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« Pas de crise à l'Education nationale » (texte de 2017)

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Jean-François Chemain est professeur d'histoire. Dix ans en ZEP À a fois charismatique comme professeur et intuitif comme chercheur, développe une œuvre unique de réflexion sur notre histoire. Il nous montre ci que l’Éducation nationale est avant tout malade d'elle-même.

Entretien avec Jean-François Chemain

J'aurais voulu vous faire parler de la crise de l'éducation...

Il n'y a pas de crise de l’éducation en France aujourd'hui. L'éducation nationale telle qu'elle nous apparaît, c'est l'éducation telle qu’elle est dans notre pays et telle qu’on a toujours voulu qu'elle soit.

À quand faites-vous remonter ce « toujours » ?

C'est Napoléon qui crée l'Université en 1807; à cette époque, l'Université comporte les trois niveaux, primaire, secondaire et supérieur. Le but recherché est l'unification de la nation, en réalisant un véritable formatage de la jeunesse au service du régime. C'est l’époque aussi, vous savez, du Catéchisme impérial. La religion et l'empereur font bon ménage. Cerise sur le gâteau : c'est un curé défroqué, Pierre François Daunou qui est à l'origine des premières lois sur l'Université en 1795. Au XIXe siècle, l'Université est l'objet d'un bras de fer entre l'Église, traditionnellement responsable de l'éducation, et l'Etat, qui veut s'en saisir. En 1850, la Loi Falloux donne officiellement à l’Église une part importante dans l’éducation, au grand dam d'un Victor Hugo, dont le discours de janvier 1850 proclamait au contraire : « L’Église chez elle et l'État chez lui ». C'est contre la Loi Falloux que s'érigent les Républicains en exil, en particulier, sous le Second Empire, Jean Macé, créateur de la Ligue de l'enseignement en 1866. En 1871 il lance une pétition pour une instruction publique, gratuite, obligatoire et laïque. Dès l'annonce des résultats du plébiscite par lequel Louis Napoléon se fit reconnaître comme Empereur des Français, ce fervent républicain avait déclaré de façon révélatrice : « Avant d'instituer le Suffrage universel, il aurait fallu trente ans d'instruction obligatoire ». Cette instruction obligatoire sera le fer de lance de la IIIe République.

Quel sera le ciment de l'enseignement laïc ?

La loi d'abord. C'est Jules Ferry qui fait passer la loi sur l’enseignement « laïque et obligatoire ». Il s'agissait pour la République de s'emparer des positions que l'Église catholique occupait jusqu’alors expulsion : des congrégations religieuses non autorisées, retrait à l'enseignement privé de la collation des grades universitaires, remplacement de l'instruction religieuse par une instruction morale et civique, mise en tête des matières.

Vous parlez d'instruction morale autant que d'instruction civique ?

C'est un protestant libéral, Ferdinand Buisson, qui sera responsable de l'enseignement primaire de 1879 à 1896. Et il s'attachera à donner une morale aux petits Français. Pour lui, d'ailleurs, l'émotion religieuse est au cœur de l'homme, mais « entre Dieu et la conscience, nul ne peut intervenir ». La République doit mettre en œuvre les principes évangéliques, auquel Buisson se réfère lui-même explicitement, mais attention : sans Dieu et sans Église. Les principes évangéliques sont devenus fous. Il s'agit de donner le Christ en exemple, mais simplement parce que le Christ est un homme vertueux. En réalité, ce nouveau christianisme est un ersatz de religion civile, au cœur d'un nouvel augustinisme politique. La République, toute à son œuvre idéologique, est devenue véritablement une contre Église, elle s’est prise pour telle. Ferdinand Buisson exalte le « rôle de transsubstantiation » que devait avoir l'École, capable de former les jeunes à l'amour de la Patrie (n’oublions pas que c’est l’époque où, face à l’Allemagne, on exalte « la revanche » et capable d'enraciner la République, à travers une véritable religion républicaine. C'est ce que Buisson appelait « des citoyens unifiés », des chrétiens culturels sans Église et sans Dieu, des saints républicains.

Mais n'est-ce pas contradictoire d'enraciner la République, c'est-à-dire la liberté et de créer cette religion républicaine ?

Le goût de la liberté engendre spontanément, chez celui qui aime à s’exprimer, la capacité de raisonner avec logique, l’esprit critique et l'amour de la langue. Mais l'enseignement républicain n’est pas parti dans cette direction, comme en témoigne le fameux classement PISA, publié le 6 décembre 2016, qui place notre pays au 28e rang mondial, en matière d éducation, alors que nous étions encore au 10e rang, en l'an 2000, et cela malgré un immense investissement financier dans l’éducation qui est le premier budget de la nation. En 2012, Vincent Peillon, alors ministre de l'Éducation, avait pointé « des résultats inacceptables pour la France ». Il avait bien sûr promis de « tout faire ». Mais la qualité de l'enseignement n'en finit pas de dégringoler dans notre pays. Pourquoi ? Parce qu'au lieu de choisir la liberté, on a choisi de faire de l'École un véritable État dans l'État, une boîte noire, verrouillée à tous les niveaux, au fond une contre-Église et une secte.

