Deux hommes de droite débattent du réchauffement climatique. François Bousquet, journaliste et directeur de la rédaction du Choc du mois(1), croit que l'activité humaine en est la principale responsable, Jean-Yves Le Gallou, fondateur du site Polémia et directeur du journal de la réinformation sur Radio-Courtoisie, est sceptique. Monde et Vie leur donne la parole.
M&V: L'écologie semble aujourd'hui prise en otage par l'idéologie. Est-ce vraiment le cas ?
François Bousquet : Oui. Depuis 30 ans, la droite a laissé écologie à la gauche, qui l’a monopolisée, et le discours tiers-mondiste et trotskiste s'est recyclé dans les thématiques écologiques. Je le déplore et j'aimerais que la droite réintègre un discours et une vision écologiques du monde. Historiquement, la droite légitimiste et nationaliste est la première à avoir critiqué efficacement l'idée de progrès, voilà 150 ans. Il est dommage qu’on l'ait oublié.
Jean-Yves Le Gallou : Je serais tenté d'opposer ce qu'on peut appeler une écologie planétaire à une écologie enracinée. Une écologie planétaire globalise tous les problèmes à l’échelle de la planète et tend à développer des thématiques abstraites, que ce soit sur le réchauffement climatique ou sur le nucléaire. À contrario, une écologie enracinée rapproche l'homme de son environnement direct, à la fois physique, géographique et alimentaire. L’écologie enracinée se préoccupe d'abord de protéger un patrimoine naturel culturel et charnel.
FB : II y a en effet une articulation du global et du local - le mot d'ordre des écologistes de gauche, du reste, est « penser global, agir local ». Cependant, un problème comme le réchauffement est planétaire et appelle donc une réponse à la fois planétaire et locale.
M&V : Comment vous positionnez-vous dans ce débat sur le réchauffement climatique ?
FB : Le pivot majeur du dispositif écologique, c'est le réchauffement. La question climatique va conditionner l’émergence dans le monde d'une civilisation authentiquement écologique. Sans cela, je pense que nous allons passer comme c'est le cas aujourd'hui des polycultures vers les monocultures et nous irons vers un appauvrissement du vivant que je crains irréversible. Je trouve les sceptiques irrationnels. J'ai envie de leur demander : le jeu en vaut vraiment la chandelle ? La taxe carbone, est-ce si important ? Est-ce que le risque qui nous menace, sur lequel il reste beaucoup d'incertitudes, je vous l'accorde, vaut vraiment la peine de se cuirasser dans une exagération pure et simple ?
JYLG : Quant à moi, je suis à mi-chemin entre climato-sceptiques et climato-prudents. Je me méfie d’instinct des vérités extérieures et négatives qu'on veut nous imposer, car l'expérience prouve qu'elles sont généralement fausses (mais pas toujours). Sur Polémia, nous avons donné accès à quelques liens climato-inquiets qui répondent aux climato-sceptiques dans un souci d'ouvrir le débat, mais il est vrai que nous avons surtout publié des textes climato-sceptiques ou climato-prudents, parce que nous considérons que notre travail consiste à être plutôt du côté du courant minoritaire que du courant principal et à donner la parole à ceux à qui les grands médias la refusent.
M&V : Sur le fond, comment se présente le débat ?
JYLG : Il faut distinguer deux questions d'une part, y a-t-il réchauffement ou pas ? C'est très probablement le cas en France et en Europe, au moins depuis la fin du petit âge glaciaire, voilà près de deux siècles. Cela se traduit par un recul des glaciers des Alpes, par l’augmentation des températures moyennes observées, par la remontée vers le nord de certaines espèces d'insectes…
D'autre part, ce réchauffement est-il de nature anthropique, dû à l'homme, aux émissions d'oxyde de carbone (C02) ? Ce n'est pas du tout certain, de même que ce qu’on peut dire sur l'augmentation de la température moyenne de la terre est très aléatoire. Donc, on peut constater un réchauffement en France et en Europe; mais il n’est pas certain qu'il soit dû à l'homme, ni qu'il n'ait que des conséquences catastrophiques.
