- Armement de guerrier de l'Âge du Bronze danubien ou centre-européen, influencé de façon déterminante par la civilisation du Bronze nordique. Ces armes se retrouveront plus tard en Grèce et en Crète, ce qui prouve une migration de peuples selon l'axe Jutland / Panonnie / Grèce.
Il y a plusieurs décennies, presque un siècle déjà, que les Européens ont retiré de l'oubli les héros des temps vikings, leurs vieux dieux païens, leurs figures de dragons et autres forces sombres pour leur redonner vie. Le paganisme connaît un vrai revival. Mais avant que tout cela ne fût possible, il a fallu livré un rude combat pour la revalorisation intellectuelle des anciennes structures de la pensée indo-européenne et pour que soient redécouverts les principes sous-jacents des institutions de nos ancêtres lointains mais directs. Ce combat fut long, jalonné d'embûches : des figures comme les Prof. Jan De Vries et Georges Dumézil ont attendu longtemps la reconnaissance que méritaient amplement leurs travaux. Prétexte : l'ombre du national-socialisme planait sur les études indo-européennes, ainsi que le souvenir des manipulations qu'il leur avait fait subir. Malgré cela, ces études ont percé ! Les thèses de De Vries et de Dumézil semblaient si bien étayées que, rapidement, plusieurs courants universitaires ont repris leurs idées et positions à leur compte. Tant et si bien que nous devons reconnaître aujourd'hui que le structuralisme ethnologique d'un Dumézil et la phénoménologie typologique d'un De Vries ont eu beaucoup plus d'impact sur les sciences religieuses que la perspective psychologique, au demeurant très intéressante, des Spencer, Gillen et Neumann, et que l'orientation sociologique de Malinowski et Caillois. Ce succès est dû aux travaux préparatoires de l'école de la Kulturkreislehre (théorie des cycles de culture) qui, la première, dans le domaine des sciences religieuses, exigea le respect de toute spécificité.
Mais revenons à notre propos : la trifonctionalité chez les Indo-Européens. L'idée de trifonctionalité est née, en fait, grâce à la collaboration étroite entre 2 indo-européanistes éminents, Stig Wikander et Georges Dumézil. C'est ce dernier qui a travaillé l'idée à fond et lui a donné sa pleine maturité. Jan de Vries a reconnu d'emblée l'importance de ces travaux et en a recueilli l'essentiel pour façonner ses thèses séduisantes sur les Germains de l'Antiquité. Dumézil s'est toujours insurgé contre les tentatives de vulgarisation de ses thèses, c'est pourquoi nous avons quelques scrupules à n'en livrer ici que les grandes lignes, car notre temps et notre espace sont hélas limités. Ceux qui veulent étudier ces matières en détail, doivent bien sûr lire et méditer directement les œuvres de Wikander, De Vries et Dumézil.
Les tablettes de Bogazköy
La découverte des tablettes de Bogazköy a donné le coup d'envoi de ces études indo-européennes. En les étudiant, Dumézil remarque une tripartition, dont il s'était déjà aperçu par ailleurs, mais qu'il avait pu difficilement ériger au rang de théorie. Il s'agissait de Mithra-Varuna, Indra et des jumeaux Nâsatya. Il devinait que cette distinction était d'ordre fonctionnel. C'était repérable dans le premier groupe, celui de Mithra-Varuna, avec Mithra (fonction juridique) et le dieu borgne Varuna (fonction religieuse). Le deuxième groupe ne comprenait que le dieu Indra, associé parfois à Agni pour devenir Indrâgni (fonction de combat). Le troisième groupe était constitué de jumeaux (fonction de fertilité). Cette tripartition était un reflet de la vie quotidienne, où les 3 castes jouaient un rôle absolument dominant, notamment les Brâhmanes (prêtres et connaisseurs du droit), les Ksatriya (les guerriers) et les Vaisa (les producteurs).
