Lorsqu’il monte sur le trône, le 10 mai 1774, Louis-Auguste de Bourbon a 21 ans. Devenu roi de France sous le nom de Louis XVI, rien n’avait préparé ce cadet de la maison de Bourbon à assumer cette lourde charge. Erudit, le nouveau souverain va pourtant surprendre son entourage et montrer le visage d’un monarque épris de réformes, loin d’être le « benêt tyrannique » décrit par les révolutionnaires et de cette image caricaturale qui lui colle toujours à la peau. Le 21 janvier 1793, en guillotinant ce descendant d’Henri IV, la France n’a jamais su faire le deuil de ce régicide qui continue encore de la hanter au plus profond de son subconscient. Retour sur un des monarques de France le plus révolutionnaire qui soit.
Lors de son bal de mariage avec Marie-Antoinette d’Autriche (mai 1770), les festivités sont endeuillées par un incendie provoqué par un feu d’artifice. Apprenant qu’il y’a plus d’une centaine de morts, le jeune dauphin écrit alors au lieutenant de police sa préoccupation du sort des familles endeuillées par la perte de leurs proches : « J'ai appris les malheurs arrivés à mon occasion ; j'en suis pénétré. On m'apporte en ce moment ce que le Roi me donne tous les mois pour mes menus plaisirs. Je ne puis disposer que de cela. Je vous l'envoie : secourez les plus malheureux. ». Et de verser plus de 6000 livres sur sa cassette personnelle pour aider à l’infortune de ses futurs sujets. Louis XVI n’a alors que 16 ans et démontre déjà ses capacités de chef d’état alors que rien ne l’a préparé à cette charge qui bientôt va peser sur ses épaules. Le roi de France a toujours été un vrai bourreau de travail. Et si certes la chasse reste une passion commune à toute l’aristocratie française et qu’il partage volontiers, il passe aussi de longues heures dans son cabinet. Toute l’administration de son royaume ne cesse de défiler devant lui et il prend soin de lire tous les rapports qui lui sont donnés quand il ne correspond pas avec ses pairs. Dès les premiers jours de règne (1774), il réduit considérablement et drastiquement le train de vie trop dispendieux de la cour (ce même train de vie qui donnera à la reine Marie-Antoinette, le sobriquet de « Madame déficit » et qui fera dire au futur Charles X, que son frère n’est qu’un « avare », nécessitant des avertissements secs du monarque), celui du personnel en livrée et de sa garde dont il supprime les frais de bouche. Une décision qui ne sera pas sans irriter cette noblesse qui habite en permanence Versailles quand elle ne loue pas à ses frais les appartements disponibles dans la ville qui s’est greffée autour du château. Conscient de la pauvreté qui règne à Paris, Louis XVI fait sortir du trésor royal plus de 100 000 livres et ordonne que la somme soit répartie équitablement entre les plus démunis de la future capitale.
Dans la foulée, il signe un décret de suppression d’un impôt dont chaque français devait s’acquitter lors de la montée au trône des souverains appelé lyriquement le « don de joyeux avènement ». Monarque absolu de droit divin, il s’entoure néanmoins d’un conseil réduit et remet au goût du jour la charge de principal ministre d’état qu’il consulte régulièrement. Jusqu’en 1791, 7 hommes se succéderont à ce poste, occupé par deux fois par un certain Jacques Necker. Rien d’innovant en soi cependant quand on sait que les rois Bourbons se sont toujours entourés de divers conseillers à travers leurs règnes afin de prendre leurs avis indispensables à la bonne marche des affaires de l’état. Y compris Louis XIV, roi-soleil, qui aura eu de son vivant la réputation d’avoir associé à sa couronne des ministres compétents qui vont consolider les bases de cette monarchie dont a hérité Louis XVI. Le roi fait même preuve d’une certaine indépendance, refusant de céder aux injonctions de son épouse qui lui suggère quelques noms de disgraciés qui rêvent de faire leur retour à la cour, de ses frères qui le pressent de nommer un tel ou un tel.. Louis XVI se veut un souverain éclairé, lit les ouvrages de ces « messieurs les philosophes » et organise lui-même des expéditions maritimes (celle de La Pérouse entre 1785 et 1788 reste la plus célèbre), prélude à l’apogée de notre aventure coloniale.
