C’est l’histoire d’une crise sanitaire qui sert de miroir aux tares politiques du système français. Voilà un véritable virus, pas seulement saisonnier : la paralysie de l’État et si la paralysie administrative cachait un mal plus profond : la paralysie politique… qui pourrait bien servir d’in pace à la Ve république.
Pour qui tente de réfléchir à ce qui vient de nous arriver, la crise du Covid-19, les interprétations proposées semblent contradictoires. Chaque courant ou sensibilité veut montrer qu’il a raison en plaquant sa grille de lecture sur les événements. Il suffit de parcourir la presse ou les réseaux sociaux pour avoir une idée de cette jungle conceptuelle. Pour les libéraux, la crise est la preuve de l’efficacité du marché.
Pour les communistes et autres anticapitalistes c’est la preuve des failles du marché. Pour les souverainistes, c’est le danger de l’ouverture des frontières. Pour les libéraux, c’est un signe de vitalité de l’initiative privée face à des pouvoirs publics défaillants. Pour les mondialistes, c’est la preuve qu’aucun pays ne peut s’en sortir tout seul. Pour les monarchistes, c'est la faillite (encore une) de la République. Pour les féministes, c’est l’impasse d’une société patriarcale. Etc. Le prurit de commentaires donne mal à la tête.
Crise sans récit ? Il y a une évidence dans ce scandale sanitaire : tout le monde s’est trompé. Prenons deux exemples de prophéties non réalisées. Pour les climato-sceptiques, la prochaine catastrophe devait être écologique. Peine perdue, la crise sanitaire ne révèle aucune perturbation particulière de notre environnement : l’épidémie n’est pas imputable à une quelconque pollution. Le seul couac dans la chaine écologique miraculeusement intacte, c’est ce pauvre pangolin qui n’aurait jamais dû être mangé ! Les marcheurs pour le climat ne pourront même pas rééditer leur exploit pour respecter les gestes barrières... Quant aux identitaires, ils attendaient un affrontement ethnique sur fond d’invasions de nos territoires. Et justement, on a pu constater que certains Nord-africains, effrayés par la contagion potentielle, ont cherché a rejoindre leur pays d origine... Une remigration inattendue de ceux qui en sont les promoteurs !
La multiplication des manifestes invitant à repenser « le monde d’après » est tout aussi paradoxale. Même les stars, tout en étant confinées, s’y mettent. Comme l’actrice Marion Cotillard qui cosigne une tribune mettant en cause le consumérisme, alors qu’il y a peu, elle est devenue l’égérie beauté de la maison Chanel... La foire aux bons sentiments a toujours quelque chose de pathétique.
L’effondrement du macronisme
En France, la crise du Covid-19 révèle d’abord les défauts du macronisme. Vous savez, ce discours politique indigeste qui assume explicitement la gestion technocratique du pays ce qui se fait depuis plus de 30 ans en France) et le remplacement des deux partis dominants (LR et le PS) par un parti unique, d’extrême-centre. La gestion technocratique, un idéal ? En temps de crise, elle est encore plus calamiteuse que quand tout va bien. Le cafouillage sur les masques (« on n’en a pas », « cela ne protège pas », « ce n’est pas obligatoire », puis c’est « nécessaire » et même « impératif », dans les transports ou non…) pourrait faire rire dans un autre contexte. Il révèle derrière l’absence de doctrine sanitaire, l’absence de vision, même sommaire, des autorités françaises. La « pensée complexe » dont se targuent certains élus LREM, n’a pas été capable d’anticiper. Les mesures n‘ont été prises que sous le poids des circonstances : interdiction des réunions publiques, puis de sortir de son domicile avant la fermeture des frontières. La confusion sur les mesures de déconfinement marquée par des flops et des rétropédalages a eu un résultat : provoquer une crise au sommet en attisant le conflit entre Emmanuel Macron et Edouard Philippe. La majorité devient sa propre opposition ! Signe de faillite politique. Enfin, avec l'appel à un « été apprenant » du président, LREM sombre dans la niaiserie incantatoire. Résultat : Macron est l’un des chefs politiques européens les moins populaires (34 % de cote de popularité dans une enquête Elabe du 7 mai dernier). Chez nos voisins, la crise a profité au Premier ministre Boris Johnson (61 % des Anglais approuvent son action) à la chancelière Angela Merkel (62 % d’Allemands satisfaits de son travail dans la crise) ou au président du conseil italien Giuseppe Conte (71 % d’opinions favorables fin avril). En France, le Covid-19 est une étape supplémentaire dans la dégringolade du Parti au pouvoir qui a cours depuis l’affaire des Gilets jaunes, l’affaire Benalla et les grèves paralysantes. Dans la présente crise, ce sont les mêmes logiciels uses et obsolètes, qui sont utilisés : toujours la tolérance à l’égard des banlieues. Pas question de fliquer les racailles pour ne pas voir les cités s’embraser. L’amende de 135 euros, c’est bon pour les quartiers bourgeois, dans lesquels rien ne bouge. Ce chapelet de crises successives et maintenant le manque de réactivité et le manque d’imagination de l’équipe au pouvoir aurait di ouvrir un boulevard pour les anti-Macron. Il ne faut pas se faire d’illusion : le « nouveau monde » est médiocre, il apparait sans alternative concrète. Il n'y a pas d’équipe politique de rechange.
