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Ingrid Riocreux Comment les médias jouent avec nos peurs (2019)

 

Ingrid Riocreux est spécialiste de la « langue des médias » L’expression a donné son titre à son premier ouvrage chez L’Artilleur. Un second ouvrage, dans la même veine, s’intitule Les marchands de nouvelles. Cette grammairienne n’a pas son pareil pour débusquer les peurs qui se cachent dans la langue. Voyez plutôt. 

Propos recueillis par l’abbé G de Tanoüarn

La peur devient un sentiment que l’on ne cache plus et même dont il est de bon ton de faire étalage médiatique.

D'emblée, je vais nuancer votre propos. Il y a des peurs illégitimes, dans notre monde façonné par le langage médiatique. Avez-vous vu comment on a parlé des gens qui ont manifesté contre la PMA, le 6 octobre ? Ce sont des gens qui « sont dans le fantasme » qui « ont peur du progrès ».

Leurs inquiétudes, pourtant éminemment fondées sont officiellement condamnées comme illégitimes. Pensez aussi aux « phobies » : « islamophobe » « homophobe » etc. Initialement, une phobie ne désigne pas une haine mais une peur a caractère pathologique, une espèce de peur réflexe irrationnelle, née dans l’inconscient du sujet et dont il serait possible de le guérir par une thérapie d ordre psychique Les mots en « phobes » qui fleurissent dans le discours médiatique, sont des mots de militants, permettant de faire avancer une cause en discréditant abusivement ses adversaires. Pourtant, ils sont utilisés comme des termes objectifs, à la fois culpabilisants et, pourrait-on dire, pathologisants. Vous n’êtes pas méchant, vous êtes seulement malade; et les médias peuvent vous guérir en vous faisant renouer avec la rationalité. C’est l’objectif apparent de toutes les émissions de décryptage ou décodage, qui bien sûr, se fixent bien moins pour but de rétablir la vérité que d’établir une petite vérité du moment, la doxa officielle nécessaire a la concorde publique dans un contexte donné. Et à l’avancée du progrès, ce qui relève pleinement de la croyance la plus irrationnelle, gros paradoxe !

Mais dans certains domaines il est de bon ton de faire médiatiquement étalage de la peur ?

Certaines peurs, effectivement, sont légitimées, attisées, au point qu’il devient coupable de ne pas les éprouver. Un exemple à titre personnel, je suis triste que la banquise fonde, je ne suis pas insensible aux effets néfastes de la pollution, d’autant que nous en sommes tous victimes. Oui, dans une certaine mesure, cela m’inspire de la révolte. Mais il y a des choses qui suscitent en moi bien plus de peur que le changement climatique, je l’avoue. Et il faut reconnaitre que le seul fait de dire cela devient de plus en plus mal vu. La réception collective de cette opinion un peu distanciée, un peu sceptique, est négative or toute réception collective est, dans notre monde façonnée par les médias. Parfois de manière directe, comme c’est le cas avec les questions climatiques. Parfois par réaction, par overdose, et donc par rejet de la pensée médiatique imposée. Si je peux me permettre un mot en tant que professeur de lycée…

Lâchez-vous.

Cette année, dans chaque classe de lycée, a été élu, en plus des délégués des élèves, un « éco-délégué ». C’est lui qui juge s’il est nécessaire d’allumer tous les néons de la salle, si on fait trop de photocopies, etc. Je trouve qu il y a quelque chose de totalitaire à désigner ainsi, au sein des classes, des élèves chargés de surveiller leurs camarades et les professeurs. Cette disposition est censée nous rassurer face au phénomène terrifiant du changement climatique. Mais moi, cela me fait plutôt peur.

Sur ces questions climatiques, il ne s’agit pas seulement de prophéties scientifiques émanant de groupe comme le GIEC. Il y a une volonté de créer une évidence mondiale. On a fabriqué Greta Cassandre...

Avez-vous entendu comment Greta Thunberg s’adresse au « monde des adultes » ? « Je ne veux pas de votre espoir. Je veux que vous paniquiez. Je veux que vous ressentiez la peur que je ressens tous les jours ». Elle profère une parole dont le but avoué est d’engendrer la peur, par une espèce de force magique. Elle nous ordonne d’avoir peur. On se croirait dans Astérix et les Normands : « Aie peur ! » (rire). Et les médias relaient ce discours sans l’analyser, sans distance et même, disons-le, avec une complaisance abêtissante. Ils contribuent à anesthésier notre raison au profit d’une tétanisation émotionnelle qui interdit désormais de parler de “débat scientifique” quand bien même on serait totalement convaincu par la thèse d’un réchauffement d’origine anthropique et fatalement irréversible !

Que pensez-vous de la stratégie médiatique de groupes comme « Extinction Rébellion » ?

On évalue en général à 5 % le nombre de manifestations dans l’espace public donnant lieu a un traitement médiatique. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce traitement n’est en rien proportionnel au nombre de personnes impliquées. Il est guidé par des critères tels que le caractère spectaculaire de l’action et son opportunité idéologique : est-ce en prise avec une actualité chaude ? Mais aussi de qui faisons-nous le jeu en accordant du temps d’antenne à ces gens ? Des mouvements comme Extinction Rébellion ont beau être groupusculaires et se donner des airs subversifs, en réalité, ils sont certains de bénéficier d'un traitement médiatique extrêmement complaisant, précisément pour les raisons que je viens d’indiquer.