Si certaines mesures trop libérales décidées par Turgot, son ministre des Finances de 1774 à 1776, mènent à des émeutes (guerre des farines) et l’agacement des princes de Sang qui spéculent sur le prix du blé, Louis XVI redonne aux parlements provinciaux, leurs pouvoirs de décision. Des pouvoirs dont Louis XV avait tenté de se débarrasser. Le roi est alors au sommet de sa popularité. Il projette même d’abolir les corvées et d’assujettir aux impôts territoriaux, la noblesse et le clergé tout en se souciant du sort des curés de campagnes qui peinent à vivre. Ces réformes égalitaristes à venir effraient la noblesse qui envoie des lettres de remontrances au souverain et qui obtiendra finalement le renvoi de Turgot (1776). Un geste que le clairvoyant Louis XVI finira par regretter amèrement en ces termes lorsque le successeur de Necker s’empressera de rétablir les impôts tant décriés : «Je crois que nous nous sommes encore trompés » déclare t-il agacé. Et Jean Étienne Bernard Ogier de Clugny, baron de Nuits, de faire un passage des plus éclairs à la tête du ministère ! L’arrivée de Jacques Necker aux finances (1777 à 1781 et 1788 à 1789) s’accompagnera de nouvelles réformes « révolutionnaires » et redonne une nouvelle vigueur à la monarchie française. Bien avant la nuit du 4 août qui abolira les privilèges grâce au vote des monarchiens (partisans à l'Assemblée constituante d'une monarchie constitutionnelle fondée sur le modèle britannique) Louis XVI décide lui-même d’abolir le servage sur tous les domaines royaux. Mortaillables et Taillables ne seront plus corvéables, allégeant de facto les impôts de ses sujets. Un sujet qui préoccupe le roi qui en a fait son crédo. Toutefois, il échoue à mettre en place des municipalités, sortes d’assemblées consultatives de propriétaires, qui auraient été chargées d’émettre des vœux afin que le roi puisse s’en inspirer dans des domaines divers comme l’économie qui reste un de ses « dadas ». La noblesse résiste toujours et pire lorsque Necker publie un « compte rendu du roi « qui est un véritable audit de la monarchie, l’aristocratie pousse Louis XVI à le renvoyer en mai 1781. Des milliers de copies de ce document vont circuler en France, le premier dit « transparent » de la monarchie capétienne. C’est inédit pour les français qui découvrent les dépenses de la cour.
Le gouvernement de Charles-Alexandre de Calonnes (1783-1787) sera tout aussi surprenant en tentatives de réformes (notamment sur le projet d’un « impôt pour tous ») que celui-ci arrive à maintenir la prospérité du royaume. Jamais argent et affairisme ne furent souverains que durant cette période. Rénovation des ports qui permet l’accroissement de l’activité commerciale, assainissement des villes de Lyon et Bordeaux, multiplication des manufactures, la France rayonne industriellement sous le règne de Louis XVI. Mais une nouvelle fois, le roi doit faire face à la colère des parlements soucieux de leurs indépendances. Un bras de fer s’engage alors avec le souverain qui menacera la stabilité politique du royaume et qui trouvera son point d’orgue avec le renvoi de Calonne en 1787 puis à la convocation des états généraux en mai 1789. La suite est un enchaînement d’événements connus qui mèneront la monarchie française à sa perte, pourtant auréolée d’une gloire sur les champs de bataille de la jeune république des Etats-Unis d’Amérique. Une guerre pour laquelle la France s’enthousiasme quel que soit sa couche sociale. D’un point de vue religieux, Louis XVI veut faire oublier le triste épisode des dragonnades. Il rétablit dans leurs droits les protestants (édit de tolérance de Versailles en 1787) qui retrouvent autant leur liberté de culte que leur état civil. Les juifs ne sont pas oubliés et obtiennent enfin leur reconnaissance comme sujets du roi à part entière (confirmée par décret royal en novembre 1791 ou encore les musulmans qui auront la permission de « jouir de droits politiques), sans distinctions (en dépit quelques oppositions notables). En 1776, il prend un premier édit interdisant l’esclavage sur tout le territoire, bien avant que la première république ne vote l’abolition officielle de l’esclavage dans les colonies d’Outre-mer et qui ne sera définitive qu’en 1848. Le volet sexuel n’est pas oublié et le monarque innove. En 1791, Louis XVI fait voter un décret abrogeant le crime « dit de sodomie ». Il est vrai que le roi avait interdit toute exécution de personnes coupables du « vice italien » dès son avènement (la dernière exécution du genre remontant à …1750). « Bourbon gay-friendly », il ne supporte pas la torture et l’a fait interdire, fait vider la Bastille de ses prisonniers et ordonne la destruction du bâtiment mlitaire. Lors de la prise de la forteresse, le 14 juillet 1789, les révolutionnaires déchanteront en trouvant à peine 7 personnes emprisonnées dans les murs supposés de l'arbitraire.
Lors de la fête de la Fédération (1790), nul ne songe réellement au renversement de Louis XVI qui incarne la nation réconciliée entre ses institutions et son peuple. « Dites à vos concitoyens que le roi est leur père, leur frère, leur ami, qu'il ne peut être heureux que de leur bonheur, grand que de leur gloire, puissant que de leur liberté, souffrant que de leurs maux » dit Louis XVI aux gardes Fédérés qui lui répondent par un vibrant « Vive le roi ». Ironie de l’Histoire, c’est cette date qui a été retenue pour être la fête officielle de la République. Jusqu’au procès du roi qui suit la chute de la monarchie en août 1792, qui dérange les français mortifiés au verdict et dont les campagnes ne vont pas tarder à s’embraser, il serait bien de mauvaise foi historique de dire que le roi Louis XVI fut impopulaire ou tyrannique. Une image répandue par les opposants de la monarchie qui vont même jusqu’à tenter de le faire passer pour un personnage falot alors que celui-ci était doté d’une forte instruction et curieux de toutes les choses modernes de son époque. Rien ne fut plus que vrai pour Louis XVI, roi-martyr, victime innocente de la vindicte revancharde révolutionnaire et qu’un tribunal condamna à mort …d’une très courte majorité. . «J’aimais la vertu, la justice. Votre bonheur fut mon unique objet, Et vous me traînez au supplice ! » chantaient encore les parisiens à la veille d’un régicide dont la France n’a toujours pas fait le deuil, 228 ans plus tard.
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