Un système sans opposants
À droite comme à gauche, il n’y a pas de chef. Ni Christian Jacob, le président sympathique mais faible des Républicains, ni Olivier Faure, le patron du PS, ne sont en mesure de rassembler les électeurs. Les anciennes figures tutélaires sont en retrait (Hollande ou Sarkozy) et savent que leur retour au premier plan est risqué. Les partis semblent avoir intériorisé cette absence de leadership en se recroquevillant sur leurs élus. Quel leader a droite ? Sarkozy ? Carbonisé. Fillon ? Impensable. Baroin ? Il est sympathique et souriant, façon gendre idéal, mais il a une réputation bien établie de fumiste.Il resterait Bruno Retailleau, le patron des sénateurs LR ? Intelligent, il n'a pas osé se lancer à la conquête de LR quand Wauquiez était caramélisé en juin 2019 à la suite de calamiteuses élections européennes. Guillaume Peltier ? Depuis son départ du FN dans les années 1990, il ne cesse de pencher encore plus à gauche et évolue vers un « green deal » (la version écolo du New deal).
Quant a la gauche, c’est morne plaine. Hidalgo en 2022 ? Pas impossible, mais comment parler à tous les Français depuis la place de l’Hotel-de-Ville ? Sur le fond, les discours politiques restent contradictoires. S’ils sont heureux de voir les frontières fermées, les leaders LR sont quand même gênés. Car cela fait fuir les touristes et nuit aux Français de l’étranger dont certains sont de vrais globe-trotters. Business is business. La forte dépendance à certaines clientèles électorales aboutit à brouiller les messages. Quant au PS, il est discret. Faut-il rappeler que la plupart des députés socialistes doivent leur élection aux dernières législatives au fait qu’ils n’avaient pas de candidat LREM contre eux ? L’« ancien monde » n’attire plus, malgré l’incompétence avérée du “nouveau” dans la gestion d’une crise.
Et les Insoumis ? Mélenchon est un leader incapable de trancher entre les différentes tendances de ses députés, entre ceux qui veulent renouer avec la France populaire - forcément blanche - et ceux, comme Francois Rufin et les indigénistes, pour qui la crise du Covid-19 exige d’agir en faveur des minorités. Comment Mélenchon espère-t-il diriger un pays quand il a déjà du mal a gérer son propre groupe parlementaire ?
Le RN aux abonnes absents...
Quant au RN, c’est pire : le parti de Marine Le Pen est incapable de surfer sur les événements, dont beaucoup auraient dû lui être favorables. Même schéma qu’en 2016, à la veille de la présidentielle : le RN ne sait pas tirer profit de la situation. En effet, après les attentats islamistes de 2015, avec la montée du communautarisme. le FN était promis a 30 %. Or le 23 avril 2017, au premier tour de la Présidentielle, Marine Le Pen se retrouve derrière Macron pour finalement être battue au second tour après sa prestation calamiteuse du duel télévisé. Dans cette crise, les sujets apparemment favorables au RN ne manquent pourtant pas : origine étrangère du virus, fermeture et contrôle des frontières, relocalisation de la production, absence de l'Union européenne... Curieusement, quand on parle de « produire français », c'est davantage à des hommes politiques du système comme Arnaud Montebourg que l’on songe. Même à l’égard de son coeur de cible, le RN n’est pas prescripteur des thématiques identitaires ou souverainistes qui se manifestent dans le débat de la crise. On est loin des gros programmes et des études détaillées que le FN pouvait produire dans les années 1990 sur la souveraineté économique de notre cher pays. Même LR, en particulier à travers Julien Aubert, a réussi à proposer des solutions alternatives pour la crise du Covid-19. Aujourd’hui, on ne voit aucune proposition saillante de la part du RN. Faut-il rappeler qu’en 2001 le FN avait proposé dans son programme politique de « rétablir le contrôle sanitaire frontalier » et de subordonner l’octroi des visas pour les ressortissants de pays ou sévissent les épidémies à un « examen médical systématique » (Pour un avenir Français. Le programme du gouvernement du Front national, éditions Godefroy de Bouillon, juin 2001 p. 381-382) ? C’est dans le texte le RN s’est gardé de mettre en avant ces preuves incontestables de la clairvoyance du FN...
Cette absence de leadership qui se manifeste dans tous les partis du paysage politique pourrait aboutir a une véritable paralysie de la V° République. Une crise non de fonctionnement - les pouvoirs publics ont pu prendre des décisions pendant ces deux mois de confinement -, mais de personnalités et de direction, de sens. Les institutions de la Constitution de 1958 ont été conçues pour un présidentiable. Or nous vivons un régime politique sans carrure présidentielle. On disait naguère que la République était la femme sans tête. Elle est désormais la femme sans direction. La femme égarée, obligée d’accueillir le premier « sauveur » venu.
PHOTO : Parmi les présidentiables, lequel de Francois, Baroin, Anne Hidalgo, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen (inaudible, surement à cause du masque...) ou Bruno Retailleau saura tirer parti de l’épidémie ?
François Hoffman Monde&Vie 29 mai 2020 n° 986