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Réformer l'islam ? Jusqu'où ? (texte de 2018)

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Mohamed Louizi est un homme courageux, qui plaide pour une réforme radicale de l’islam. Il nous aide à réfléchir à cette question terrible de l’islam de France.

La modération, chez la plupart des imams français relève de la pose : c'est une posture plus ou moins crédible. Rares sont les imams qui ont pris à bras le corps la question de l'adaptation de l'islam, religion politique, religion sociale religion légale, à la société occidentale. En général, qu'ils aient l'honnêteté de le dire ou qu'ils ne l'aient pas, la plupart des imams tentent de faire évoluer la société occidentale pour l'islamiser lentement, comme l’a vu Michel Houellebecq dans Soumission.

Déjà dans la France de 2018, il y a des zones dans lesquelles le droit français n’est plus appliqué. Sous l’égide des grands frères et des imams de banlieue, ce sont d'autres règles qui font loi et qui imposent un costume, des coutumes alimentaires ou des heures de prière publique. Qui, me disais-je, quel imam a pris la question à bras le corps, en montrant ce qui, au sein même du texte sacré, dans son interprétation, allait permettre une véritable réforme de l'islam. J'ai trouvé plusieurs imams courageux, certains très spirituels comme Tarek Oubrou, l'imam de la Grande mosquée de Bordeaux. Mais cette spiritualité ne correspond en rien à une relecture des concepts fondamentaux de l'islam. Au contraire ! Pour lui, manifestement la charia reste l'idéal social islamique. Tout juste accepte-t-il l'idée de moratoire, comme autrefois Tarek Ramadan pour la lapidation des femmes adultères.

Tel n’est pas le parcours de Mohamed Louizi. Lui n'a que faire des moratoires. En 2016, cet universitaire, ingénieur en électricité, qui habite Tourcoing, écrit un ouvrage intitulé crânement Pourquoi j'ai quitté les frères musulmans (Michalon). Ce spécialiste de la radicalisation, qui anime le blog Écrire sans censure (auquel je vous renvoie) mène le combat pour une adaptation de l'islam à la société occidentale de deux manières d'abord, à travers son blog, il suit l'actualité politique. C'est ainsi qu'il a réagi au projet macronien de manière très forte. Ensuite, en particulier dans son dernier livre, qui va beaucoup plus loin que son titre Plaidoyer pour un islam apolitique, il propose des pistes pour une véritable réforme de l'islam, en faisant connaître les travaux théologiques de l'islamologue syrien Muhammed Shahrour (né en 1935) et ceux de l’Égyptien Mahmoud Mohamed Taha, tué par les islamistes de Hassan al Tourabi au Soudan en 1985

Réformer la religion

Son intuition de départ est qu'il faut revenir à l'islam de Mahomet. Il ajoute un détail capital : « en vérité l'islam du prophète et son esprit n’auraient presque jamais existé », tant il est vrai qu'immédiatement après la mort du Prophète en 632, ce sont ses successeurs, issus de la tribu syrienne des Koreichites, qui ont pris le pouvoir Abou Bakr d’abord, puis Omar, et Othman, lequel est à l’origine du Coran tel qu’on le trouve aujourd'hui. L'islam des Califes bien guidés a toujours été un islam essentiellement politique, guerrier et terroriste. Écrire un Plaidoyer pour un islam apolitique, cela signifie donc logiquement remonter au-delà des Califes et au-delà du texte du Coran dont nous disposons aujourd'hui. Mohamed Louizi propose de décomposer le texte saint de l'islam, en distinguant les propositions prophétiques, qui se réduisent à des formules philosophiques sur l'Unicité de Dieu (à quoi on peut ajouter l'absence de médiation entre les hommes et Dieu) d'une part et d autre part les propositions légales, qui, d'après Louizi, doivent pouvoir changer selon les époques. Il estime que l'histoire de l'islam est un tout et il ne distingue pas entre islam et islamisme, mais plutôt entre l'islam des Califes et un islam de Mahomet, qui, encore une fois, n'a jamais existé : « L'islam politique contemporain sous toutes ses représentations civiles et militaires est surtout l’expression de cet angle de dérive constaté sans difficulté entre un cap humaniste, initialement fixé par la prophétie muhamadienne et l’autre cap, totalitaire suivi DEPUIS SA MORT JUSQU'À NOS JOURS par le concert des califes et des rois ». - Mais direz-vous sans doute, Mahomet lui-même n’est-il pas un chef d'État, avec ce que cela signifie d’absolutisme politique ? Ne nous raconte-t-on pas comment il a tué des prisonniers, en particulier des juifs ? - Les hadiths et la Sîra (vie de Mohamed) sont des forgeries tardives (il les appelle « des contes religieux ») qui viennent des Califes. La figure du Prophète, affirme Louizi, n’est pas compatible avec les hadiths qui ont dû salir sa mémoire.

On mesure l’extrême fragilité de cette réforme, qui aboutit en fait à réduire le Coran à une recherche d'intellectuels autour de l'unicité de Dieu. Comment imposer cette lecture à ceux qui, au contraire, exaltent la dimension guerrière du Coran et ses versets colériques ? Mohamed Louizi ne nous le dit pas. Mais il manifeste avec sincérité la profondeur de la crise intellectuelle et spirituelle qui saisit en ce moment les musulmans honnêtes.

