Les conséquences de la crise du coronavirus n’ont pas terminé de se dévoiler : santé, économie, politique, jusqu’au fondement de l’Union Européenne. Dans ma jeunesse, une telle perspective était généralement considérée comme un prélude à un effondrement.
Mais nous ne sommes pas là pour jouer les (mauvais) augures. Pour nous en tenir à l'économie, dont la situation ne peut manquer d'inquiéter tout de même tout un chacun, et puisque Monde&Vie, dans son numéro de fin mai, évoquait le plan de relance appelé de leurs vœux par le duo Merkel-Macron, il convient d'observer ce qui se passe, effectivement, au niveau européen.
Comme sur tant d'autres plans, le fossé semble se creuser chaque jour davantage. Le défaut de réaction - surtout de réaction efficace et cohérente - de Bruxelles au plus fort de la crise sanitaire a sans doute éloigné un peu plus les Européens de l'Union européenne. Sa réaction économique n'est pas faite pour améliorer la situation.
État des lieux
Il y a en cette affaire, et comme toujours, les contempteurs et les sectateurs. Si l'on veut être un tant soit peu objectif, si tant est qu'une pareille nébuleuse le permette, il convient d'écouter les uns et les autres.
Les croyants, qui font de l'Union européenne une espèce de Deus ex machina, observent l'abondance de la réaction pécuniaire des instruments financiers européens, qui consiste d'une part à mettre de côté, au moins temporairement, l'orthodoxie économique européenne - notamment en ce qui concerne le déficit. Et d'autre part à arroser d'argent frais les Etats, les entreprises, et, peut-être, les particuliers, pour leur permettre de résister à une situation délétère. No limit. Est-ce parce que l'on parle d'argent que cela paraît avoir plus d'impact en anglais ?
Les incrédules, qui accusent l'Union européenne d'un certain nombre de maux, estiment quant à eux que le remède pourrait, à terme, être pire que le mal, et pointent du doigt les milliers d'entreprises en faillite, et les millions de travailleurs au chômage.
Je n'ai jamais fait mystère de ce que ma préférence allait à ces derniers. Non par esprit d'opposition. Mais parce que le réel m'a toujours paru plus tangible que le virtuel. Cela nuit sans doute à mon impartialité. Mais quand j'entends les défenseurs de Bruxelles expliquer que le Mécanisme européen de stabilité (le nom est tristement délicieux en cette période) ne saurait retrouver de réalité sans affirmer avec force le slogan « Plus d'Europe » afin de régler les problèmes, je ne peux m'empêcher de penser comme aurait dit Sacha Guitry que nous n'aurions pas eu ces problèmes - certains du moins, et avec cette intensité - seuls.
Dans les faits, Bruxelles a laissé l'exercice pratique de gestion de crise aux États. Ainsi, nous avons une Union à laquelle nous fournissons force argent pour qu'elle nous le rétrocède afin de l'utiliser comme nous le jugerons bon. C'est - au mieux - une perte de temps.
Aggravation de la dette
Et le résultat ne s'en fait pas meilleur. Si nous prenons le cas de la France, la stratégie économique des autorités françaises est loin d'être probante. L'État a en effet décidé d'aider les entreprises - qu'il avait plus ou moins condamnées lui-même en stoppant tout un pan du travail - par le moyen d'aides et de financement du chômage partiel. À tel point qu'Emmanuel Macron n'a pas hésité à se vanter d'avoir « nationalisé le paiement des salaires ».
Cela va plus loin encore, puisque c'est l'État qui décide quelle entreprise en difficulté aura le droit de survivre par le biais des PGE (prêts garantis par l'État), pour lesquels il faudra de plus en plus montrer patte blanche sur le plan environnemental - et donc idéologique, car il ne s'agit pas simplement de nettoyer ses locaux.
Cela, depuis toujours, s'appelle du socialisme. Et trop de pays en sont revenus pour que l'on ne s'inquiète pas de ce que l'on veuille nous y plonger jusqu'au cou.
