En 1814, Talleyrand gagne le tsar au retour des Bourbons.
Le 31 mars 1814, il y a deux cents ans, Alexandre Ier, tsar de toutes les Russies, entrait dans Paris en vainqueur. La veille encore, on s’était battu à Pantin et à Montmartre. C’était la fin de la campagne de France. Deux mois durant, Autrichiens, Prussiens, Russes, Britanniques et Suédois avaient affronté un Napoléon qui avait retrouvé l’énergie et le génie stratégique de sa jeunesse, comme le rappellent les témoignages réunis par l’historien Jean-Joël Brégeon (1). Vaincus à Montmirail, à Champaubert, à Montereau et à Reims, les coalisés l’avaient quand même emporté, leurs troupes ayant pour elles le nombre et l’expérience, et la volonté d’en finir, tandis que l’Empereur s’était battu avec les débris de la Grande Armée et des conscrits inexpérimentés, et que la lassitude pointait dans un pays qui, à l’issue de vingt années de guerre, aspirait à la paix.
La suite n’était pas écrite d’avance : les souverains alliés n’étaient pas d’accord entre eux sur le sort à réserver à la puissance occupée. Talleyrand, ancien ministre des Relations extérieures, désormais brouillé avec Napoléon, estime que le rétablissement des Bourbons serait accepté par les vainqueurs comme par les Français, une fois leurs réticences dissipées. Le diplomate commence par en convaincre le tsar qui loge chez lui, rue Saint-Florentin, tout en lui exposant que cette nouvelle orientation politique ne doit pas émaner de l’étranger. Le 3 avril, le Sénat vote donc la déchéance de Napoléon et, deux jours plus tard, fait appel au comte de Provence (Louis XVIII), qui est invité à devenir « roi des Français (…) par le voeu de la nation ».
Talleyrand a imposé une solution française, mais Alexandre Ier s’y est rallié, et amènera les autres souverains à cette solution, parce que le tsar, homme des Lumières, a reçu l’assurance que la Restauration ne serait pas la restauration de l’Ancien Régime. Cet épisode est connu, mais Marie-Pierrre Rey, une spécialiste de la Russie, l’éclaire d’un jour nouveau (2). C’est un paradoxe : l’institution d’une monarchie libérale, en France, en 1814, a été rendue possible par la rencontre du Diable boiteux, qui avait servi tous les régimes, et du tsar, qui était un autocrate.
Jean Sévillia
(1) Histoire de la campagne de France. La chute de Napoléon, de Jean-Joël Brégeon, Perrin, 400 p., 21 €.
(2) 1814. Un tsar à Paris, de Marie-Pierre Rey, Flammarion, 332 p., 22 €.
https://www.jeansevillia.com/2015/04/11/de-napoleon-a-louis-xviii/