Le Comte Albert de Mun fut en son temps le meilleur orateur de la Chambre
La querelle autour du repos dominical, que les matérialistes voudraient supprimer, a connu depuis deux siècles de multiples rebondissements. C'est la droite « légitimiste » et catholique qui, dès le XIXe siècle, conduisit la bataille pour arracher à une gauche libérale et anticléricale cet « acquis social ».
Pendant des siècles l'Ancien Régime avait imposé le respect du « Jour du Seigneur » et celui des fêtes chômées. Au XVIIIe siècle, les « philosophes » lui livrèrent les premières attaques, comme Voltaire, qui jugeait économiquement plus utile que le peuple travaillât le dimanche, « au lieu d'aller boire au cabaret les jours de fête après la sainte messe ». La guerre au dimanche ainsi déclarée devait aboutir sous la Révolution française, qui, en vendémiaire an II (octobre 1793) remplaça la semaine de sept jours par la décade, comptant dix jours. Les travailleurs perdaient au change, puisque, de ce fait, l'année ne comptait plus que 36 jours de repos - les décadis -, contre 52 dimanches auparavant sans compter les fêtes chrétiennes. Encore l'obligation de ce congé du « décadi » fut-elle limitée en l'an VIII (1800), sous Bonaparte, aux seuls « fonctionnaires publics et agents salariés du gouvernement ». Deux ans plus tard, après la signature du Concordat signé entre le Premier Consul et Pie VII, on revint au calendrier grégorien, mais le repos du dimanche resta réservé aux fonctionnaires.
Ces lois révolutionnaires étaient d'inspiration à la fois laïque et libérale en théorie, les citoyens devaient rester libres d'exercer leur activité et de prendre du repos quand ils l'entendaient; dans les faits, le salarié ne disposait ni de liberté, ni de repos. Il fallut attendre le retour des Bourbons pour que le repos dominical soit rétabli, par la loi du 18 novembre 1814 « pour la sanctification du dimanche », ce qui soulignait le caractère principalement religieux de cette mesure; mais la révolution de 1830, qui chassa Charles X, remit tout en question. Sous Louis-Philippe, le roi bourgeois, puis sous le Second Empire, la loi de 1814 fut officiellement maintenue, mais loin d'être toujours appliquée. Patrick Barrau(1) observe qu'une loi de 1841, interdisant le travail des enfants de moins de seize ans les dimanches et jours de fête, « affaiblissait encore le caractère général du texte de 1814 ».
Liberté ou tyrannie ?
La véritable attaque contre le repos dominical va être portée, après la chute de l'empire et l'établissement de la République, par la chambre des députés issue des élections législatives de 1877 et dominée par la gauche (Union républicaine) anticléricale et libérale. Le 1er décembre 1879 un député radical dépose une proposition de loi visant à abroger la loi de 1814, jugée trop catholique et dirigiste. Le rapporteur du texte au Sénat, Casimir Fournier, considère ainsi qu'il convient de « laisser les salariés et les employeurs déterminer librement le principe et le mode de ce repos ». Au contraire, c'est la droite royaliste légitimiste, imprégnée par le catholicisme social à l'image du comte Albert de Mun, qui défend le dimanche chômé. À la chambre haute, face à Fournier et à ses amis, le royaliste Armand Fresneau, sénateur du Morbihan, proteste : « Le faible, le pauvre qui a besoin de protection, voilà la victime de la disparition des temps de repos », tandis que Pierre Chesnelong, sénateur monarchiste des Basses-Pyrénées, affirme que la « liberté » n’en est pas une pour l’ouvrier et demande si « la loi n est pas faite pour protéger
les faibles lorsque leurs droits peuvent être opprimés par la force ? » Rien n'y fait le texte est voté en 1880 et le repos du dimanche est supprimé, sauf pour les fonctionnaires.
Pour autant, le dossier n'est pas clos. Au cours des dernières années du XIXe siècle et aux premières du siècle suivant, ce sont les salariés du commerce qui mènent le bal, dans la rue. À Bordeaux, au Havre, à Saint-Etienne, Limoges, Nice, Tarbes, Nantes, Saumur, Toulouse, des troubles se produisent, des vitrines et des devantures sont brisées, des magasins ouverts le dimanche saccagés.
En 1902, un nouveau projet de loi est déposé, qui nourrit pendant quatre ans les débats parlementaires, opposant de nouveau une gauche individualiste et anticléricale et une droite catholique dont les champions sont souvent royalistes. Deux questions sont en particulier discutées d'une part, le caractère obligatoire du congé (le rapporteur de la loi au Sénat, Alcide Poirier, député de la Seine, l'estimait ainsi « contraire à la liberté individuelle, contraire à la liberté du travail à la fois du patron et de l'ouvrier ») et d'autre part, le choix du dimanche comme jour de repos, défendu par les élus catholiques. Le sénateur royaliste Dominique Delahaye affirme alors que « L'inobservation du dimanche est un fruit de la tyrannie patronale (…) que vous voulez sanctionner par la tyrannie de la loi… ».
En 1906, deux conflits importants conduisent finalement les parlementaires à entériner le principe du repos du dimanche : une part, la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905 et les « inventaires », qui ulcèrent les catholiques français et d'autre part, la catastrophe minière de Courrière, en mars 1906. Dans les deux cas, l'octroi du repos dominical doit contribuer à apaiser les tensions. Toutefois, le texte de loi prévoit tant de possibilités de dérogation qu'il occasionne des discussions sans fin entre patrons et salariés. Finalement, le repos dominical ne s'imposera vraiment qu'après la Première Guerre mondiale.
1). Patrick Barrau, La naissance mouvementée du droit au repos hebdomadaire, cahiers n° 4 de l'Institut régional du travail de l'Université d'Aix-Marseille II. Ce texte est disponible sur Internet.
Hervé Bizien monde&vie 4 janvier 2015 n°902