Que fallait-il faire ? C'est évidemment la question. Si elle était simple, il n'y aurait pas de crise. Mais les chiffres montrent que certains pays, qui ont refusé ce traitement outrancier ne se portent pas aussi mal que nous. Les Allemands, par exemple. Ou les Américains qui, pour décriés qu'ils soient, ne pâtissent pas autant que nous de décisions funestes. Les États-Unis ont ainsi créé près de cinq millions d'emplois au cours du seul mois de juin...
On n'a pas fait attention, en outre, au fait que, en payant le chômage partiel de plus de douze millions de salariés, l'Etat français a financé notre panne entrepreneuriale par le déficit, creusant ainsi davantage notre dette. Alors que, pour compenser nous n'avons pas produit d'argent...
Ce qui explique que la chute du PIB français ait été une des pires au monde pendant le confinement.
Une situation qui pose deux questions que ferons-nous pour que ces chômeurs ne le demeurent pas ? Qui paiera cette aggravation de la dette ?
En 2013, Bruxelles a mis en place un dispositif permettant d'envisager un renflouement des banques - et, au-delà, de l'État - par la ponction des comptes des particuliers (de plus de 100 000 euros a priori).
Cela n'a rien à voir, il y a d'autres solutions, nous dit-on. Bruno Le Maire nous en a donné l'autre jour un aperçu en annonçant vouloir isoler la dette issue de la crise du coronavirus, afin de présenter un résultat moins catastrophique. Tout en promettant de la rembourser d'ici... 2042.
On se demande ce qu'en pensent nos concitoyens qui n'ont pas la possibilité de se ménager pour eux-mêmes de semblables facilités. Bruxelles, en tout cas, risque de faire la grimace.
Merkel, le retour
D'autant que, désormais, c'est Angela Merkel qui est à la manœuvre. Et elle entend bien rééquilibrer une Union à la dérive. Même si, dans l'esprit du plan de relance qui est devenu sa nouvelle carte maîtresse, elle promet de ramener à la raison - en fait de mettre au pas - les pays vertueux. On dit d'ailleurs désormais «frugaux ». Quand on franchit le Rubicon, il ne faut jamais laisser la vertu sur l'autre rive. Le vocabulaire a son importance - surtout aux yeux des électeurs.
Non seulement Angela Merkel a donc échappé à la crise politique et aux prophètes avides qui la voyaient déjà claquer la porte avant l'heure, mais elle est aujourd'hui la présidente de l'Union européenne. Pour six mois seulement certes - ceux de la présidence tournante de l'Allemagne qui a débuté ce 1er juillet. Elle paraît bien décidée cependant à faire mordre la poussière à ceux qui ont douté d'elle...
Ses grands écarts - ou ses volte-face - n'étaient peut-être que des manœuvres destinées à saper l'un après l'autre, ses adversaires. Voire certains partenaires trop gourmands.
Quoi qu'il en soit, sa popularité paraît aujourd'hui revenue au beau fixe. Et elle lance une dynamique pro-européenne comme peu imaginait encore hier que Berlin serait capable d'en impulser une.
Le fonds de relance ne suffira pas à cette ambition semestrielle. Angela Merkel est partie bille en tête et tous azimuts. Elle semble prête à avaler aussi bien les États-Unis que la Chine.
Elle parie aussi sur le deal - ou plutôt le no deal apparemment - avec le Royaume-Uni, qui, somme toute, sera peut-être l'adversaire le plus coriace et qui a pris de sérieux boni face à la Chine.
Peu importe après tout. Angela Merkel songe avant tout à laisser sa marque sur l'Europe. Et les prétendants à la même renommée ne lui arrivent pas, pour l'heure, à la cheville.
photo À la veille de la prise de présidence tournante de l'Europe par l'Allemagne (juillet 2020, photo), les dirigeants français et allemands ont réitéré le 29 juin dernier leur volonté de travailler ensemble, pour sortir l'Europe de la crise "inédite" de confiance.
Olivier Figueras Monde&Vie 15 juillet 2020 n°988