Autre forme de peur, plus difficile a avouer : la peur liée au caractère multiculturel de la société d’aujourd’hui qui rend les médias tellement prudents dans l’affichage d’un acte terroriste. Cette fois on a affaire a une précision de vocabulaire, qui dénote un refus a priori de toute dramatisation…

On est en plein dedans ! On a peur des terroristes ? vite, on fait des reportages sur « comment anticiper le passage à l’acte ? », « quels signes doivent nous alerter ? » Mais quand les gens se mettent a traquer ces signes : vite, on pond des sujets sur « comment lutter contre l’islamophobie ? » Et on voit ressurgir des refrains grotesques tels que « On craint uniquement ce qu’on connait mal » ou « la peur plonge ses racines dans nos préjugés racistes et européocentrés ». Nous nous retrouvons pris en étau entre deux peurs, nourries par les mêmes médias. Celle du terrorisme d’abord, qui est une peur légitime, motivée par le caractère parfaitement objectif des tueries commises au nom de celle de l’islamophobie, une peur de la peur, en quelque sorte. Une peur de cette peur qui engendre la haine, pourrait-on dire. Mais pour le commun des mortels, qui ne se fait pas des noeuds au cerveau au point de peupler ses cauchemars de néo-nazis persécuteurs de musulmans, cette seconde peur demeure une affaire de journalistes. Il y a des choses qu’on n’a pas le droit de dire mais cela n’empêche pas de les penser. Cela donne les fameuses phrases en « je ne suis pas islamophobe mais ». Il faut avoir le courage d’un Alain Finkielkraut pour affirmer qu’« avoir peur de l’islam, c’est la moindre des choses »

L’emploi par le président de l’expression l’« hydre islamiste » constitue-t-il un signal, qui permet de nommer l’ennemi ?

À partir du moment où l’on emploie le mot « islamiste » on a choisi de ne pas nommer l’ennemi. Parce que l’hydre, le monstre aux mille têtes, en vérité, c’est l’islam, dont certains visages sont moins inquiétants et d’ailleurs, objectivement moins dangereux que d’autres. Mais arrêtons-nous sur le terme d’« hydre » : c’est un animal mythologique, donc un être qui n’existe pas. On a affaire à une image, une métaphore à fonction hyperbolique donc tout sauf la manifestation concrète d’une volonté de nommer objectivement les choses. Et puis, je me permets de poser la question Emmanuel Macron ne travaille-t-il pas sa propre image quand il choisit cette référence ? Qui, dans la mythologie antique, osa s’attaquer à l’hydre ? C’est Hercule. Macron se présente en nouvel Hercule, reprenant une tradition très répandue chez les chefs d’États dans l’Antiquité.

Quels sont les procédés qui cachent et qui manifestent l’insécurité culturelle ?

Je me suis particulièrement intéressée à ce que j’appelle « la thèse de l’individu déviant ». Pour invalider la peur qu’éprouvent les gens face à telle ou telle catégorie de personnes, on interdit « l’amalgame » c’est bien connu. Mais on ne s’en tient pas la, on va s’acharner à démontrer le caractère absolument exceptionnel du cas violent. Nous le savons, un terroriste est, avant tout, un « déséquilibré » n’est-ce pas ? Peu importe si personne n’est capable de définir ce terme qui ne relève en rien de la rigueur médicale, bien qu’on lui confère sans vergogne cette autorité. Il n’y a pas si longtemps, je me suis penchée sur le traitement des attaques de loups et de requins. Quel rapport avec notre discussion me direz-vous ? Eh bien. j’ai pu montrer que les médias appliquent les mêmes procédés d’exonération de la communauté par singularisation du fautif. Pour les attaques de requins, Le Monde a récemment titré sur « inutilité des campagnes punitives » - comme si quelqu’un avait jamais pensé « punir » les requins ! (rire) - et on nous expliquait, dans l’article, que les attaques n’étaient pas liées a la densité des populations de requins mais au comportement de quelques « individus déviants ». Vous vous rendez compte ? Un requin qui vous arrache une jambe n’est pas un carnivore qui à faim. C’est un « individu déviant » ! Pareil avec les loups. C’est à tort qu’on leur fait une mauvaise réputation parait-il : et on déconstruit toutes nos peurs comme s’il s’agissait de fantasmes infondés. Le loup aurait été accusé à tort d’attaques perpétrées par d’autres animaux ou bien même; derrière les loups dévorant des petits enfants se cacheraient d’obscures histoires de pédophilies impliquant des hommes à la robe aussi noire que le pelage de cet animal. Et voila le loup réhabilité au détriment des pauvres curés, forcément pédophiles, comme chacun sait. Cette déconstruction des peurs est un jeu dangereux. Un éleveur de moutons interrogé récemment par le magazine Causeur faisait remarquer à très juste titre : « on veut réintroduire le loup partout, on nous raconte qu'il n’a jamais été dangereux pour l’homme. Mais le jour ou un loup tuera un enfant ce qui ne manquera pas a arriver toutes nos frayeurs ancestrales ressurgiront ». Et notre bon sens avec, pourrait-on ajouter; dommage qu’il faille pour cela, un pareil drame. 

monde&vie 24 octobre 2019 n°977

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