Vous ne croyez pas l'Éducation nationale capable de se réformer ?

Il faudrait une circonstance extraordinaire ! Regarder le ministère de Robien. Voilà un homme qui a eu le courage d'annoncer qu’on allait renoncer à la méthode globale d'apprentissage de la lecture et revenir à la méthode syllabique. À l'entendre, c'était fait ! En réalité, c'est son propre directeur de cabinet qui a vidé le projet de loi de sa substance. Du coup, c'est comme la messe traditionnelle pour le Motu proprio : la méthode syllabique était autorisée, mais on était prié de rester discret sur ce chapitre. Quant à notre nouveau ministre, Jean-Michel Blanquer, sa force qui est aussi sa faiblesse est qu'il est issu du système.

L'Éducation nationale a aujourd'hui la mission d'intégrer des populations étrangères à la France et à son histoire. Quelle est votre expérience ?

J'ai raconté cette expérience dans un livre qui s'intitule Tarek, une chance pour la France. Comme prof d'histoire, j'ai eu des gamins issus de banlieue, qui n'aimaient pas la France, mais qui avaient soif d'aimer et qu’on leur donne à aimer. On parle des violences en banlieue. Je tiens que la mère de toutes les violences est celle que nous infligeons nous-mêmes à ces jeunes, en refusant d'étancher leur soif d'aimer, oui d'aimer ce pays qui est devenu le leur. C'est le cœur de mon expérience, comme prof en ZEP Pendant dix ans, j'ai vécu enseveli sous les témoignages des jeunes, qui sont les dealers et les caïds, mais qui me portaient aux nues. Ils sont extrêmement sensibles à ce que l'on peut leur transmettre de l'histoire de la France. Mes vraies difficultés ne venaient pas de mes élèves, mais du jugement de mes pairs. Ayant réussi l’agrégation d'histoire à 45 ans, pour opérer une reconversion, qui a divisé mon salaire par quatre, j'ai eu un premier bilan de l'IUFM, qui m'apprenait que « je n avais pas de capacité d'apprendre, que je ne me remettais pas en question et que je n’étais pas un bon républicain ». J'ai été ensuite victime de dénonciations politiques d'un site gauchiste, sous la plume d'un courageux anonyme il y a eu aussi des distributions de tracts contre moi en salle des profs. Bref le climat n'était pas très favorable. Mais ce qui a été décisif pour moi, c'est le point de vue pédagogique. D'après la Réforme des collèges, tous les profs dans une matière donnée devaient faire le même cours au même moment. Il s'agissait de nous faire marcher d'un même pas. On est allé jusqu'à nous demander d'intercroiser les corrections. Il n'y avait plus moyen de donner un enseignement différent. Lorsque j'ai été mis devant cette perspective, j'avoue que je me suis mis en disponibilité après dix années d’enseignement dans le secondaire. Aujourd'hui j'enseigne en école de commerce, en école de communication ou encore - bientôt - au séminaire d'Ars, c'est autre chose, j'avais sans doute besoin de voir autre chose.

Vous avez eu l'impression de subir un véritable blocage, de ne pas jouir de la liberté d'enseigner et donc de la liberté de penser ?

Assez parlé de mon cas. Regardez Lorant Deutz. Il venait parler de la France dans les Lycées. Il est aujourd'hui interdit de parole sur réquisition d'un syndicat mélenchoniste, sous le prétexte qui n’en est même pas un d'ailleurs, qu’ « un professeur n’est pas là pour transmettre à ses élèves l'amour de la France, mais pour transmettre l'esprit critique ». À l'Éducation nationale, on combat le roman national, mais attention pas le roman de la gauche. Ainsi, l'an dernier, au programme des troisièmes, vous aviez un thème général, l'Entre-deux guerres. Contenu du programme ? Trois chapitres seulement La fondation du Parti communiste, le Front populaire et Léon Blum. C'est ce qu'on appelle un programme de gauche.

Quel est votre diagnostic en tant qu'historien ?

Avec les clercs de l'Éducation nationale, on assiste à la revanche du Premier ordre, le clergé. On fait partie d'une caste et il faut le mériter sous peine d'hérésie, jusqu'à ce que l'on vous livre au bras séculier, comme dans l'ancienne Inquisition. Être un intellectuel de gauche doit être un pléonasme. Être un intellectuel de droite tient de l’oxymore.

Et l'avenir ?

Je suis optimiste devant la multiplication des tentatives pour créer des écoles indépendantes de ce système. On ne peut plus échapper à cette perspective. Du reste l'École hors contrat allège le budget de l'Éducation nationale. Je crois aussi que dans l'enseignement sous contrat, certains directeurs d'établissement font un travail formidable, Marc Bouchacourt chez les maristes à Lyon ou François Xavier Clément à saint Jean-de-Passy à Paris !

✍︎ Dernier ouvrage paru aux éditions du Rocher : Petit manuel des valeurs repères de la France, en collaboration avec Dimitri Casali, 2017

Propos recueillis par l'abbé Guillaume de Tanoüarn monde&vie 9 novembre 2017 n°947

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