FB : En réalité, personne ne nie plus le réchauffement. Il y a une rupture par rapport aux petits âges glaciaires post-médiévaux et au petit optimum du Moyen-Âge : nous sommes entrés dans des phases de réchauffement beaucoup plus importantes. Ce réchauffement, qui existe depuis la fin du XIXe siècle, est resté limité jusqu'au milieu des années 1975. En France, selon Emmanuel Leroy-Ladurie, il s est emballé au milieu des années 1980. Ainsi, les dix dernières années que nous avons traversées ont été les plus chaudes 2008 et 2009 ont été plus chaudes que la moyenne alors que nous avons traversé une phase minima, froide, et que nous sommes au plus bas du cycle d'intensité de rayonnement solaire. Ce qui importe, c'est cet emballement du réchauffement que l’on constate en particulier aux pôles, dans les régions arctiques. Il est possible que nous soyons entrés dans une phase de réchauffement de longue durée. Quant à l'origine de ce réchauffement, le GIEC n’émet aucune certitude, mais estime que la probabilité qu'il soit occasionné par un surcroît d'émissions de gaz à effet de serre atmosphériques, d'origine humaine, est supérieure à 90 %. Sur ce sujet, toutefois, la communauté scientifique est partagée. Les tenants de l’origine anthropique sont très majoritaires, mais il n'y a pas unanimité.
JYLG : Dans la thèse du réchauffement, il existe à mon avis une faille importante, qui consiste à expliquer un système extraordinairement complexe - l’atmosphère, le système de fonctionnement de la terre avec son volcanisme, son positionnement dans le système solaire et l'activité de celui-ci, les échanges entre les océans et la terre, etc. - par une seule cause qui serait l'augmentation d'émission de gaz carbonique par l'homme. C'est une explication simpliste. Le rejet de carbone par l'homme a certainement une influence, mais n'explique pas tout. On cherche à faire peur, parce que la peur est un moyen de gouvernement qui justifie les mesures que l’on prend et qui a un effet dérivatif pendant qu’on parle du réchauffement climatique, on ne parle pas des problèmes des banlieues.
M&V : Les médias n'ont-ils pas une part essentielle à ce catastrophisme ?
JYLG : Je crois qu'il y a deux graves dérives. D'une part, un arraisonnement de la science par les médias : les scientifiques catastrophistes ont été avantagés en termes d’accès médiatique parce que pour les médias, ce qui est catastrophiste se vend mieux; et grâce à cela, ils ont également été avantagés en termes d'obtention de crédits. D'autre part, ce discours catastrophique a permis de développer des thématiques qui servent la mondialisation : si le problème est mondial, il faut une nouvelle organisation mondiale, et l’on voit bien que le GIEC pousse à sa création… Il y a donc eu récupération par l'idéologie mondialiste d'un réchauffement assez modéré pour l'instant et dont rien ne prouve de manière certaine qu'il ait des causes humaines.
FB : Je suis un catastrophiste. Initialement, en paléo-climatologie, le catastrophisme est une théorie qui a été fondée par Cuvier et écartée par les darwiniens, parce que Cuvier considérait que l'évolution avait procédé par ruptures brutales, ce qui contredisait leur schéma. Personnellement, je trouve que c'est une théorie assez séduisante, en tout cas pour le vivant : la terre a déjà subi cinq phases de rupture catastrophistes assez violentes, et pour beaucoup de biologistes elle est en train d'en connaître une sixième. Je pense qu'il faut regarder favorablement ce que Jean-Pierre Dupuis appelle le « catastrophisme éclairé ». Il ne s’agit pas de devenir tous des Cassandre, mais de casser le discours enchanté sur la science qui est le nôtre depuis un siècle, et qui est en gros le discours du néo-libéralisme. Le libéralisme est une suite de bulles : immobilière, boursière, migratoire. Je pense qu’on a également une bulle climatique, qui converge avec une bulle économique, et toutes deux vont éclater, l'une après l'autre.
Le néo-libéralisme, ou plus largement le capitalisme, est la plus merveilleuse des utopies et ses œuvres sont indiscutables sans aucune mesure avec les systèmes qui l’ont précédé… Mais au niveau des matières premières, c'est la politique de la terre brûlée et nous sommes en train de léguer une dette écologique considérable à nos héritiers. Nous avons estampillé au flanc de la terre une date limite de consommation, une date de péremption. Le dilemme est le suivant le plus important est-il notre niveau de vie, à savoir notre croissance, ou notre survie, en tant que peuple ? Je pense que métaphysiquement, ce monde-là ne fonctionne pas. Le sens de la vie n’est pas de produire, consommer et jeter, pour produire, consommer et jeter, selon un cycle d'obsolescence programmée de la marchandise. Et il se trouve que physiquement ça ne marche pas, puisque nous réchauffons également la terre…
JYLG : Par rapport à ce que vous disiez sur le capitalisme, il existe un paradoxe quand on parle de réchauffement climatique, c'est que les gens qui veulent lutter contre ce réchauffement, dans le système politique dominant, n’ont jamais remis en cause le libre-échange, qui est évidemment une cause majeure d'augmentation de la pollution, puisqu'il conduit à délocaliser des productions qui sont faites dans des conditions relativement économes et écologiques en Europe ou aux États-Unis pour les réaliser en Chine ou en Inde dans des conditions écologiques bien pires.