Un étude comparative des structures propres aux peuples apparentés confirma immédiatement qu'il s'agissait là d'un phénomène typiquement indo-européen. En effet, on connaissait déjà, chez les Germains, la tripartition entre Tyrr-Oddhin, Thórr et Njörd. Tyrr est l'ancien dieu du ciel (Dyaus, Tiwaz) ; il est manchot et juge suprême. Odhinn est le grand chamane et le dieu suprême en matières religieuses. Comme Varuna, il est borgne. Thórr est le guerrier-type et est très souvent associé avec un autre dieu étrange, Loki, dont le nom est étymologiquement apparenté à celui de Lykè (la lumineuse île septentrionale des Grecs) et à celui de Lucifer (le dieu romain de la lumière, dont les chrétiens ont fait un ange déchu). Dans ce cas, ce dieu double s'appelle Utgardloki (Utgard étant un autre nom pour désigner Thórr). Le parallèle est évident, ici, avec l'Indrâgni indien. La dernière fonction, celle de la fertilité, est représentée par l'androgyne Njörd et amplifiée par ses enfants, les jumeaux Freyr-Freyja, dieu et déesse des amours, de l'amour et donc de la fertilité. Chez d'autres peuples indo-européens, on trouve un parallélisme identique, aussi clair.
Il nous semble important d'analyser en détail, à la suite de De Vries, la tripartition au sein de la première caste chez les peuples germaniques. Il semble donc qu'il n'y ait pas eu tripartition seulement entre les 3 grandes castes mais qu'à l'intérieur de chacune de ces castes, il y ait eu aussi une répartition fonctionnelle. Dumézil avait attiré notre attention sur la tripartition au sein de la caste supérieure chez les Romains. Il distinguait parmi les flamines majores, le flamen dialis (adjectif dérivé du nom de l'ancien dieu du ciel, Dyaus, et attribué aux prêtres que ne concernent que la première fonction), le flamen martialis (adjectif dérivé du dieu Mars, dieu de la guerre, et attribué aux prêtres qui ne font fonction que pour la deuxième caste) et le flamen quirinalis (consacré au dieu Quirinus, qui n'entre en fonction que lors des fêtes paysannes). Très probablement, cette répartition des tâches existait aussi chez les autres peuples indo-européens, à quelques nuances près.
César écrit, dans son De Bello Gallico (VI, 21) : « Chez les Germains, les us et coutumes sont tout autres (que chez les Celtes) ; ils n'ont pas de druides pour veiller au culte et ne font guère de cas des sacrifices ». De Vries a pu démontrer que cet avis de César est inexact et induit en erreur. Strabon et Ammien Marcellin, au contraire, étaient d'avis qu'il existait un parallèlisme très net entre ces différents peuples. Tous deux ont remarqué que chez les Gaulois 3 groupes de personnages exercent les fonctions spirituelles. Ils font d'abord mention des drasidaedryidae ou druidae). Les historiens les appellent tantôt "philosophes" tantôt "explorateurs de la nature". Diogène Laërce les place entre les magi perses, les chaldéens babyloniens et assyriens et les gymnosophes indiens. Remarque importante : les druides comme les gymnosophes indiens devaient entreprendre une longue période d'études s'ils voulaient exercer cette fonction (20 ans chez les druides, 36 ans chez les Brâhmanes) ; ensuite, il leur était interdit, comme aux ressortissants de la caste religieuse indienne, de consigner par écrit leurs enseignements. (vraisemblablement une déformation de […]
Le second groupe, celui des bardi ou bardoi, avait pour tâche de chanter les actes et gestes des héros, des guerriers. Ils entrent bien ainsi dans la seconde caste du schéma trifonctionnel. Le clan des prêtres consacrés à la troisième fonction est celui des euhagis (chez Ammien) ou ouateis (chez Strabon). C'est la graphie grecque pour désigner les vates. Leur fonction est décrite comme suit : "sublima naturae pandere" (expliquer la nature sublime) et "scrutare sacruficandi" (la connaissance des sacrifices). Sans doute, ces vates ressemblaient-ils fort aux augures, qui prédisaient l'avenir à partir d'événements naturels. Quoi qu'il en soit, ces prêtres se trouvaient en rapport plus direct avec la nature, les paysans, le peuple, que les druides et bardes et ne pouvaient vraisemblablement être consultés que par des ressortissants de ces strates-là de la population. Du point de vue étymologique, le terme vates est également très important. Les linguistes sont d'accord pour dire que l'origine de ce mot est indo-européenne et est analogue à celle du gotique woths, du vieil-anglais wodh, du vieux-norrois ódhr, de l'allemand Wut et du moyen-néerlandais woed, ce qui signifie “animé”, “possédé”. En grec, ce terme se traduit par ouateis, en latin, par vatesfaíth. Françoise Le Roux nous donne un bon résumé de ce qui précède en expliquant que le druwid est le prêtre qui sait ; que les ueletos (fili, bard) sont ceux qui voient (les poètes sont des voyants et des annonciateurs de l'avenir) ; que le uates (faíth) est le prêtre qui agit. Cette tripartition gauloise, que nous retrouvons chez les Irlandais avec les druí, fili et faíth, nous pouvons également la découvrir chez les Germains. et en irlandais par
