Le numéro 1 de la revue Limite vient de paraître et le premier tirage est épuisé. L'une des animatrices de cette nouvelle revue de la nouvelle génération, Eugénie Bastié, par ailleurs journaliste au Figaro.fr, nous explique la politique de Limite et au fond nous montre en même temps les limites de la politique…
Eugénie Bastié, vous venez de créer avec une équipe résolue, un nouveau titre Limite; le sous-titre porte fièrement Revue d'écologie intégrale. Dans cette revue vous êtes vous-même responsable des pages politiques. En quoi Limite est un objet politique ?
Disons que notre objectif politique, à Limites, est de casser les vieux clivages. Plutôt que de tomber dans 1 opposition attendue entre droite et gauche, nous préférons établir une dialectiques réelle, entre bio-conservateurs et transhumanistes. Voilà ce qui est vraiment clivant ! D'un côté les bio-conservateurs, qui pensent^qu'il y a une finitude humaine, laissant place à l'illimité, mais dans une forme de transcendance de l'autre ceux qui d'une manière ou d'une autre se rattachent au courant transhumaniste, qui vise à dépasser l'humanité, à sortir des limites justement, dans un renouveau illusoire de ce qui fut le mythe du progrès. Le transhumanisme n'est pas un courant purement technique, c'est l'alliage de la technique et d'une forme de progrès libertaire, qui permettra de libérer l'homme de la vieillesse et de la mort.
L'adjectif « conservateur » que l'on entend dans le terme « bioconservateur » ne vous fait pas peur ?
Pas du tout si on comprend bien les enjeux d’aujourd'hui. Il s’agit de conserver la vie sous toutes ses formes, pour favoriser la possibilité de ce qu'Hannah Arendt, après Aristote, appelle « la vie bonne ». Le grand enjeu pour nous, c’est la nature. Les sciences sociales essaient de déconstruire la nature en l'artificialisant. On assiste à une perte du sens du don, à une perte du sens de la réception et de l'accueil et cela se traduit d'abord par la destruction de notre environnement.
Vous êtes des conservateurs mais vous n'êtes pas de droite ?
Le clivage droite/gauche n’est plus opérant puisque on a à droite des gens qui, fidèles aux valeurs traditionnelles, défendent d'un autre côté mordicus les vertus du marché qui les détruisent. Et on a à gauche des gens qui, célébrant l'être humain sans racines, l'homme au désir illimité, entendent en même temps le protéger (c'est la gauche sociale). Pour cela, ils fustigent un capitalisme qui réside pourtant justement dans le désir infini qu'ils révèrent.
Comment vous situez-vous par rapport à cette contestation sociale que fut Mai 68 ?
Mai 68 ne représentait finalement aucune vraie contestation. C'est le plus beau cadeau fait au capitalisme. Il s'agissait de casser les structures traditionnelles, de casser les limites pour donner de la marge au Marché. Si vous tenez à nous situer vraiment, eh bien ! Dites-vous que nous sommes la génération pape François.
Justement, selon vous, que vient dire le pape François aux Américains à la fin du mois de septembre ?
Je pense que cela va être difficile. Les Américains ont souvent un culte de la liberté totalement individualiste qui les rend hostiles par principe à une prise de conscience écologique comme la nôtre. S'il y a une droite qui est dans les contradictions que je dénonce c’est la droite américaine, fidèle à la fois au culte des valeurs familiales et à un capitalisme sauvage qui détruit le reste du monde.
Revue Limite, n° 1 sept. 2015, Éditions du Cerf, 12 euros.
Propos recueillis par l'abbé G. de Tanoüarn monde&vie 24 septembre 2015 n°913