M&V : Vous citiez précédemment le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). La fiabilité de ses travaux n'est-elle pas mise en question par les récentes polémiques dont il a fait l'objet, sur le « climategate » et la fonte des glaciers himalayens ?
FB : Le GIEC est une agence qui relève à la fois de l'OMM (Organisation météorologique mondiale et de l'ONU et qui réunit des scientifiques, assez peu nombreux. Elle émet tous les 5 ou 6 ans un rapport qui compile les travaux scientifiques parus sur la période et personnellement, je ne conteste pas ses travaux. Concernant le climategate, la polémique est très forte en Angleterre et aux États-Unis, mais c'est une tempête dans un verre d'eau. Elle ne concerne pas exactement le GIEC, mais le CRU (Climatic Research Unit), qui est l'une des trois grandes sources d'information du GIEC. Les pirates ont d'abord mis en ligne tous les mails, qui confirmaient la légitimité des travaux du CRU Dans un deuxième temps, ils ont ciblé les mails problématiques. Le principal est celui de Phil Jones, le directeur du CRU qui parle lui-même de triche pour faire coïncider avec le climat du passé les anneaux des arbres.
JYLG : Le « climategate » me paraît important, parce qu'il révèle une trahison de l'éthique scientifique en faisant apparaître une volonté de choisir dans les résultats observés ce qui est le plus compatible avec les théories des chercheurs. Je crois que le GIEC médiatise les travaux scientifiques qui ont les résultats les plus spectaculaires, parce qu'il est dans une logique médiatique. Un scientifique qui veut développer ses recherches a besoin de moyens et de reconnaissance, il va donc passer par l’outil médiatique, qui déforme, l'amplifie et « spectacularise » les résultats, alors que la recherche scientifique doit reposer sur le doute. Quand on voit un résultat qui ne s'intègre pas dans la courbe qu’on souhaite décrire, on ne doit pas chercher à changer le résultat pour l'y faire rentrer, mais essayer de comprendre pourquoi le résultat ne s'intègre pas : c'est précisément cela qui va permettre de mieux comprendre le phénomène. Il y a un autre point important : le refus par le centre de recherches de Norwich de donner accès aux données brutes, non corrigées, à d'autres climatologues que ceux qui s'inscrivent dans la mouvance du GIEC. Ces tentatives d'interdire le débat ne sont pas non plus conciliables avec la démarche scientifique. Quand on publie une étude, il faut donner à quiconque la possibilité de la réfuter. En science, ne peut être dit vrai que ce qui peut être librement réfuté et à armes égales.
FB : Le problème des glaciers de l'Himalaya me paraît beaucoup plus gênant : dans le deuxième rapport - celui des économistes et des biologistes, pas celui des climatologues - il est annoncé qu'à échéance de 2035 les glaciers de l'Himalaya auront fondu, ce qui est une absurdité sur le plan climatique, en raison de l'inertie thermique considérable des glaciers…
M&V : On appuie beaucoup sur la responsabilité de l'Europe et des États-Unis, alors que ce ne sont pas les seuls pollueurs : on parlait de la Chine tout à l'heure, on pourrait aussi évoquer l'Union Soviétique avec la Mer d'Aral, qui est une catastrophe économique majeure. N'y a-t-il pas là une forme de «repentance» ?
FB : Je suis embarrassé par l'attitude de dénégation de l'Occident. Je vous renvoie au message pour la Journée mondiale pour la paix que Benoît XVI a publié le 15 décembre afin qu'il soit lu dans les églises le 1er janvier. Il y a parlé de la « responsabilité historique des pays industrialisés ». Les mots sont forts, c'est un rappel à l’ordre, qui a reçu une fin de non-recevoir. Avec la révolution industrielle, nous avons peut-être changé d'ère. Paul Prinzen, prix Nobel de chimie, estime que l’ère interglaciaire dans laquelle nous vivons, l'holocène, devrait, à partir de la révolution industrielle, être rebaptisée « anthropocène » : le « temps de l'homme ». Et ce temps de l'homme est parti de toute évidence des Pays-Bas et d'Angleterre. Il existe donc une responsabilité des pays protestants et plus largement des pays européens. Sans nous flageller, mais il serait absurde de la nier.
1). N’existe plus
Propos recueillis par Hervé Bizien
monde&vie 30 janvier 2010 n° 822