“Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde”. Cette phrase devenue célèbre de Camus s’applique amplement au triste débat engagé sur le “séparatisme” à l’Assemblée. Camus entendait d’abord dénoncer le mensonge, celui qui par les mots tend à voiler la réalité, celui qui par le travestissement du langage veut modifier l’apparence des choses et des faits. “Le projet de loi visant à lutter contre le séparatisme et les atteintes à la citoyenneté, à apporter des réponses au repli communautaire et au développement de l’islamisme radical, en renforçant le respect des principes républicains et en modifiant les lois sur les cultes” est un bel exemple de mensonge institutionnel.
Le mot “séparatisme”, François Hollande l’avait découvert tardivement, à la manière du Colonel Nicholson dans le Pont de la rivière Kwaï, voyant surgir la catastrophe que son action, et en l’occurrence, celle de son parti, avaient longuement préparée. Ce mot avait la force de l’illumination. Oui, il y a parmi les “citoyens” français, parmi les gens qui possèdent une carte d’identité nationale, des individus qui se sentent si peu français qu’ils obéissent à des règles de comportement contraires aux lois et aux moeurs de notre pays, qu’ils affichent de manière provocante leur “identité”, soumettent à leurs principes ceux qui vivent dans les quartiers où ils sont nombreux, et enfin en arrivent pour certains à faire la guerre, au nom de leur foi, dans le monde et en France, contre la nation qui les a accueillis. Au sein de la communauté nationale, apparaît une autre communauté, dissidente jusqu’à devenir hostile. Ce constat n’est pas mince, puisqu’il prélude souvent à la guerre civile.
Le premier mensonge a consisté à placer le mot “séparatisme” au second rang pour se blottir dans le brouillard confortable du politiquement correct. Désormais, la loi contre le séparatisme s’appelle “Loi confortant le respect des principes de la République”. Le séparatisme supposait une communauté nationale, la France menacée par une autre communauté, religieuse, l’islam, se séparant de la nation, à laquelle les islamistes ne veulent pas appartenir puisqu’ils veulent d’abord être les membres de l’Oumma, la communauté musulmane par delà les frontières, celle qui rêve de rétablir son unité sous un “Calife”. Ce danger massif, que les Français ont perçu avec les attentats qu’ils subissent et les guerres que leurs soldats mènent contre l’Etat islamique, Al Qaïda ou les rhizomes qui en sont nés, est ravalé au rang de “risque pour les principes de la République”. On est passé de la réalité charnelle d’une nation, la France, devant un ennemi, à une abstraction lénifiante, la République, dont les principes ne seraient pas respectés. La guerre n’est plus qu’une opération de police, et l’ennemi n’est plus qu’un contrevenant, quel que soit son culte. La laïcité et la neutralité ont effacé cette identité nationale que la bienpensance ne saurait voir. L’opposition LR préférant la tactique à la stratégie s’en prend au gouvernement sur ses contradictions dans les détails : c’est le retour des signes ostentatoires que le ministre entend défendre pour “ne pas humilier l’identité musulmane”, pour ne pas la radicaliser. Ainsi donc, Matamore, qui s’opposait au voile naguère, a maintenant peur de la réaction d’une identité blessée, comme si cette réaction n’était pas le signe même de la fracture puisqu’aucune autre “identité” ne souhaite s’affirmer ainsi par la provocation. Et le rapporteur du texte, Florent Boudié, d’en rajouter en dénonçant une opposition qui cultive “l’esprit de fracture” ! Comme si ce n’était pas le sujet du séparatisme, justement, que cette fracture ! Pour peu, avec l’inversion devenue habituelle des valeurs, c’est en se défendant contre le séparatisme que la République deviendrait séparatiste !
Cette retraite idéologique sur une ligne de défense aussi fragile que coutumière révèle une fois de plus l’inconsistance du pouvoir actuel voulant donner des gages à l’électorat de droite pour survivre à 2022, mais toujours dominé par les préjugés du progressisme de gauche qui est sa marque de fabrique. Faute d’affirmer la nécessité de défendre l’identité et la cohésion nationales sans lesquelles une nation est vouée à sa perte, le voilà qui s’arc-boute sur la loi de 1905, sur la laïcité et la neutralité, ces notions écrites avec une gomme depuis que leur seul objectif réel a été atteint : réduire le catholicisme. C’était le meilleur moyen de susciter des critiques de toutes parts. D’abord, les religions autres que l’islam s’inquiètent : elles ne posent aucun problème et vont cependant subir les contrôles et les contraintes, et notamment la scolarisation obligatoire à 3 ans. Ensuite, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) en pointant dans le texte les atteintes à la liberté religieuse et à son expression, a jugé dans un avis émis le 4 Février que ” le projet de loi prend le risque de fragiliser les principes républicains au lieu de les conforter”. Enfin, l’essentiel disparaît : le problème crucial demeure celui d’une immigration massive d’étrangers qui ne vont pas être assimilés à la nation française parce que leur “identité” religieuse sera la source de multiples frictions avec cet art de vivre en commun qui constitue le socle d’une communauté nationale. (à suivre)