Le terme gaulois gutuater
Lors de la grande assemblée qui eut lieu pendant la septième année de la guerre des Gaules, où les tribus gauloises décidèrent de tenir tête à César, il est question d'un chef de cette résistance celtique, un certain Gutruatus. L'assemblée a eu lieu à Carnutum, la cité des druides. Le nom gutruatus apparait également sur une inscription de Mâcon, sur laquelle nous apprenons quelqu'information sur un certain Sculpicius. Celui-ci y est nommé aussi bien flamen Augusti que gutuater Martis. Comme le remarque Ausone, il ne s'agit pas d'une dénomination locale ; Ausone explique le terme gutuater comme stirpe Druidarum satus (tout-à-fait druide d'origine). Si nous analysons attentivement le terme gutuater, nous découvrons en fait gutu-pater (le père qui invoque Dieu), terme qui correspond entièrement au gudja germanique (gotique : gudja ; vieux-norrois : godi). Le terme indien hotar (classe royale de Brâhmanes, chargée des rituels et cérémonies officielles) y est également apparenté. L'origine indo-européenne du mot est donc indubitable. Tacite nous apprend que le gutuater remplit une fonction juridique et détient des pouvoirs magiques. Il jettait également le sort en jetant les runes. C'était donc un prêtre lié à la première fonction, celle assumant le droit et le système magico-religieux. Les Germains disposaient également de prêtres chanteurs, les skaldes. Ils chantaient les galdr, les chants magiques et éternisaient ainsi les gestes des héros tombés au combat. Le dernier groupe est à peine perceptible chez les tribus germaniques mais nous disposons encore de suffisamment de traces pour en affirmer l'existence. C'était le groupe des pulr. Mot apparenté : pylja (parler indistinctement, marmonner). Même si la fonction des pulr nous est inconnue, il est tout de même important de savoir que leurs chants, les thulur, sont souvent synonymes des dits blótsögn, les chants d'offrandes, propres à la troisième fonction, celle de la fertilité.
Nous pouvons en déduire que les Germains, comme les Indiens, les Romains et les Celtes, avaient une caste bien structurée de prêtres et que l'expression sacerdos civitatis, utilisée par Tacite pour désigner la communauté germanique, cadrait bien avec la réalité.
Si nous comparons avec les dieux, nous obtenons la répartition suivante :
Groupe de prêtres / Dieux / Fonctions
♦ Chez les Celtes ♦
a) les Gaulois
druides / Nodens-Teutates / fonction juridique, religieuse
bardes / Taranis / culte des guerriers
uates / Borvo / guérison, fertilité
b) les Irlandais
druí / Dagda-Ogme / fonction juridique, religieuse
fili / Morrígan / fonction guerrière
faíth / Diancecht, Oengus / guérison, jeunesse
♦ Chez les Germains ♦
godi / Tyrr, Odhinn / fonction juridique, religieuse
skald / Thórr / fonction guerrière
pulr / Njörd, Freyr-Freyja / fertilité, amour(s)
♦ Chez les Romains ♦
flamen dialis / Jupiter / fonction juridique, religieuse
flamen martialis / Mars / fonction guerrière
flamen quirinalis / Quirinus / culte des hommes à l'intérieur de la gens (curies = co-uir-ia)
Nous pouvons donc affirmer qu'il s'agit d'une répartition typiquement indo-européenne, posée selon un ordre social fonctionnel. Mais ici nous n'avons qu'effleurer très superficiellement le sujet. Une étude très approfondie de ces matières mérite d'être entreprise.
► Koenraad Logghe, Vouloir n°68/70, 1990.
(allocution prononcée lors du séminaire annuel des rédacteurs de Vouloir et d'Orientations, mai 1990)
◘ Bibliographie :
— De J. de Vries :
- Kelten und Germanen, München, 1960.
- La religion des Celtes, 1984.
— De Régis Boyer :
- Sagas islandaises, 1987.
- Le monde du double, 1986.
— De F. Le Roux & CH.-J. Guyonvarc'h :
- Les Druides, Rennes, 1986.
- La souveraineté guerrière de l'Irlande, Rennes, 1983.
— D. Éribon, Entretiens avec Georges Dumézil, 1987, Folio/Gal.
— L. Frédéric, Dictionnaire de la civilisation indienne, 1987.