Le sujet du nucléaire semble technique. Mais, dans une démocratie sensée, il serait au cœur de la future campagne présidentielle.
© Hannah Assouline
Alors que les débats se concentrent sur des sujets aussi cruciaux que la composition de l'équipe de France de foot, il y aurait pourtant matière à informer les Français sur des enjeux qui détermineront leur vie dans les décennies à venir. La question, comme souvent, est de savoir si la France va renoncer à l’indépendance et au maintien d’un service public qui bénéficie aux usagers.
Alors que la crise du coronavirus a démontré le risque majeur pour la France de perdre toute capacité d’action et toute autonomie véritable dans les domaines de l’industrie, de l’alimentation, de la recherche… on est ravi de constater que les débats se concentrent sur des sujets aussi cruciaux que le retour de Karim Benzema en équipe de France de football ou les plaintes en diffamation de Gérald Darmanin contre Audrey Pulvar et réciproquement. Le sens de l’essentiel.
Il y aurait pourtant, pour qui voudrait s’y pencher, matière à informer les Français sur des enjeux qui détermineront leur vie dans les décennies à venir. Les discussions ont lieu, comme souvent, dans les couloirs de la Commission européenne à Bruxelles comme dans ceux du ministère des Finances, à Bercy, le plus loin possible des citoyens. Et la question, comme trop souvent, est de savoir si la France va renoncer à l’indépendance, à la protection de ses savoir-faire et au maintien d’un service public qui bénéficie aux usagers pour un prix acceptable. On parle investissements, écologie, production… bref, il faut clarifier, expliquer, informer, et ça, c’est beaucoup plus fatigant qu’un débat sur le rappeur qui chante la Marseillaise.
Vous avez dit taxonomie ?
Il y a d’abord le bras de fer auquel se livrent la France et l’Allemagne autour d’un mot barbare : la taxonomie. Pour faire simple, il s’agit de décider à l’échelon européen quelles seront les activités considérées comme « durables » et qui auront donc droit à des aides d’État et, par ricochet, à des emprunts à taux préférentiel. Bref, un label absolument indispensable pour espérer faire perdurer des filières nécessitant des investissements très lourds. Le premier rendu de copie de la Commission, le 21 avril, ne comportait pas le nucléaire, l’Allemagne, l’Autriche et le Luxembourg refusant de le voir inscrit dans la liste des énergies durables.
Un comble quand on sait que l’Allemagne espère en revanche y voir figurer le gaz, c’est-à-dire un hydrocarbure. Les tractations se poursuivront tout l’été, mais c’est bien l’avenir de la filière nucléaire qui est en jeu. Et c’est d’autant plus paradoxal que l’Union européenne affiche des ambitions pharaoniques sur l’hydrogène. La production d‘hydrogène nécessite une grande quantité d’électricité, que l’Allemagne prétend importer, notamment depuis des parcs photovoltaïques dans le Sahara. Tout, plutôt que de s’appuyer sur le savoir-faire industriel français…
Menace sur l'indépendance énergétique
Entendons-nous bien : si la France devait perdre cette bataille, c’est bien sûr son indépendance énergétique qui serait menacée, mais aussi son influence internationale au moment où de très nombreux pays développent leur parc nucléaire. L’Ukraine (comme c’est étonnant !) vient de choisir une technologie américaine pour ses futurs petits réacteurs. Pendant ce temps, chaque jour apporte son lot d’annonces sur les retards et les surcoûts de l’énorme EPR de Flamanville, technologie qui sera déjà dépassée quand elle sera enfin en état de fonctionnement. Preuve que la France n’a pas besoin de l’Allemagne pour se tirer une balle dans le pied. Avec, à la manœuvre, des patrons – Anne Lauvergeon, Henri Proglio… – et des présidents.
La guerre fratricide entre Areva et EDF sur fond de manipulations depuis l’Élysée par Nicolas Sarkozy n’a fait qu’affaiblir les deux géants français. Depuis, ce sont François Hollande puis Emmanuel Macron qui ont choisi d’abandonner la filière nucléaire pour complaire à la frange dogmatique des écologistes. Le coup d’arrêt au projet Astrid, réacteur de 4e génération, permettant de retraiter les déchets des autres réacteurs, et donc de ne plus dépendre d’un approvisionnement extérieur en uranium, est une faute majeure. La focalisation sur l’EPR, trop cher, trop lourd, au détriment d’Astrid ou de ces petits réacteurs modulaires qui sont l’avenir, se paiera au prix fort.
Coups de boutoir contre EDF
Mais il y a plus grave. La France possède avec EDF le premier opérateur nucléaire au monde. Un opérateur bien mal en point, il est vrai, plombé, donc, par l’EPR et par les injonctions délirantes à libéraliser le marché de l’énergie. Pour résumer, les instances européennes réclament depuis vingt ans la mise en concurrence des services publics. Comme EDF est seul à produire l’énergie, il la vend à prix coûtant à ses concurrents. Une aberration. Et la cause d’une explosion de la facture pour les usagers.
D’où le projet dit « Hercule », dont le but était de séparer d’un côté les activités nucléaires, de l’autre les énergies renouvelables associées à la vente d’électricité et, dans une troisième entité, l’hydroélectrique. Un démantèlement à la demande de la Commission. Devant la fronde, le ministre de l’Économie a officiellement reculé. Le projet Hercule est abandonné au profit d’un « grand EDF » dont on peine à voir en quoi il sera véritablement différent, puisque l’injonction à se plier aux règles du marché reste la même. D’où la manifestation organisée par la CGT ce mardi à Flamanville.
Le sujet semble technique. Mais, dans une démocratie sensée, il serait au cœur de la future campagne présidentielle. Sauf si l’on préfère parler composition de l’équipe de France de foot.
Source : https://www.marianne.net/