Nous en avons assez de ne pas faire de vagues. Au rassemblement en hommage à Samuel Paty, le 18 octobre, place de la République, il y avait cette protestation, cette prise de conscience collective. Même tardive, elle laisse espérer plus qu’un éphémère sursaut.
J’ai toujours éprouvé de la sympathie pour les lanceurs de vagues, bien plus que pour les lanceurs d’alerte qui, à tort ou à raison, m’apparaissaient le plus souvent pour des dénonciateurs occultes au grand pied, certains de s’attirer, dévoilés, les félicitations des médias de gauche puisque leurs révélations sont, en général, ciblées politiquement et économiquement. Ils ont leurs bons et leurs méchants.
Mais les lanceurs de vagues, en France, quel que soit leurs domaines d’activité, ne sont protégés par personne. Ils s’exposent seuls, font preuve d’un courage d’autant plus impressionnant que notre pays est profondément allergique, malgré les apparences d’audace qu’il se donne, à ces intrépidités qui le contraignent, et tous les pouvoirs avec lui, à se remettre en cause.
Il ne faut pas oublier, non plus, cette propension des services publics et des institutions confrontés à un scandale enfin mis au jour à moins s’indigner du scandale lui-même que de celui qui l’a révélé.
J’ai moi-même connu directement, lors de certaines séquences judiciaires, combien il était imprudent de considérer que les dysfonctionnements, les vulgarités et les impolitesses étaient des broutilles ! L’enseignement à en tirer : ne jamais réveiller une hiérarchie qui dort !
Il existe aussi, chez beaucoup de serviteurs de l’univers régalien, une pudeur, une frilosité. S’avancer ostensiblement sur la voie de la liberté, dans l’exigence de transparence, au nom d’une morale qui vous est propre et qui n’est guère partagée, n’est pas une mince affaire ; c’est une entreprise risquée. On dispose toujours de cette merveilleuse obligation de réserve qui sert à donner un tour honorable aux lâchetés dont on pressent, au fond de soi, l’indignité.
En même temps, rien ne serait pire que de confondre les vagues utiles, stimulantes, nécessaires avec les soubresauts d’esprits qui ne se sentent à l’aise que dans la provocation et la contradiction. Et qui ne jouent jamais leur peau dans leurs misérables égarements.
Qu’on aille une seconde dans l’espace médiatique et on vérifiera aisément que certains sont totalement à l’abri d’être des lanceurs de vagues parce que de leur esprit et de leur verbe ne coulera jamais que le tiède flux de la pensée convenue et des poncifs même pas renouvelés par un langage inventif.
Pourquoi j’apprécie Éric Zemmour ? Parce que, précisément, il est un lanceur de vagues qui, pratiquement chaque soir sur CNews, relève le défi d’exprimer librement ce qu’il pense, d’explorer le réel à sa manière et de ne pas se préoccuper des conséquences de ses audaces. Quelle étrange conception de l’État de droit a la France pour aller chercher, dans une infinité d’aperçus admissibles, voire respectables, la seule infime outrance, globalité ou provocation à judiciariser !
N’est pas lanceur de vagues qui veut. Il faut « être » d’abord, puis arbitrer entre son devoir et son confort. Enfin faire non pas le dos rond mais la personnalité altière, pas arrogante mais sûre de son droit à la pensée libre, à l’expression sans fard.
Oui, il faudra dorénavant écouter ceux qui font des vagues.
Ceux qui hésitaient, qu’ils ne se retiennent plus.
Il en va de notre démocratie : l’horreur de l’enseignant assassiné, alors que le terreau malfaisant était connu, sous-estimé ou relégué, nous en a apporté la leçon sanglante.
Philippe Bilger
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