À un an du premier tour, les sondeurs prédisent invariablement la même affiche pour le second : Emmanuel Macron face à Marine Le Pen. Tous les deux tout aussi invariablement crédités d’un score allant de 25 à 28 % au premier. La seule interrogation – il faut tout de même laisser un peu d’incertitude – réside dans le niveau atteint par Marine Le Pen au second tour et sa capacité à l’emporter, face à la gauche mais aussi au Président sortant, qui pourrait être menacé.
Mais Emmanuel Macron et Marine Le Pen ont-ils vraiment plié le match ?
Certes, les sondages ont un certain pouvoir autoréalisateur. Mais nous avons tous en mémoire les effondrements des grands favoris de l’an A-1 : Giscard en 1981, Barre en 1988, Balladur en 1995, Jospin en 2002 et, enfin, Juppé et Fillon en 2017. Or, il se trouve que la situation actuelle est encore plus opaque qu’alors, durant ces décennies qui n’ont pas connu la crise majeure que nous vivons et où la vie politique était encore structurée entre la gauche et la droite et des partis représentatifs. Mais aujourd’hui, c’est la crise du Covid-19 qui écrase tout, laissant en arrière-fond sonore la crise sécuritaire et migratoire et la crise économique qui, par ailleurs, ne font qu’empirer.
Et il se pourrait bien que les deux favoris n’aient nullement plié le match pour la simple et bonne raison que les Français ne sont pas entrés dans le match. C’est la première remarque de bon sens de Jérôme Jaffré, directeur du Centre d’études et de connaissances sur l’opinion publique (CECOP) et chercheur associé au CEVIPOF, dans une interview au Figaro. À la question « La campagne pour 2022 est-elle déjà engagée ? », la réponse est nette : « Pas chez les Français, qui ont la tête dans le Covid. »
Mais le politologue remarque aussi que la crise, si elle renforce temporairement les deux têtes d’affiche dans leurs rôles, révèle aussi des faiblesses nouvelles.
Pour Emmanuel Macron, la stratégie du « en même temps » de gauche et de droite a déjà trouvé ses limites : « Emmanuel Macron doit conserver sa double face, qui lui permet de garder des soutiens de gauche tout en s’appuyant en fait sur la droite. […] Mais ce qui était jadis un projet de dépassement est maintenant davantage perçu comme un jeu d’équilibre, avec un jour un propos vers la droite et le lendemain un mot doux vers la gauche… Tout cela est de plus en plus vu comme une tactique, ce que les électeurs n’aiment pas quand ils le comprennent ainsi. » Si Jérôme Jaffré le dit… D’ailleurs, un sondage britannique réalisé par Redfield & Wilton Strategies, publié samedi, et qui tient compte, lui, des indécis (21 %) donne le tiercé de tête suivant : Le Pen à 18 %, Macron à 16 % et Jean-Luc Mélenchon à 13 %. Une position inquiétante pour le président de la République, à la fois distancé et rattrapé.
Mais, du côté de Marine Le Pen aussi, la position de leader est loin d’être acquise. Jérôme Jaffré a raison de douter de sondages flatteurs : « Elle est sans doute surévaluée dans les sondages de second tour face à Macron. » Quant au premier, n’oublions pas qu’elle était aussi donnée à 28 % en 2016 et qu’elle finit à 21,3 %. Pour le second tour, il a également raison de douter de l’abstention massive de la gauche : « Beaucoup d’électeurs de gauche se réfugient aujourd’hui dans l’abstention et le vote blanc. Mais, placés devant un tel choix entre les deux tours, la question cesserait d’être “Peut-on battre Macron ?” et deviendrait “A-t-on vraiment envie d’élire Marine Le Pen ?”. »
Mais, surtout, cette position de leader apparemment incontestée, sans outsider, et sans qu’on connaisse encore le candidat LR, représente pour elle un risque majeur : celui « d’oublier le premier tour et le travail de mobilisation des catégories populaires. L’abstention, qui serait son alliée au second tour, pourrait devenir un handicap au premier. » Or, tous les derniers rendez-vous électoraux depuis 2017, avant même la crise du Covid-19 et son impact fortement démobilisateur sur la participation (élections municipales et européennes), ont montré que l’abstention est une tendance de fond.
Une chose est certaine : l’incertitude. Bien plus forte que ne le laissent penser les sondages actuels, surtout si des candidatures alternatives venaient à gêner les deux leaders du moment ou si Emmanuel Macron ne se représentait pas en s’effaçant devant Édouard Philippe. Jérôme Jaffré remarque que « l’équation est devenue plus compliquée pour Emmanuel Macron ». Mais elle l’est, du coup, aussi, pour Marine Le Pen. Car c’est une équation à plusieurs inconnues, autant sur le plan des candidatures que de la situation. Sans compter les impromptus de campagne.
Frédéric Sirgant