« Pilotage défaillant », « gestion chaotique », « manque d’anticipation » ou encore « lourdeurs bureaucratiques et administratives » : ceux qui, comme nous, s’attendaient à ce que la Commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée sur la gestion de la crise du COVID-19 rende des conclusions particulièrement accablantes pour l’Etat n’auront pas été déçus du voyage. En effet, voté mercredi par tous les députés à l’exception – ô surprise ! – de ceux du MoDem et de LREM, le rapport de 200 pages présenté par le député LR Eric Ciotti, au terme de six mois d’investigations et de 53 auditions, a comme qui dirait un goût de vitriol amplement justifié.
Un pays totalement « désarmé »
Premier constat effectué par les membres de la Commission : celui d’un pays totalement « désarmé » face à la crise sanitaire parce que l’Etat s’est, depuis une décennie, fixé « d’autres priorités » et a laissé « s’épuiser les stocks stratégiques jusqu’à arriver à la pénurie ». Citant l’exemple ô combien symbolique des masques, le rapport souligne ainsi que cette baisse constante des stocks « semble s’être opérée dans l’indifférence ou l’ignorance du pouvoir politique ». Même chose pour les « exercices pandémies » qui avaient été mis en place dans les années 2000 : au fil des ans, constate la Commission, ceux-ci se sont espacés pour s’arrêter définitivement à partir de 2013… Evoquant ensuite notre système de soins, « que l’on pensait solide et qui s’est retrouvé démuni », le rapport pointe alors du doigt un « hospitalo-centrisme qui a contribué à aggraver des tensions déjà exacerbées par l’affaiblissement structurel du système de santé », et dénonce tout particulièrement « l’indifférence de l’exécutif » face au drame des EHPAD lors de la première vague de l’épidémie.
Une « gestion chaotique » de la crise
Mais, au-delà de cette incroyable impréparation, la Commission d’enquête dénonce surtout une « gestion chaotique » de la crise, avec « d’innombrables retards » pris dès le début de celle-ci. Citant l’exemple de l’Italie, le rapport souligne ainsi : « alors que le pays connaît une vague épidémique qui précède celle de la France de 10 à 12 jours » et que « les premières mesures de confinement y sont instaurées dans une dizaine de villes dès le 21 février », la France « ne sera confinée que le 17 mars, soit 24 jours plus tard » ! Quant au retard avec lequel les tests ont été mis à disposition, les membres de la Commission rappellent que, le 17 mars, la France n’avait encore effectué que 13 000 tests, soit « vingt fois moins que l’Allemagne qui, à la même date, en avait réalisé plus de 250 000 » ! Bref, indique encore le rapport, « de manière générale, tout au long des premières semaines de la crise sanitaire, les Français ont assisté à une succession précipitée de décisions prises au pied du mur, alors qu’elles étaient indispensables ». Et ce n’est pas fini, observe avec consternation la Commission : la deuxième vague épidémique associée à la forte hausse de la demande de tests « a provoqué une embolie du système de dépistage et finalement une mise en échec de la stratégie gouvernementale “Tester, tracer, isoler” alors que l’enjeu d’enserrer le dispositif de dépistage dans les délais les plus courts possible était pourtant posé dès le mois de mai » !
Franck Deletraz
Article paru dans Présent daté du 3 novembre 2020