, Paris 1997.
  • (16) Faisant référence à son premier contact avec des auteurs traditionnels, J. Needleman écrit : « These were out for the kill. For them, the study of spiritual traditions was a sword with wich to destroy the illusions of contemporary man », Needleman (ed.), The Sword of Gnosis, Baltimore, 1974, p. 9.

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◘ Seyyed Hossein Nasr : universitaire iranien, après des études au MIT et à Harvard, a dirigé l'Académie Impériale de Philosophie (Téhéran). Il a collaboré avec H. Corbin à la rédaction de l'Histoire de la philosophie islamique (Gallimard 1964). Spécialiste du Soufisme, il enseigne actuellement les études islamiques à Washington. Les éditions L'Âge d'Homme ont publié en 1993 L'Islam traditionnel face au monde moderne, ouvrage fondamental pour mieux distinguer entre Islam traditionnel et fondamentalisme (avatar du modernisme). L'auteur se penche sur 3 hautes figures de l'islamologie européenne : L. Massignon, H. Corbin et T. Burckhardt. Il a paru intéressant de publier dans cette livraison quelques pages de son livre fondamental pour la vision du monde traditionnelle : le professeur Nasr s'inscrit dans la tradition soufie et travaille précisément contre l'oubli des traditions, de toutes les traditions, y compris hindoues, païennes, etc. Son essai réhabilite avec talent le principe d'une connaissance sapientiale (ou sacrée) et propose aux Européens le recours aux filons néoplatoniciens et mystiques pour sortir de l'ornière moderniste. Il dresse un parallèle entre les hérétiques européens (panthéistes par ex.) et les soufis persans. La démarche de S.H. Nasr illustre parfaitement la convergence entre hommes de tradition, par delà les appartenances extérieures.

http://www.archiveseroe.eu/tradition-c18393793/79

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