Mohamed Louizi contre l'islam de France

En tout cas, lui n’essaie pas de dire qu'un islam de France serait particulièrement capable de faire évoluer les valeurs de l'islam, comme certains s'en targuent. Dans la conclusion de son plaidoyer, il s’oppose à ce que l'on touche à la Loi de 1905, pour créer plus facilement un islam de France : « Le régime concordataire pourrait aider les musulmans [politiques] à se développer très vite aux frais de la Princesse c’est-à-dire aux frais de Marianne ». Pour lui, il est inquiet de cela, c’est l'idée qu’agitent en ce moment les conseillers du Président.

Attention, accrochez vos ceintures : « Le président veut aller vite, explique-t-il sur son blog. Gérald Darmanin, présenté comme petit-fils d'un musulman, son ministre des Comptes publics [mais apparemment pas que], lui murmure dans les oreilles que la période est propice », rapporte Le JDD car « il y a une accalmie sur le front du terrorisme » !

Autant travailler à un islam de France en une période où l'on ne fait pas exploser de bombes au nom d'Allah.

Le Président reste en deuxième ligne comme à son habitude : « Je ne dévoilerai une proposition que quand le travail sera abouti. Ma méthode pour progresser sur ce sujet, c'est d'avancer touche par touche ». Bref de mettre tout le monde devant le fait accompli. Parmi les maîtres d'oeuvre de la révision constitutionnelle qu'il prépare, il y a bien sûr, au premier rang, son premier ministre Edouard Philippe dont l'action à la mairie du Havre est inquiétante : « Lorsqu'il a reçu à la mairie du Havre un élu frère musulman marocain, Mohamed El-Bachir Abdellaoui, issu du parti islamiste PJD (Parti Justice et Développement), pour signer un protocole de jumelage entre Le Havre (un fief frérosalafiste et la ville de Tanger où cet islamiste occupe le poste de maire », on doit bien reconnaître que le premier Ministre n est pas clair. Il faut retenir aussi quelqu'un dont on entendra parler beaucoup cette année : Hakim El-Karoui, auteur d'un récent ouvrage au titre évocateur, L'islam une religion française : « Difficile de le lire note Louizi, sans être interpellé, à chaque chapitre par sa capacité à critiquer certains discours islamistes "et en même temps" à utiliser leur champ lexical et à promouvoir, inconsciemment, certaines de leurs propagandes, certaines de leurs solutions ». Ce franco-tunisien n'est pas islamiste pour autant. Il est beaucoup plus dangereux. S'il a l'oreille du président, c'est qu'il partage avec lui le privilège d'avoir fait partie du réseau franco-américain des Young leaders. Il a d'ailleurs créé lui-même un réseau franco-tunisien, les Young mediterranean leaders dont sont issus bon nombre des cadres de l'actuel gouvernement tunisien. Il est par ailleurs l'auteur d'une note de 26 pages, demeurée non publiée, mais qui circule de façon restreinte, sous la responsabilité de l'Institut Montaigne. Titre : L'islam français, le connaître, l'organiser. Deux mesures sont recommandées l'aggiornamento de la loi de 1905 et l’extension à l’ensemble du territoire d'un nouveau concordat. Commentaire de Louizi Parmi les mesures de détail, on trouve la nationalisation de tous les édifices cultuels construits depuis 1905 ce qui permettra à l'État de donner d'anciennes églises vides et de les transformer en mosquées ou en temple évangélique.

Pourquoi s’opposer au retour du Concordat ? Tout dépend de l'esprit dans lequel une telle structure sera mise en place. On lit dans le livre d'El-Kardaoui : « Le libéralisme de Macron devrait l'inciter à permettre à la société civile française et musulmane de gérer le culte, indépendamment du ministère de l'Intérieur et des États d'origine. » (p.257). Commentaire inquiétant de Louizi : « L’on sait que la "société civile française et musulmane" est noyautée par les islamistes depuis plus de trente ans. L’on sait aussi que bien des aspects et des effets d'un certain libéralisme, dans sa version dévoyée, radicalisée et sauvage, dans les dimensions sociales, économiques et financières de cette version, favorisent l'implantation chronique de l'islamisme type Frères musulmans, dans tous ces territoires perdus de la République ».

En réalité, l'article 2 de la Loi de 1905 n’est plus appliqué d’ores et déjà. Il ne convient pas à ceux qui se nomment les musulmans de France. Il stipule en effet que « La République ne reconnaît, ne subventionne et ne salarie aucun culte ». Passer au Concordat, cela signifie pour les musulmans être reconnus comme une religion de l'État français), être subventionné (c'est déjà le cas) et être salarié. Le risque est grand, par ce truchement, d'une islamisation des structures publiques. Ne vaut-il pas mieux, à tout prendre, la séparation de l'islam et de l'État, sachant qu'en ce domaine il n'y a pas de bonne solution.

Alain Hasso monde&vie 8 mars 2018 n°952

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