Patrick Buisson crée l’événement en racontant « la grande histoire des guerres de Vendée », dans un album magnifiquement illustré, qui fait un superbe cadeau de Noël, tout en se présentant comme une petite bombe politique.
C’est une histoire matériellement bien connue pourtant que celle des guerres de Vendée, mais à propos de laquelle les historiens ont multiplié les approches sans parvenir à expliquer grand-chose. Comment un peuple essentiellement calme, vivant dans un bocage difficile d'accès a-t-il pu se soulever spontanément, les paysans allant chercher les nobles qui se cachaient pour ne pas être obligés de les commander ? Charles Maurras parlait d'une « contre-révolution spontanée ». Mais c'est un mot. Peut-on se contenter d'expliquer l'histoire d'un mot ? À l’époque, Bertrand Barère, lui, ne croit pas à la spontanéité de la contre-révolution. Devant la Convention, le 1er octobre 1793, il invoque un complot : « L'inexplicable Vendée existe encore et les efforts des Républicains ont été jusqu’à présent impuissants contre les brigandages et les complots des royalistes qu elle recèle ».
Inexplicable, la Vendée contre-révolutionnaire ? Patrick Buisson n'est pas complotiste comme le fut Barère. Il brave ce diagnostic provenant d'un terroriste qui est en même temps l'un des contemporains les plus au courant de l’ensemble du dossier. Après avoir rédigé un récit sobre et lumineux de cette guerre de Géants, après avoir convoqué à la barre de nombreux témoins des événements, appartenant aux deux camps, il propose sa conclusion, à lire absolument, sous le titre : La Guerre de Vendée est terminée. Si la guerre de Vendée est terminée, si les témoins sont morts, si les querelles entre témoins n’ont plus d'enjeux immédiats, alors on peut se hasarder à en faire l'histoire. Il s'y essaie.
En février 1793, les paysans vendéens se révoltent contre la Convention. Attention ! Ce ne sont pas des inconditionnels de la Monarchie. Les Cahiers de Doléance qui sont partis à Paris en 1789 pointent un certain nombre d'injustices ou d’abus, qui ont lieu dans le Bas-Poitou comme ailleurs. Ce sont avant tout des gens qui ont compris la modernité politique avant les autres, qui ont pressenti, en tout cas, quelle inhumanité engendrait une société d'athées, hostile à la liberté de leur culte. C'est leur foi chrétienne qui a réagi d'abord, insiste Patrick Buisson, face aux prêtres assermentés pour défendre les réfractaires, refusant la constitution civile du clergé. La foi est bien l'origine, l'identité spirituelle est le nœud du problème; pour eux, au nom de la foi, représentée par le fameux Sacré Cœur qu'ils portent sur la poitrine, la légitimité de l’État est en cause, même si, c'est vrai, le détonateur du conflit est plus immédiat. Refusant la levée en masse de 300 000 hommes, les Vendéens se désintéressent des guerres idéologiques qui sont engagées par la République et ils refusent que l'État se mêle de leurs affaires. Ce refus est énoncé de manière inconsciente, absolument vivante, non préméditée : les paysans n’avaient pas perçu immédiatement la prodigieuse puissance de l’Autorité publique, parce que, dans leurs bocages, ils sont loin des centres urbains et de toute organisation étatique. La Guerre de Vendée est une révolte de la France périphérique contre les grands centres urbains et en particulier contre Paris et la « Nation » idéologique. L'analogie avec notre époque est tentante, il faut le reconnaître.
Mais il y a une autre idéologie, autrement plus terrible, avec laquelle l'analogie est tentante. Dans sa préface, Philippe de Villiers raconte que Soljénitsyne, venu aux Lucs sur Boulogne, l'Oradour vendéen, l'avait compris la Vendée est le premier territoire dans lequel a été programmé un génocide d'État. Patrick Buisson reprend les démonstrations déjà anciennes de Reynald Sécher, il s'appuie sur le livre de Jacques Villemain et dans un album tout public, il lâche sa bombe peut-on encore parler des valeurs de la République quand la République est née dans le sang d'un génocide ? Les textes sont encore plus têtus que les faits, qui peuvent s'évaporer dans les mémoires. Buisson cite les textes de Robespierre, de Barère, de Carnot et de Turreau. C'est accablant. Alors que la République vient d'écraser la révolte des Vendéens à Savenay, alors qu'il n'y a plus aucune nécessité militaire, juste au nom de l'idéologie, on décide d'exterminer les Vendéens, alors que la plupart d'entre eux ont mis bas les armes, simplement pour les punir, parce que cette « engeance », cette race doit disparaître du monde nouveau où la République est reine, après avoir bu le sang du roi.
Le Régime républicain peut-il se remettre d'un tel péché originel ? L'instabilité politique du XIXe siècle montre bien qu'en France même, l'horreur républicaine n’a convaincu personne à cette époque. Les souvenirs de la Terreur sont trop cuisants pour une majorité de Français. Ce n'est pas seulement en Vendée que de tels principes ont été appliqués. À Lyon, devenue « Ville affranchie » après la répression montagnarde, on a compté les cadavres par dizaines de milliers, alors qu'un certain Fouché était représentant en mission. Ces représentants, qui ont littéralement écumé la France au nom de la Convention, Jean-Joël Brégeon et Gérard Guicheteau les appellent « les tyrannosaures de la République. » Ils leur consacrent un livre qui montre que la logique jacobine a partout été la même et qu'il y a eu d'autres Vendées en France sous la Terreur. C'est en Vendée que le système de dépopulation a été le plus loin, de la manière la plus systématique et la plus durable. En Vendée, le crime contre l'humanité est avéré. Il est presque parfait. Jusqu'à ces fumigations exterminatrices expérimentées à Nantes par Carrier et qui annonce étrangement le zyklon B !
✍︎ Patrick Buisson, La grande histoire des guerres de Vendée, éd. Perrin, 276 pages richement illustrées, 29 €.
✍︎ Jean-Joël Brégeon et Gérard Guicheteau, Les tyrannosaures de la République, éd du Rocher 196 p., 18 €.
Joël Prieur monde&vie 30 novembre 2017 n°948